Après un court conflit contre le Burkina Faso en 1985 et un cycle d’affrontements entre rebelles touaregs et armée malienne depuis l’indépendance en 1960, l’Etat malien se prépare à la guerre la plus importante de sa jeune histoire.
Suite à l’offensive des rebelles indépendantistes touaregs en janvier, au coup d’Etat du 22 mars et à la conquête du Nord par les jihadistes en avril, le Mali joue aujourd’hui une partie de sa culture et quelques centaines de milliers de kilomètres carrés de son territoire.
Entre 300 000 et 400 000 personnes ont dû fuir à l’étranger ou dans d’autres régions du Mali. Depuis l’application de la charia, sept personnes ont été amputées et un couple lapidé à mort.
Après des mois de conflits internes au Mali (agression du Président par intérim, affrontements entre militaires, lutte pour le pouvoir entre putschistes et autorités de la transition), une solution militaire se dessine. Les hommes du commandant Amadou Aya Sanogo, meneur de l’ex-junte du Comité national pour le redressement de la démocratie et la restauration de l’Etat (CNRDRE), ont finalement accepté le déploiement d’une force ouest-africaine dont le quartier général sera à Bamako.
Par effet domino, l’accord entre le Mali et ses voisins pourrait inciter l’ONU à cautionner une intervention militaire. Dans une prudente résolution, le Conseil de sécurité s’était déclaré en juillet « prêt à examiner plus avant la demande de la Cédéao dès qu’il aura obtenu davantage de précisions sur les objectifs, les moyens et les modalités du déploiement envisagé et sur d’autres mesures possibles ».
Une conférence internationale sur le Sahel se réunit ce mercredi à New York en marge de l’Assemblée générale des Nations unies afin de franchir une nouvelle étape.
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Quels sont les obstacles à une intervention militaire ?
Une intervention militaire concertée et validée par la communauté internationale ne serait pas pour autant synonyme de succès immédiat.
En dehors du Burkina Faso et du Niger, les voisins du Mali ne se bousculent pas pour voler à son secours. Principales puissances militaires de la Cédéao, le Sénégal, la Côte d’Ivoire et le Nigeria ont tous fort à faire avec leur propres problèmes.
Très critique à l’égard de l’inconséquence du Mali face à la menace terroriste ces dernières années, la Mauritanie – non membre – n’envisage pas d’intervenir sans un feu-vert de l’ONU.
Mobiliser, déployer et assurer la logistique des quelque 3 000 combattants nécessaires réclame par ailleurs du temps et de l’argent. « C’est à la portée de nos amis africains », a estimé le ministre français des Affaires étrangères Laurent Fabius le 24 septembre à New York.
Le faux bond de l’Algérie
Mais le grand faux bond est pour le moment à mettre au compte de l’Algérie. Alger ne souhaite pas un déploiement de troupes dans le Nord-Mali frontalier (encore moins d’une présence française) mais n’a jusqu’à présent pas fait grand-chose pour aider son voisin à se débarrasser d’Aqmi, dont les leaders sont souvent des Algériens issus du Groupe islamique armé (GIA) et du Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC).
L’ONG International Crisis Group écrit dans un récent rapport [PDF] :
« Chacun sait que [l’Algérie] est, de loin, le pays capable d’exercer une pression forte sur les groupes. [...] La rupture de l’alliance stratégique informelle entre le Mali et son puissant voisin nord-africain au cours des dernières années de présidence ATT est un élément important d’explication de la facilité avec laquelle les islamistes d’Ansar Dine et d’Aqmi ont pris le contrôle du Nord-Mali.
L’Algérie n’est pas intervenue lorsque les rebelles se sont emparés de la ville stratégique de Tessalit, qui est très proche de la frontière, et n’ont pas non plus aidé les forces maliennes à tenir Kidal, malgré l’existence d’un comité d’état-major opérationnel conjoint (Cemoc) des pays du champ (Mali, Mauritanie, Niger et Algérie) basé à Tamanrasset, dans le Sud algérien. »
Autre épine dans le pied d’une intervention militaire : le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Les rebelles touaregs indépendantistes cherchent désespérément à sauver la face après avoir fait la girouette pendant des mois. Ses combattants avaient lancé les hostilités contre l’armée malienne en janvier, avant de proclamer en avril l’indépendance de « l’Azawad » une fois conquises les grandes villes du Nord avec l’aide des islamistes, qu’ils avaient pourtant juré de combattre.
Rapidement chassés par leurs alliés de circonstance, ils ne contrôlent plus que quelques localités et menacent maintenant de s’allier à nouveau avec « les islamistes et les terroristes » si un accord n’est pas conclu avec l’Etat malien avant une intervention.
Le rêve d’un « Azawad » indépendant, condamné par la communauté internationale et, jusqu’à preuve du contraire, non souhaité par la majorité des populations du Nord, est d’ores et déjà évanoui.
La crainte d’une intervention extérieure
A Bamako, une partie de la société civile menée par des organisations favorables au coup d’Etat et considérant la Cédéao comme une marionnette de la Françafrique est toujours opposée à une intervention étrangère. L’heure est cependant à la démobilisation parmi ces groupes, suite au traumatisme de l’agression de Dioncounda Traoré en mai, pour laquelle certains de leurs responsables ont été condamnés. La Coordination des organisations patriotiques du Mali (Copam) a appelé à manifester vendredi. La semaine dernière, une manifestation similaire n’avait réuni que quelques dizaines de personnes.
Enfin, une intervention armée menacerait de réveiller toutes les rancœurs et les désirs de vengeance enfouis depuis des décennies et ravivés en 2012. Les répressions des précédentes rébellions ont été marquées par des massacres de civils touaregs et l’engagement de milices dans le conflit, officiellement condamné par le gouvernement mais en pratique encadré par lui, risque de libérer les violences intercommunautaires entre Noirs et « Blancs » (Maliens touaregs et arabes).
De fait, la situation qui prévaut aujourd’hui dans ces régions est celle de chefs algériens ou Maliens arabes ou touaregs qui dominent et imposent une charia à des populations majoritairement noires.
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Pourquoi l’option de la négociation est-elle au point mort ?
Officiellement, le Mali est ouvert à la négociation. Dioncounda Traoré, à l’occasion du 52e anniversaire de l’indépendance du Mali, a déclaré le 22 septembre :
« Puisque nous la préparons, nous ferons la guerre s’il ne nous reste plus d’autre choix. Mais nous réaffirmons ici que notre premier choix reste le dialogue et la négociation. Notre deuxième choix reste le dialogue et la négociation. Notre troisième choix demeure le dialogue et la négociation. »
La guerre fait pourtant l’objet de plus d’empressement. Le 29 juillet, après son retour au Mali suite à son agression, le Président de la transition avait souhaité la création d’une Commission nationale aux négociations. Il a annoncé le 22 septembre « qu’à l’issue des assises nationales qui se tiendront dans les jours prochains [...], des contacts seront établis en vue d’engager des négociations sincères dans le respect strict de l’intégrité territoriale et de la laïcité de la République ».
Ces « assises » ou cette « concertation nationale » maintes fois annoncées n’étant pas pour tout de suite et les jihadistes se disant ouverts à la négociation... Tant qu’on accepte la charia, autant dire que les négociations ont peu de chance d’aboutir.
En l’absence de négociateurs officiels, le dialogue avec les occupants n’est donc pour l’instant que le fait d’initiatives personnelles peu transparentes, voire suspicieuses. Le député pro-putsch Oumar Mariko a rencontré une délégation d’Ansar Dine dans un but inconnu. Quant à la Coalition pour le Mali, composée notamment du Collectif des élus du Nord boutés hors de leurs circonscriptions, certains de ses membres sont revenus du Nord porteurs d’un discours très conciliant à l’égard de la charia et des groupes armés.
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Après l’Afghanistan, une nouvelle guerre française ?
Ancienne colonisatrice du Mali et cible désignée par Al Qaeda du temps d’Oussama Ben Laden, la France est en première ligne dans la poudrière sahélienne, même si le ministre français des Affaires étrangères préfère la présenter comme « un facilitateur ».
Une retenue essentielle puisque trois otages français ont été tués aux mains d’Aqmi depuis 2010 et six sont toujours captifs. AQMI a récemment menacé de tuer certains d’entre eux. Une façon de dissuader la France d’intervenir, alors que Paris a promis d’apporter un « soutien logistique » à la future force africaine.
Mardi à New York, Laurent Fabius a redit :
« Il ne s’agit pas d’envoyer des troupes françaises au sol, il n’en est pas question. C’est aux Africains, sous mandat des Nations unies, de mener les actions nécessaires. Nous qui sommes opposés au terrorisme, si nous pouvons aider d’une manière ou d’une autre, nous le ferons. »
Difficile pourtant d’imaginer que l’armée française n’engagerait pas ses hommes du Commandement des opérations spéciales (COS) présents au Burkina Faso – et intervenus en vain en janvier 2011 pour tenter de libérer deux otages français enlevés à Niamey – en soutien aux forces africaines.
Bien que notables, les intérêts économiques de la France au Mali ne sont pas aussi importants que le laissent penser les pourfendeurs d’une France jugée néocolonialiste. Parmi les pays de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), le Mali se situe au cinquième rang (chiffres 2010) au niveau des échanges (imports et exports). Derrière le Sénégal, le Niger, le Bénin et la Côte d’Ivoire, où la France était intervenue en 2011 sous mandat de l’ONU pour renverser Laurent Gbagbo.
« Nous avons le devoir d’agir, d’agir ensemble et d’agir vite, car il y a urgence », a déclaré mardi François Hollande à la tribune des Nations unies, écouté par les quelque 4 500 Français du Mali et les dizaines de milliers de Maliens de France.... suite de l'article sur Rue89