Au Mali, l’enseignement supérieur est devenu source de profonde inquiétude. On le sait malade. Ses maux ont pour nom : corruption, piston, étudiants fictifs, salaires bas des enseignants, années académiques tronquées, grèves interminables. Pour tous, l’urgence s’impose de mettre un frein à cette spirale de la décadence dans la planète universitaire.
« L’enseignement supérieur au Mali est sur la civière et, reflet exact d’une globalité malade, il n’augure rien de bon pour l’avenir du pays. Les professeurs Koumaré, Ogobara et d’autres cités par le chef du gouvernement sont l’exception d’un système où la médiocrité demeure la règle. Niveaux désastreux malgré des diplômes ronflants, corruption allant jusqu’au système de notation des étudiants, débrayages à tout vent, années académiques interminables, et tout cela dans un impitoyable contexte de concurrence communautaire qui finira par nous imposer des ingénieurs sénégalais et des chimistes ivoiriens. » Cette observation de Adam Thiam(1), l’éditorialiste vedette du quotidien bamakois Le Républicain montre à quel point l’enseignement supérieur est malade au Mali.
Et, Il y deux ans, dans un article publié sur le site d’information français Rue89, la journaliste Sabine Cessou a fait le tour des maux qui ont mis à mal le secteur : corruption, piston, étudiants fictifs, salaires bas des enseignants et, pour clouer le bec à quiconque, les « Notes Sexuellement Transmissibles (N.S.T) » Elle estime que la corruption à l’université n’est que la partie émergée de l’iceberg quant à « ce mal généralisé qui a en partie conduit à la dislocation de l’armée et place le Mali à la sixième, en partant du bas, dans l’index des Nations Unies sur le développement humain. » A l’époque, nombreux ont été ceux qui sont d’avis que Sabine Cessou ne fait pas d’une mouche un éléphant, les phénomènes qu’elle a dénoncés existent bel et bien, même si on peut regretter que les solutions manquent toujours à l’appel.
Ainsi, à quelques mois de la rentrée universitaire dans le pays, les mêmes questions refont surface, car les mêmes problèmes restent irrésolus, en dépit des réformes initiés en 2011 et qui ont conduit à la division en quatre grandes entités de l’université de Bamako dans le but de faire face au problème d’effectifs pléthoriques. Aujourd’hui, l’enseignement supérieur compte plus de 100 000 étudiants. Résultat : les amphis sont pleins à craquer et les professeurs sont débordés. Dans un récent article, l’hebdomadaire Journal du Mali L’hebdo explique que «certains démembrements n’ont toujours pas leurs locaux, notamment l’Institut des Sciences Appliquées (ISA) et l’Institut Universitaire de Technologie… » A cela vient s’ajouter le problème de logements des étudiants, qui sont souvent six dans les chambres. Aussi, explique un étudiant, « il n’y a pas de bibliothèques universitaires dignes de ce nom dans les facultés, ni de plannings de cours, encore moins d’enseignants à l’heure. »
En janvier 2014, le Comité de pilotage de la concertation nationale sur l’avenir de l’enseignement supérieur au Mali (CNAES) a été installé par le premier ministre de l’époque, Oumar Tatam Ly. En septembre 2014, le CNAES a remis à son successeur Moussa Mara un rapport général où des diagnostics avaient été faits et des remèdes proposés. Le diagnostic est, peut-on vraiment l’affirmer, sans concession : insuffisance des textes législatifs et règlementaires, manque d’infrastructures pédagogiques et administratives adéquates, déficit en équipements de laboratoire, en réseaux informatiques et en matériel pédagogique, inadaptation des filières de formation, occupation anarchique des domaines du campus universitaire.
On dira ce qu’on voudra, mais ces problèmes ne sont en rien des inventions : ils existent. Dans certains amphithéâtres, l’auteur de ces lignes, pour avoir émergé dans ce système, peut vous dire que les étudiants cotisent pour acheter un mégaphone pour le professeur ! Tout cela pour dire que l’enseignement supérieur va mal. Les conditions de travail y sont on ne peut plus sinistres, le découragement guette les quelques « rares » résistants qui ne veulent pas abandonner pour prendre, comme beaucoup l’ont fait, le chemin dangereux de l’immigration. Aujourd’hui, la situation est telle que l’on ne peut souvent s’empêcher de se demander si les pouvoirs publics ne se moquent pas du savoir.
Remettre de l’ordre
Aujourd’hui, il ne sert pas à grand-chose de continuer à crier au loup à propos de l’enseignement supérieur au Mali. Une seule chose s’impose : « remettre de l’ordre ». En septembre 2013, Ibrahim Boubacar Keïta, candidat du Rassemblement pour le Mali (Rpm), a remporté la présidentielle avec 77,62% des suffrages exprimés : un raz-de-marée électoral. Tout le monde s’accorde à dire qu’il a du pain sur la planche : réforme de l’armée, réconciliation nationale, lutte contre la corruption… Mais le chantier le plus délicat reste l’éducation. Au ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, on se débat pour aboutir au renouveau de l’enseignement supérieur. Après la création en 2009 de l’Université de Ségou pour résoudre le problème de la pléthore d’étudiants à Bamako, la construction d’un pôle universitaire à Kabala, au sud-est de Bamako,a concentré toutes les attentions. D’un coût global de 70 milliards de francs CFA, cette infrastructure est attendue pour répondre au besoin d’accueil et d’hébergement des étudiants. Il est l’un des plus grands de la sous-région, et améliorera considérablement les conditions de vie et de travail des étudiants et des enseignants. Il faut également citer les projets de décentralisation, à travers les universités régionales en devenir, à Tombouctou, Gao, Mopti et Sikasso. Enfin, l’ouverture en octobre 2015 de la nouvelle École nationale de journalisme du Mali sous la houlette du ministère de l’Enseignement supérieur, sont parmi ces nouveaux chantiers destinés à rehausser le niveau.
Il apparaît clairement qu’il faut s’occuper de l’enseignement supérieur. Pour l’avenir du pays et des enfants. Il ne fait aucun doute que la base de tout développement est l’alphabétisation et l’instruction obligatoires pour toutes et tous. C’est une politique à long terme, qui doit être menée d’une main de fer, mais, qui, encore une fois, est l’unique voie vers un développement du pays.
Boubacar Sangaré