Le sport, singulièrement le football, a quelque chose de magique. Une magie dont les effets sont comme ceux d’une drogue. La performance devient alors l’opium du peuple et ses supporters passent vite de la passion au fanatisme, au sens noble de l’expression. Mais, puisque cette drogue ne doit pas renvoyer au dopage qui est contraire à l’éthique sportive et aux valeurs de l’Olympisme, disons que le sport est facteur d’unité et de cohésion nationales. À ce titre, les Aiglonnets ont réconcilié les Maliens. Oui, au gré des prouesses et des performances des protégés de Baye Ba, nous avons momentanément oublié tout ce qui nous divise en noyant nos divergences politiques et sociales dans le football.
Du 17 octobre au 8 novembre 2015, c'est le Mali tout entier qui a vibré au rythme des prouesses de ses Aiglonnets, de leur engagement patriotique, de leur rage de vaincre. La récupération politique aidant, le football est soudainement devenu un sujet d’intérêt national, chaque chapelle se manifestant par son message de félicitations. Den nialen yé bè tayé (L’enfant qui réussit appartient à tout le monde), dit un adage du Mandé.
À l’issue de la 16ème édition de la Coupe du monde des moins de 17 ans, les Aiglonnets du Mali ont échoué au pied du podium. Mais cette seconde marche était inespérée, même quand Abdoul Karim Danté et ses coéquipiers ont offert au pays sa première couronne continentale de football. Une grande première dans l’histoire du football malien. Comme cette place de vice-champion du monde. Nous sommes en plein dans la légende dont nos cadets viennent de tourner des pages de référence. Des pages écrites par les Salif Kéïta, Ousmane Traoré, Ben Oumar Sy, Cheick Fantamady Kéïta, Cheick Fantamady Diallo, Mamadou Kéita «Capi», Moussa Traoré «Gigla», Cheickna Traoré «Kolo National», Sadia Cissé, Idrissa Maïga dit Métiou, Nani Touré… puis les Seydou Kéita, Mahamadou Diarra, Mahamadou Dissa, Ténéman N’Diaye, Abdramane Coulibaly «Scifo», Boubacar Kéita, Mamadou Bagayoko… Une écriture parachevée par les Aiglons de Faniery Diarra au Mondial junior, «Nouvelle Zélande 2015», avant que la page ne soit tournée au Chili.
Troisième place mondiale avec les juniors et vice-champion du monde avec les cadets ! Que peut-on espérer mieux dans l’avenir qu’une couronne continentale des Aigles et une qualification historique pour une phase finale de Coupe du monde des séniors ? Cela n’est pas une utopie, si l’on se réfère aux talents dont nous disposons désormais à l’image d’un Adama Traoré (Meilleur joueur du Mondial junior en Nouvelle Zélande), de Samuel Diarra (Meilleur gardien du Mondial cadet au Chili), d’Aly Mallé (3ème Meilleur joueur du Mondial cadet au Chili)... Hélas, au Mali, la perte des valeurs est énorme entre les catégories. Nos talents en herbe deviennent rarement des stars comme les Soumaïla Coulibaly, Seydou Kéïta «Seydoublen» ou Mahamadou Diarra «Djilla». Dans la couvée 2015 des cadets et juniors, ceux qui auront sans doute la chance de signer dans de grands clubs peuvent nourrir l’espoir de réaliser leur rêve d’une brillante carrière professionnelle qui n’est pas également de nature à desservir les Equipes nationales à l’avenir. Les autres doivent se battre plus pour ne pas tomber dans l’oubli des «talents gâchés» (Abdoulaye Traoré «Kokadjè», Malick Tandjigora, Alassane Diallo «Tom-foot», Alfousseyni Karambé, Sadio Traoré…).
La perte des valeurs entre les catégories est généralement liée à un manque de suivi après l’éclosion ou des choix professionnels liés à l’avantage financier aux dépens de l’épanouissement sportif. Sans compter que la performance de nos petites catégories n’est pas forcément une politique sportive bien planifiée. Il ne faut pas avoir peur de le dire, la Fédération peut se vanter et se prévaloir d’une part dans cette réussite.
Mais, pour une fois, nous sommes d’accord avec ceux qui disent qu’elle doit la jouer modeste, car sa contribution est infime. Le parcours honorable des cadets et des juniors est surtout à l’actif des clubs qui mettent de plus en plus l’accent sur la formation à la base, le gouvernement qui s’acquitte de son devoir et du Comité national olympique et sportif du Mali très actif dans le renforcement des capacités des techniciens et des managers à travers des bourses de la Solidarité olympique. On ne saurait surtout oublier la Ligue de Bamako qui se bat toujours pour organiser un championnat du District au niveau de ces petites catégories. Ce que la Fédération malienne de football ne parvient pas à faire depuis au moins une décennie.
S’assumer pour ne pas hypothéquer l’avenir
Dans les années 90, si nous avons bonne mémoire, ces compétitions nationales existaient avec l’accompagnement des mécènes comme la Cmdt. Et de nos jours, c’est beaucoup plus lié à un manque d’ambition et à la mauvaise gestion des ristournes des grandes compétitions qu’à un manque de moyens. Mais, après ces performances des Aiglons et des Aiglonnets, il nous faut relever le défi le plus difficile en terme de performance : se maintenir au sommet, conserver notre place dans le gotha africain et mondial ! Le seul moyen d’y parvenir, c’est de travailler et d’éviter de naviguer à vue. La Femafoot, avec le concours de la Direction technique nationale, doit maintenant se doter d’une véritable politique de développement du football à la base. Nous pensons qu’aujourd’hui, elle ne va pas manquer de partenaires pour organiser un championnat national dans toutes les catégories, y compris chez les filles.
Il faut sortir de la démagogie verbale et de la gabegie financière pour s’investir réellement dans la formation pour consolider nos résultats. Comme le disent les experts dans un document dédié à la formation à la base, intitulé «Joueur de demain», le sport en général, particulièrement le football a aujourd’hui un «rôle éducatif important» dans le processus de formation des jeunes. À ce titre, précise le document, «le football ne doit pas seulement donner l’occasion de développer des aptitudes propres au jeu, mais aussi favoriser le développement de la personnalité et des qualités psychologiques et sociales».
C’est donc en fonction du concept de «formation globale et d’action éducative» que les écoles de football, les académies et autres centres de formation doivent orienter leur programme de formation, tout en respectant les étapes de développement et leurs objectifs d’apprentissage respectifs. Et selon ces experts, c’est à l’âge de la préformation (11-12 à 15 ans) qu’un grand travail doit être accompli dans le développement et l’éducation des jeunes de demain. «C’est l’âge d’or du développement des qualités techniques, des bases technico-tactiques et même psychologiques. Tous les fondamentaux techniques, le sens tactique individuel et les principes de base du jeu sont entraînés à cet âge, tout comme déjà les attitudes mentales, telles que la concentration, la confiance en soi, la persévérance, la volonté...», précisent-ils. Et cet encadrement doit être assuré par des entraîneurs-formateurs passionnés par leur rôle éducatif.
Aujourd’hui, souligne le document de la FIFA, «la renommée de beaucoup de joueurs est due à la qualité de la formation qu’ils ont acquise dans les centres de formation, mais également au grand travail accompli au niveau des Fédérations et des clubs à cet âge de préformation». L’importance de l’âge de l’entraînement de performance (16-19 ans) n’est pas non plus à minimiser. C’est à cette étape que se trouvent aujourd’hui nos cadets et juniors. À ce stade, la préparation athlétique et physique prédomine, au même titre que les qualités mentales et la préparation tactique, comme l’exige le football de haut niveau. Mais tout cela n’est possible que si la discipline est judicieusement managée. Que ceux qui ont sa destinée en main ne soient pas motivés par les dividendes de leur fonction, mais animés de la seule volonté d’entrer dans l’histoire de notre football par leur contribution efficiente à son développement.
Malheureusement, l’image que nous renvoient les dirigeants actuels de notre sport-roi, ne nous amène pas à espérer d’eux de telles qualités. Le président Ibrahim Boubacar Kéïta a donc raison d’exiger que la Fémafoot nous donne «une meilleure image de ce que l’on souhaite qu’elle soit». En effet, comme l’a ajouté le chef de l’Etat au micro de nos confrères de l’Ortm, «quand les jeunes montrent autant d’engagement et de patriotisme sur le terrain, on ne peut pas laisser leur football se déliter pour des intérêts tristement égocentriques qui n’ont rien à voir avec la Nation malienne». L’idéal aurait été, pour «permettre à notre football de rebondir vite», de mettre à la touche tous ces acteurs qui gaspillent notre énergie et nos ressources dans des conflits de clochers, au lieu de nous faire progresser vers l’atteinte de nos ambitions sportives.
En tout cas, quelle que soit l’issue de la «médiation de la dernière chance» (qui a livré ses conclusions jeudi dernier lors d’un point de presse), l’Etat doit prendre «toutes ses responsabilités» pour nous épargner de telles pertes de temps et d’énergie. Le ministère des Sports doit s’assumer pour que, plus jamais, notre football ne soit pris en otage par des gens qui ne pensent qu’à eux, qu’à leur fauteuil, et aux avantages qui y sont liés. Les plus hautes autorités doivent sévir (à l’interne des sanctions ciblées peuvent être prises sans que cela n’apparaisse comme une ingérence politique aux yeux de la Caf et de la FIFA) pour imposer un management responsable, pragmatique et patriotique du sport malien, notamment du football. C’est la condition sine qua non pour que les Aiglonnets, les Aiglons et les Aigles puissent continuer à nous faire vibrer aux frissons, à rehausser l’image de notre patrie, à nous réunir pour partager des moments magiques et inoubliables, comme celui que les Aiglonnets viennent de nous procurer sur la Cordillère des Andes, au Chili !
Moussa BOLLY