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Abdoul Karim Samba, leader des Mouvements de résistance civile de Gao : «L’Etat nous a fait des promesses, mais on ne voit rien concrètement»
Publié le jeudi 19 novembre 2015  |  Le Prétoire




«Les Patriotes», «les Patrouilleurs» et les «Nous pas bouger». Voilà des mouvements de résistance qui furent créés par les jeunes de Gao pour mener la résistance civile, au plus fort de la crise. Désormais, ces trois mouvements ne parlent plus que d’une seule voix. Dans un entretien qu’il nous a accordé, Abdoul Karim Samba, porte-parole de la coordination des mouvements de résistance civile de Gao, parle de leurs rapports avec l’Etat, la Minusma et le Conseil régional de la jeunesse. Aussi, se prononce-t-il sur l’avenir desdits mouvements, ainsi que leurs sources de financement. Nous vous proposons ici l’interview.
Le Prétoire: Des mouvements qui évoluaient de façon parallèle hier cheminent ensemble aujourd’hui. Vous, en tant que responsable de ce regroupement, pouvez-vous nous expliquer comment vous en êtes arrivés là ?
Abdoul Karim Samba: Seulement, les gens ont essayé de nous divertir, sinon, en réalité, il n’y a jamais eu de différence entre ces mouvements-là. Un moment donné, il y avait un peu de différence et celle-ci était relative aux objectifs. C’était une stratégie que nous-mêmes avions mise en place. Il fallait avoir trois à quatre mouvements pour étouffer les occupants du jour. Après la reconquête, nous nous sommes dit qu’il était nécessaire de conjuguer les efforts. Il le fallait pour sortir de l’ombre, pour rechercher l’intérêt des jeunes de Gao et l’éveil de la conscience de la jeunesse malienne de façon générale. L’impact positif, c’est qu’il y a désormais une seule personne qui parle au nom des trois mouvements. C’est ainsi dire que nous sommes des frères unis, et que l’intérêt général de Gao ne peut se trouver que dans cette union-là.
Vos mouvements ont été créés au plus fort de la crise pour tenir tête à l’envahisseur. Maintenant que la phase de reconquête est terminée, et que le Mali est engagé dans un processus de réconciliation nationale, quel rôle entendez-vous y jouer ?
Notre rôle, c’est d’unifier le Mali. Nous y sommes d’ailleurs engagés bien avant la signature de l’Accord, à travers notamment des campagnes de sensibilisation et des fora. Nous avons organisé des caravanes un peu partout, de Gao jusqu’à Labézanga, à la frontière Mali-Niger. A travers ces caravanes, nous avons voulu montrer à l’opinion nationale et internationale ce qu’on doit faire pour revivre ensemble et éviter l’amalgame. C’est vrai, ceux qui nous ont terrorisés avaient la peau rouge, mais beaucoup d’autres peaux-rouges n’ont rien à voir avec tout cela. Après ça, il y a eu les négociations d’Alger, puis la signature de l’Accord qui a été faite à deux niveaux. Nous allons poursuivre nos relations avec l’Etat qui doit mettre les moyens à la disposition des organisations féminines et des mouvements de jeunes pour pouvoir les aider dans leurs missions. Celles de réconcilier les cœurs et les esprits.
Justement, quelles sont ces relations avec l’Etat dont vous parlez ?
Nous n’avons pas une relation extraordinaire avec l’Etat. Un moment donné, nous avons envisagé de nous dresser contre l’Etat parce que, pendant l’occupation, c’est nous qui avons brandi le drapeau du Mali ici à Gao. C’est nous qui avons organisé des marches de protestation pour dire non aux djihadistes. C’est aussi nous qui avons récupéré tous les documents administratifs de l’Etat au moment de la crise. Il y a eu des blessés et même des morts dans nos rangs, dans notre détermination à défendre l’intégrité territoriale du Mali. C’est nous qui chantions l’hymne national devant le Mnla et d’autres mouvements armés séparatistes qui ont occupé le Nord. Mais on n’a pas eu une satisfaction de la part de l’Etat jusqu’à l’heure où je vous parle. L’Etat a essayé de nous amener sur un terrain de distraction. L’Etat a essayé de créer la zizanie au sein de la jeunesse de Gao. Parce que pour mieux régner, il faut diviser. Nous nous sommes dit que le Mali, c’est le Nord et le Sud, pas l’un ou l’autre.
Vous avez tantôt parlé de zizanie. Beaucoup d’observateurs ont l’impression que les mouvements de résistance surplombent aujourd’hui le Conseil régional de la jeunesse à Gao. Quels sont alors vos rapports avec le CNJ, bureau de Gao ?
C’est juste une question d’interprétation. Sinon, il n’y a pas un membre des mouvements de résistance qui n’est pas membre du Conseil régional de la jeunesse. Mais ce qui se passe, c’est que nous n’avons pas la même philosophie. Il s’est avéré que les mouvements de résistance n’ont pas la même vision que le Conseil régional de la jeunesse, parce que ce dernier s’inscrit en droite ligne des objectifs de l’Etat. Les mouvements de résistance, quant à eux, n’ont d’autres objectifs que la sécurisation des personnes et de leurs biens et tout ce qui rentre dans l’intérêt supérieur de la population de Gao. Le Conseil national de la jeunesse du Mali est instrumentalisé par l’Etat. Il joue la politique de l’Etat. Cela ne rentre pas en droite ligne de nos objectifs. Parce que la crise nous a montré beaucoup de choses. Nous nous sommes dit qu’après avoir aidé l’armée malienne à reconquérir le Nord, il faut lutter pour la réinsertion économique de la jeunesse de Gao. Les mouvements de résistance sont aujourd’hui délaissés par l’Etat. Les efforts fournis par ces mouvements de Gao ne sont pas reconnus par les plus hautes autorités du Mali, et cela est frustrant.
Il nous revient que les mouvements de résistance et les autorités administratives régionales ne sont pas en bons termes, parce que ces dernières vous qualifieraient souvent de gouvernement local. Faut-il comprendre que vous êtes devenus puissants au point de devenir une menace pour l’autorité de l’Etat ici à Gao ?
Vous savez, la loi du peuple est plus forte que la loi elle-même. Les mouvements de résistance ont un atout : l’adhésion de la population. Toutes les actions que nous avons menées ont produit des fruits pour la population. Le dernier acte en date est celui des transports. C’est l’ensemble de la population qui a soutenu cette cause. On a mené beaucoup d’activités de ce genre. Toute chose qui fait que, aujourd’hui, grâce à notre engagement pour la population, il y a eu un éveil de conscience à tous les niveaux. Si nous voyons quelque chose qui ne va pas, nous nous engageons pour chercher une solution, pas pour satisfaire l’Etat, mais plutôt la population de Gao. C’est notre seul objectif. L’adhésion de la population à nos actions est devenue comme une menace pour l’Etat. Les milliards que l’Etat a investis à Kidal ont été utilisés par certains pour acheter des armes et se retourner contre le même Etat. On s’est dit qu’il faut arrêter.
Est-ce que vous avez des armes à feu, vous aussi ?
On n’a pas d’armes à feu. Nous ne sommes pas des militaires.
Vous patrouillez donc les mains nues ?
On patrouillait avec des gourdins et des haches. Si on avait d’autres armes, celles que nous avons récupérées, nous n’allions pas les remettre à l’Etat. Nous ne sommes pas armés, c’est d’ailleurs pourquoi on nous appelle les mouvements de résistance civile. Tout ce qu’on a eu à faire, on l’a fait avec les mains vides, pas avec des armes.
Comment voyez-vous l’avenir de ces différents mouvements de résistance. Faudrait-il bien qu’ils disparaissent à un moment donné, non ?
Les mouvements ne vont pas disparaître. Nous serons l’épicentre de l’éveil de conscience de la jeunesse du Mali. Cela, je le promets. Nous allons partager l’expérience que nous avons vécue, du début de la crise à nos jours, avec nos frères, de Kayes à Kidal. Il faut faire en sorte qu’à l’horizon 2030 ou 2040, les Maliens soient conscientisés à 80%. En ce moment, on mettra l’intérêt général au dessus de celui individuel. La lutte est difficile mais il faut la mener. Il faut que nos jeunes frères et nos enfants puissent bénéficier des actes que nous aurons à poser. Donc, en ce qui concerne l’avenir de ces mouvements, je crois que ça promet.
Est-ce que l’Etat malien vous a promis quelque chose ?
Les promesses ne manquent pas. L’Etat ne nous a jamais découragés, mais on ne voit rien concrètement. La police municipale qui est prévue dans l’Accord, c’est une proposition des mouvements de résistance. Mais, il s’est avéré que les responsables des différents mouvements sédentaires ont été divertis par l’Etat qui les a détachés des autres pour mieux régner.
Est-ce que vous êtes prêts par exemple à intégrer les forces armées de défense et de sécurité ?
Nous, on est prêt. Ce n’est pas pour vexer quelqu’un, mais l’expérience nous a démontré en 2012 que les sudistes étaient plus nombreux ici que les gens du Nord. Cela a facilité le repli. Donc, si on donne la chance à ces jeunes, en les intégrant et en les formant, cela va renforcer les capacités de l’Etat en termes de défense. La jeunesse de Gao est engagée à intégrer l’armée, la gendarmerie, la protection civile pour défendre le terroir.
Quels sont désormais les rapports de la jeunesse de Gao avec la Minusma après les évènements de janvier 2014, lors desquels 3 habitants de Gao sont tombés sous les balles des forces de la mission onusienne ?
On a été très clair avec la Minusma. Pour qu’il y ait une bonne collaboration entre elle et nous, il faut obligatoirement que justice soit faite. Nous avons eu satisfaction à ce niveau, parce que le coupable a été connu. C’est le contingent rwandais qui a posé l’acte. Les coupables ont été sanctionnés car ils ne sont plus sous le drapeau de l’ONU et les familles des victimes ont été dédommagées. Cela a été un soulagement à notre niveau, mais nous restons sur nos gardes. Nous savons que cela n’arrange pas la Minusma que ce problème finisse aujourd’hui, mais nous reconnaissons qu’elle est venue nous aider. Nous devons donc l’aider dans cette tâche. Toutefois, nous n’allons pas accepter certains paramètres qu’elle essaie d’ouvrir. La résistance de Gao joue un rôle extraordinaire dans la stabilisation du Mali.
Après tout, quels sont vos sources de financements ?
On n’a pas de financements.
Alors, comment vous faites pour financer vos activités, notamment les patrouilles ?
Ce sont les ONG à but humanitaire qui nous faisaient des dons. Le Conseil des sages a aussi décidé que chaque quartier contribue. Les enfants de Gao qui se trouvent à l’extérieur ont aussi contribué. En dehors de ceux-ci, il y a 202 associations féminines qui sont affiliées à ces mouvements-là. Chaque dimanche, la représentante de chacune de ces associations apporte 250 FCFA. Imaginez-vous ! Donc, nos financements proviennent de nous-mêmes.
Realisée par Bakary SOGODOGO
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