La réconciliation nationale au Mali passera par deux grands défis qu’il faudra relever : la manifestation de la vérité et la justice pour toutes les victimes. Quel chemin pour réussir cette réconciliation tant souhaitée ?
La paix véritable dans un pays qui sort d’un grave conflit armé requiert des préalables sans lesquels on aura beau signé des pactes d’entente, la fin des hostilités ne sera que précaire. Un long processus de réconciliation est primordial pour le retour définitif de la paix. Cette réconciliation des cœurs et des esprits ne peut s’obtenir que par l’établissement de la vérité sur des faits foncièrement salis par les propagandes et idées reçues.
La réconciliation envisagée par les maliens est à l’image de la crise en passe d’être résolue définitivement. Il s’agit en effet de pouvoir trouver des pansements appropriées pour des plaies qui, jamais soignées, ont continué à s’infecter pendant des dizaines d’années. Remonter aux origines d’une crise qui date des premières années de l’indépendance du Mali, telle est l’ambition que l’on nourrit.
De 1963 à nos jours, toutes les vérités sur les exactions et leurs auteurs doivent être déterminées. Les nombreuses victimes des rebellions successives au nord du Mali qui sont dans l’attente depuis des lustres sont impatientes que leur voix soit entendue et que leurs bourreaux soient punis. Sans doute une goutte d’eau dans l’océan de barbaries des groupes armés du nord, les bavures commises par l’Etat malien, à travers l’armée nationale, vont également être mises sur la place publique.
En attendant que ces finalités visées par le plan de réconciliation ne soient traduites dans les faits, le débat actuel réside surtout sur la capacité des mécanismes de justice transitionnelle mises en place pour y parvenir.
Les bonnes intentions et les limites de la CVJR
Au Mali, pour réussir la réconciliation, le choix a été porté sur un model standard de mécanisme de justice transitionnelle : la Commission Vérité, Justice et Réconciliation (CVJR). Créée le 15 janvier 2015, la CVJR est chargée de missions aussi épineuses et délicates comme de mener des enquêtes sur les cas de violations graves des droits de l’homme commises dans le pays ; ou encore d’établir la vérité et de situer les responsabilités sur ces violations et les atteintes aux biens culturels. Le tout couronné par l’élaboration d’une série de recommandations qu’elle soumettra aux plus hautes autorités du pays.
Nommé le 17 aout dernier pour présider la CVJR, le choix sur Ousmane Oumarou Sidibé, un ancien ministre appartenant au principal parti politique de l’opposition (URD), n’a pas suscité de réactions de rejet notables. Tout le contraire de la désignation, le 14 octobre, des autres membres de la commission, parmi lesquels figurent des personnalités très contestées par l’opinion publique.
Les associations de défense des droits de l’homme fustigent la nomination de certains individus proches des groupes armés. Toute chose qui vient planer un doute sur l’intégrité des membres de la CVJR dont les nominations n’ont été consécutives à aucune concertation préalable de la société civile.
La justice, noyau central pour mettre fin à un cycle de violences armées souvent motivées par la vengeance
Depuis les premières rebellions au nord du Mali, les violences armées sont devenues cycliques dans cette partie du pays. La crise actuelle prend ses sources dans les blessures non soignées du passé. Des plaies causées par l’injustice qui a toujours été l’apanage des différentes rebellions et répressions qui s’en sont suivies. La présente crise s’est d’ailleurs illustrée par une montée en puissance des groupes d’autodéfense formés les populations civiles qui n’entendaient plus subir les massacres des rebelles.
Si malgré les réserves fondées des défenseurs des droits de l’homme, la CVJR arrive par miracle à produire un travail objectif il reste toujours cet autre challenge, la justice, à réussir. La justice pour toutes les victimes doit être rendue. Un pari qui n’est pas gagné mais qui est incontournable pour rompre avec les cycles de violences armés au nord du Mali.
Cette justice doit notamment résister à deux facteurs majeurs : l’extraction à la justice, au nom de la paix, de gros bonnets de l’ex rébellion qui seraient impliquées dans des violations des droits de l’homme et la réticence de l’armée à livrer ses éléments soupçonnés de crimes.
Car la CVJR est un maillon essentiel de la réconciliation nationale reconnu dans l’accord de paix, ses conclusions et recommandations doivent être acceptés par tous les acteurs. Il incombe particulièrement aux autorités de s’assurer de la traduction de tous les auteurs présumés de crimes devant les tribunaux compétents. Un regard bienveillant doit enfin être porté sur la réparation des dommages et l’indemnisation des victimes.
La réconciliation est aujourd’hui au cœur de toutes les actions, nationales et internationales, au Mali. La création d’un Département consacré exclusivement pour la cause ; le vote par l’Assemblée nationale d’une loi portant création d’une Commission «Dialogue, Vérité et Réconciliation» ; et toutes les initiatives y afférentes constatées ces derniers mois…prouvent de la manière la plus inéluctable que la réconciliation est et demeure une préoccupation partagée et un idéal par l’ensemble du peuple malien. Et si cet idéal fait l’unanimité aujourd’hui au Mali, son appréhension se révèle être un véritable parcours du combattant pour bon nombre de nos concitoyens. Tandis que sa mise en œuvre, au regard de certaines actions gouvernementales en la matière, soulève de nombreuses zones d’ombre mettant en péril son bien-fondé et, par ricochet, la stabilité et la quiétude nationales. L’objectif de cette contribution est donc d’amener l’opinion nationale à mieux cerner le concept de Réconciliation Nationale, tout en proposant aux autorités nationales et aux différents acteurs concernés des pistes susceptibles de contribuer à l’atteinte des résultats escomptés. D’où l’intitulé : «Les 10 commandements pour une réconciliation vraie et durable !».
1 – Respecter les principes fondamentaux de la réconciliation…
La réconciliation est un processus global qui inclue des instruments clés tels que la justice, la vérité, la cicatrisation et la réparation afin d’assurer la transition d’un passé divisé à un avenir commun. La réconciliation, au regard de cette définition, est à la fois un but, quelque chose vers quoi tendre et un processus qui est le moyen d’atteindre ce but. La réconciliation est donc un processus à long terme et aux implications profondes qui impliquent des changements dans les attitudes, les aspirations, les émotions et les sentiments, voire même les croyances. La réconciliation est également et surtout un processus très large qui s’applique à tous et pas uniquement à ceux qui ont directement souffert et à ceux qui ont infligé des souffrances, même si ces personnes occupent une position centrale. La mise en œuvre de tout processus n’intégrant pas ces différents principes, pourrait ôter au concept de réconciliation toute sa quintessence.
2– Prendre en compte le facteur procédural de la réconciliation…
Toute réconciliation durable se construit sur la base de trois ingrédients essentiels. Lesquels sont schématisés en étapes. Premièrement, il est important de remplacer la peur par une coexistence non-violente encore appelée le «vivre et laisser vivre». Les leaders politiques et communautaires, les ONG et les institutions religieuses doivent promouvoir une telle communication. Les décideurs politiques locaux et/ou internationaux, quant à eux, ont la responsabilité de garantir la sécurité physique minimale nécessaire.
La deuxième étape dans un processus de réconciliation est d’établir la confiance. Laquelle requiert de chaque partie, victimes et agresseurs, qu’elles retrouvent confiance en elles-mêmes et en l’autre et reconnaissent l’humanité de l’autre : ceci est la base de la confiance mutuelle. À cette étape, en outre, les victimes commencent à distinguer différents degrés de culpabilité chez les agresseurs et à distinguer individus et communautés entières, remettant ainsi en question les idées préexistantes selon lesquelles tous les membres d’un groupe rival sont des agresseurs, de fait ou potentiels.
La troisième étape dans un processus de réconciliation est l’instauration de l’empathie. L’empathie naît lorsque les victimes acceptent d’écouter ceux qui ont causé leurs souffrances et lorsque les agresseurs reconnaissent la souffrance de ceux qui ont souffert. La divulgation de la vérité est une pré-condition de la réconciliation, créant les circonstances objectives permettant aux personnes de voir le passé en termes de souffrances partagées et de responsabilité collective.
3 – Combiner toutes les approches requises dans un processus de réconciliation…
Tout programme de réconciliation repose principalement sur deux conceptions : l’une ascendante (bottom-up) ou l’autre descendante (top-down). L’approche ascendante se concentre sur les relations interpersonnelles entre les membres d’une communauté. La réconciliation et les initiatives au niveau local sont considérées comme la clé du succès. Une approche descendante donne la priorité aux actions au niveau national qui se diffusent pour créer les conditions voulues au niveau local. Dans le cas du Mali, et compte tenu des réalités sociétales qui y prévalent, il est important de combiner les processus ascendants et descendants. Au-delà de ces deux approches empiriques, il est crucial de ne pas compromettre la réconciliation du fait de priorités politiques en créant des structures politiques et économiques inadéquates ou en laissant la réconciliation prendre du retard. Il faut aussi conserver une vision à long terme. Quels que soient les succès à court ou à moyen terme, la réconciliation doit être reconnue en tant que processus fonctionnant sur une échelle de long terme, générationnelle. Car, la quête de la vérité, de la justice et de la réparation, étapes essentielles de la réconciliation, ne disparaîtra pas simplement avec le temps. Un passé violent ignoré est un feu se déchaînant par intermittence.
4 – Bien définir les victimes pour ne pas tomber dans une réconciliation politique…
Les victimes sont au cœur du processus de réconciliation. Qui sont-elles ? Si elles ont beaucoup en commun, leurs expériences, leurs besoins et leurs capacités varient largement. Les victimes directes sont les personnes (les habitants des régions du Nord) qui ont subi les effets directs de la violence. Les victimes indirectes sont liées aux victimes directes, de telle sorte qu’elles souffrent aussi. Les victimes de première génération sont celles qui ont été affectées de leur vivant. Toutefois, leurs enfants, la «deuxième génération», intériorisent aussi la douleur et le chagrin, les maintenant vivants et donc, en mesure de menacer l’avenir de la société. Un conflit brutal a aussi un impact différent sur les hommes et sur les femmes, étant donné que la victimisation est partiellement sexo-spécifique. Les enfants sont les victimes les plus vulnérables, en particulier les enfants réfugiés et les enfants soldats. Chaque catégorie peut avoir besoin de différents types de réconciliation. La définition des victimes doit donc intégrer ces différentes composantes.
5 – Bien définir les agresseurs pour éviter une réconciliation à double vitesse…
La compréhension du «comment» et du «pourquoi» des actions des agresseurs n’équivaut pas à leur exonération. Elle est toutefois une pré-condition de toute politique de réconciliation. La diversité des culpabilités, des motifs et des crimes exige de la part de la politique de réconciliation une diversité d’approche équivalente qui doit opérer une distinction entre les agresseurs directs et ceux indirects. Les agresseurs directs sont ceux qu’on peut accuser d’actes criminels spécifiques. Les agresseurs indirects, à la culpabilité plus politique ou morale, ont à répondre des avantages dont ils ont pu bénéficier par suite d’agressions perpétrées par d’autres, de leur inaction alors qu’ils ont été témoins de violations, ou d’actes involontairement dommageables.
6 – Cicatriser toutes les détresses, ou du moins les plus éprouvantes…
Il n’est pas seulement important d’aider les gens à gérer l’impact du conflit sur eux-mêmes. Il est aussi essentiel de s’attaquer aux causes de leur détresse. Le traumatisme se caractérise par la destruction des structures individuelles et/ou collectives d’une société. Il est important d’aider les gens à gérer l’impact du conflit sur eux-mêmes, par exemple par le biais d’un processus de deuil national. Mais, il est aussi essentiel de s’attaquer aux causes : ce qui doit être «cicatrisé», ce sont les réactions individuelles, politiques, sociales et culturelles à une situation traumatique et à ses répercussions. La cicatrisation doit être recherchée au niveau individuel, tout en restant en interaction avec le contexte social.Les initiatives de cicatrisation doivent faire partie de la reconstruction socio-économique et culturelle de l’après-guerre, rétablissant un contexte sociopolitique aidant les victimes à retrouver leur identité et leur dignité.
7 – Laisser la justice s’exprimer et situer les responsabilités librement…
La justice, dans un processus de réconciliation, peut être punitive ou restaurative. La reconnaissance et la punition des crimes du passé requièrent que «justice soit faite». Mais, la justice a de nombreux visages. Elle peut être punitive et basée sur l’accusation. Elle peut être restaurative et basée sur la médiation. Les commissions de vérité produisent une justice historique. Les politiques de réparation visent une justice compensatoire. Le défi crucial est de trouver un équilibre entre les impératifs moraux et les réalités politiques. Le châtiment peut potentiellement administrer une justice satisfaisante et réconciliante ou mettre en danger les processus de réconciliation et de démocratisation. Le contexte politique et économique peut signifier que la stratégie d’après-guerre ne peut tout simplement pas mettre l’accent sur la justice punitive. Car, la justice punitive tend à se concentrer sur les agresseurs et à ignorer ou mettre à l’écart les sentiments et besoins des victimes. De plus, les procès peuvent parfois attiser les antagonismes et gêner le processus de réconciliation.
8 – Divulguer la vérité pour promouvoir une réconciliation plus partagée…
Les commissions de vérité peuvent signaler une rupture formelle avec le passé et une transition vers un avenir plus ouvert, pacifique et démocratique. Dans le cadre des travaux d’une commission de vérité, la distinction la plus importante à faire, est peut-être celle entre la réconciliation individuelle et la réconciliation nationale et politique… Il convient ici de préciser que la commission dont la création vient d’être votée par l’assemblée nationale n’est pas une alternative à la procédure judiciaire. Loin s’en faut. Elle n’est pas un organe judiciaire et a donc moins de prérogatives que les tribunaux.
9- Réparer le préjudice causé à chaque victime, pour une réconciliation durable…
La réparation sert de lien entre le passé et l’avenir. Elle combine l’objectif rétrospectif de compensation des victimes et l’objectif prospectif de réforme politique. La justice de transition a redéfini la notion de réparation. Le concept était orienté vers la compensation et vers le passé. Aujourd’hui néanmoins, elle inclut aussi des mesures symboliques importantes et tournées vers l’avenir…
10– Eviter une réconciliation dictée et imposée par la communauté internationale…
La réconciliation ne peut être importée ou imposée de l’étranger. Chaque transition de la violence à la paix est presque inévitablement unique. De plus, la volonté politique de s’attaquer à la question de la réconciliation varie considérablement, tout comme les capacités et les ressources, dans la classe politique dirigeante comme dans la société civile. La communauté internationale ne doit donc pas exiger ce qui ne peut pas être fait. Le soutien international doit être basé sur une évaluation réaliste de ce qui est possible politiquement, financièrement et socialement. Le conflit du Mali est particulier et très différent de ceux du Rwanda, de la Bosnie, de l’ex Yougoslavie ou de la Côte d’Ivoire. Cette dimension doit être prise en compte par la Communauté internationale pour éviter une réconciliation inappropriée.
Une réconciliation durable au Mali doit être développée localement. Seuls les victimes et les agresseurs peuvent se réconcilier. Il s’ensuit que la Communauté internationale doit faciliter plutôt qu’imposer ; donner le pouvoir au peuple, soutenir les initiatives locales plutôt que noyer la société d’après-guerre sous une multitude de projets étrangers (comme au Kosovo, par exemple) ; et choisir le renforcement des capacités plutôt que l’importation d’experts.
Même lorsqu’une société est si faible qu’elle a besoin d’un soutien extérieur extensif, les projets mixtes, dans lesquels les autorités et Ong nationales et étrangères partagent les responsabilités et les tâches, restent préférables. La Minusma et les autres acteurs internationaux présents au Mali arrivent, jusqu’à preuve de contraire, à respecter cette logique. Les artisans et médiateurs internationaux de la paix tendent à défendre une approche précipitée de la réconciliation. Ceci est souvent un reflet de leurs propres intérêts à court terme et/ou de leur conviction infondée selon laquelle le succès de la transition dépend d’un mouvement rapide vers l’unité nationale. Ceci est contre-productif…
En somme, de tout ce qui précède, il ressort que la réconciliation est un processus global et que le cas du Mali est atypique. D’où l’impérieuse nécessité de le cerner avant la mise en œuvre de toute politique de réconciliation. Aussi, il urge de rappeler que la réconciliation suppose des choix (entre une justice punitive qui peut s’avérer compromettante pour le processus de réconciliation proprement dit, d’une part et une justice restaurative qui pourrait violer les droits fondamentaux des victimes, d’autre part). La réconciliation requiert aussi des sacrifices (le fait pour les victimes de pardonner leurs agresseurs et la responsabilité des ces derniers à reconnaître leurs forfaits).
La réconciliation, la vraie et durable, demande du temps et une synergie d’actions de la part de tous les acteurs nationaux et l’accompagnement constant et sans faille des partenaires internationaux. Bref, la réconciliation ne se décrète pas, elle a un prix auquel tous les Maliens sans distinction aucune devront consentir. Il revient donc aux autorités actuelles d’impulser cette dynamique et de porter le flambeau de la réconciliation nationale, gage d’une reconstruction, de la paix, de la stabilité et d’un développement socio-économique véritable et durable.
Fousseyni MAÏGA
Journaliste-Consultant en Communication et Management des organisations
maigafousseyni@gmail.com