«Nous les Mourabitoune, avec la participation de nos frères (…) d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, revendiquons l’opération de prise d’otages à l’hôtel Radisson». C’est le message-vidéo envoyé par les présumés auteurs de l’attentat du vendredi dernier. «Nos frères d’Al Qaïda au Maghreb islamique» ? Et pourtant, le chef des «Mourabitoune» ou Almoravides, Mokhtar Belmokhtar et non moins auteur des attentats du site gazier d’Al Minas en Algérie, de l’Hôtel de Sévaré et de la «Terrasse à Bamako», avait été destitué et a lui-même annoncé sa rupture d’avec AQMI en 2012. Alors que penser de ces sanglantes retrouvailles ? En clair, le Mali fait désormais face à une union sacrée des djihadistes. Et il faut craindre que l’attentat de Radisson ne soit que le prélude d’une série d’opérations similaires. Selon toute évidence, Mokhtar Belmokhtar alias «le Borgne», ou encore «Mister Marlboro» a entrepris de réaliser son vieux rêve: créer un Etat islamique dans le creuset du Mali. Et aussi curieux que cela puisse l’être, ses potentiels «alliés» ont été jadis le MNLA et aujourd’hui, les autorités maliennes; son pire ennemi ? L’Etat Islamique ou DAESH ! Incroyable oui, mais vrai ! Décryptage !
C’est bien le Groupe Al Mourabitoune, de son vrai nom, «Al-Mourabitoune-Al-Qaïda du jihad en Afrique de l’Ouest» dirigé par Mokhtar Belmokhtar qui a revendiqué l’attentat de «Radisson». Et le message précise qu’y ont participé, «les frères d’Al Qaïda au Maghreb islamique». Le détail a toute son importance. Et pour cause.
Et pourtant, la rupture était consommée
«Al-Mourabitoune» est un groupe armé né en août 2013 de la fusion du «MUJAO» (Mouvement pour l’Unicité du Jihad en Afrique de l’Ouest) et des «Signataires par le sang» (El-Mouaguiine Biddam) dont le chef n’était autre que Moctar Belmoktar auparavant bras-droit du n°1 d’AQMI à savoir, Abdelmalek Droukdel. Mais pour des raisons idéologiques, voire de méthodologie, les deux hommes sont toujours restés divisés. Quelques passages du document découvert à Gao à la suite des de l’intervention militaire française en disent long sur les relations tumultueuses entre eux, au moment des faits. En voici quelques-uns.
Droukdel demande par exemple des comptes à propos «de la quantité considérable d’argent» qu’il lui a remis pour acheter «du matériel militaire». Il accuse en outre Belmoktar en ces termes: «Combien de rapports financiers et administratifs avez-vous envoyés à votre Emirat, et que nous attendons toujours? (…) Tu n’as obtenu que 700 000 euros de l’otage [le diplomate canadien Robert Fowler] qui pesait quand même plus lourd que ça ! (…) Tu parles sans cesse à la presse mais dès que je cherche à te joindre sur ton téléphone satellitaire c’est toujours coupé!» (Source : agence de presse américaine – Associated Press).
Selon toute évidence, l’allégeance de Belmoktar à AQMI dont il était le N° 2, et plus précisément à son chef Abdelmalek Droukdel n’était pas tout à fait acquise. Dans les faits, la divergence entre les deux hommes remontent plus loin, à l’époque du GSPC Algérien et d’Al Qaïda d’Ossaman Ben Laden auquel Belmoktar était plus proche que du groupe salafiste Algérien. En clair, on voyait la rupture venir au regard des correspondances de Droukdel. Elle arriva.
Décembre 2012, Mokhtar Belmokhtar, annonce la création des «Signataires par le Sang» : objectif «instauré la charia» dans le Nord du Mali en prélude à la conquête de tout le Sahel. Il s’installe à Gao, alors occupé par le MUJAO dont l’objectif demeure le même : conquérir l’Ouest du Continent et y instaurer la Charia. En Octobre 2013, il (Belmokhtar) est destitué par Abdelmalek Droukdel. La rupture était donc définitivement consommée depuis cette date (2013).
Mais l’on apprend ce vendredi suite à l’attentat de Radisson à Bamako, que les « frères (…) d’Al-Qaïda au Maghreb islamique» ont participé à l’opération revendiqué par Al-Mourabitoun. Il y a eu manifestement «un petit arrangement entre frères jihadistes». Mais à quel prix et dans quelles conditions ? Là est la question !
Le mode opératoire de l’attentat de ce vendredi laisse entrevoir non seulement le rapprochement entre les deux tendances, mais aussi et surtout, donne des indications précises sur leur stratégie de conquête et d’islamisation du Mali et du reste du Sahel.
Une campagne de séduction qui ne dit pas son nom
Quels sont les points communs entre les attentats revendiqués par Al-Mourabitoune au Mali, de «La Terrasse» en passant par Sévaré pour en arriver à ce vendredi fatidique à l’Hôtel Radisson ? Eh bien les voici: les cibles sont partout les mêmes, à savoir, les expatriés et les militaires maliens. Dans les trois cas, les autres victimes (civiles maliennes et musulmanes en l’occurrence) peuvent être qualifiées de collatérales puisque n’ayant nullement été particulièrement visées par les assaillants au contraire de celles de Boko Haram et de DAESH (Etat Islamique). En clair, tout se passe selon le plan de conquête et de séduction préconisé par le N°1 d’Al-Qaïda, à savoir, Abdelmalek Droukdel auquel Belmokar vient de rallier.
C’est en Février 2012, après l’intervention militaire française que les confrères de RFI et de «Libération» ont pu mettre la main sur un document authentique et inédit abandonné à la suite de la débandade des troupes d’occupation. Le document en question se trouvait dans les locaux saccagés de l’Office de radiodiffusion télévision du Mali (ORTM) qui abritaient la «commission presse» d’Ançar-Dine d’Iyad Ag Ali. La note, comparée à raison à une véritable feuille de route, est rédigée en Arabe par Abdel Malek Droukdel et explique la stratégie visant à établir un état islamique de l’Azawad au nord du Mali.
Voici les commentaires de Jean-Louis Le Touzet, grand reporter à Libération, l’un des journalistes à l’origine de la découverte dudit cahier.
«Conquérir les esprits et les cœurs»
Selon Jean-Louis Le Touzet le chef d’Aqmi, l’Algérien Abdelmalek Droukdel «contextualise la situation»: il estime «très probable, voire certaine, l’intervention militaire occidentale». Ainsi, en tenant compte de «ce facteur important», il convient, affirme Droukdel, «d’éviter les excès, de ne pas prendre de décisions risquées et ne pas déjà considérer le projet islamique comme un Etat stable car ceci est encore prématuré.». Droukdel poursuit en cultivant la métaphore agricole : «si notre projet devait tomber à l’eau pour quelque raison que ce soit, nous nous contenterons d’avoir planté une bonne graine dans le bon terreau que nous avons fertilisé avec un engrais qui aidera l’arbre à pousser jusqu’à devenir haut et robuste, même si cela prendra du temps.». Pour que cet «arbre» pousse, il faut capter la confiance des populations et afficher une position «de retrait» afin de ne pas «intéresser» les puissances occidentales: «Ne pas avoir une grande visibilité sur la scène politique. Ne pas être sur le devant de la scène militaire car ceci n’est pas dans notre intérêt à l’heure actuelle». Et Droukdel de recommander une forme de partenariat avec le MNLA et le MAA pour, d’une part, pour «endosser la responsabilité commune en cas d’échec et, d’autre part, unifier les forces militaires nécessaires pour mener des actions d’envergure à l’international».
La feuille de route de Droudkel
«Bien que les grandes puissances influentes sur la scène internationale ne soient pas en position de force à cause de leur épuisement sur le plan militaire et de la crise financière, elles continuent néanmoins à disposer de plusieurs cartes leur permettant d’entraver la création d’un Etat islamique dans l’Azawad sous le pouvoir des jihadistes islamiques… Par conséquent, il est très probable, voire certain, qu’elles entreprennent une intervention militaire […].»
Ce peuple de l’Azawad est l’un des peuples islamiques combattants qui défendra l’islam (…) Il ne faudra pas avoir une grande visibilité sur la scène politique. Ne pas être sur le devant de la scène militaire car ceci n’est pas dans notre intérêt à l’heure actuelle.»
«Ce nouveau-né [l’Etat Islamique] n’en est qu’à ses premiers jours. Si nous voulons [qu’il] grandisse dans un monde truffé d’ennemis puissants et prêts à l’achever, il faut le traiter en douceur et l’aider à grandir» […] Nous devons y associer les principaux acteurs, le MNLA et le Mouvement arabe de l’Azawad (MAA)… Nous ne serons pas les seuls à endosser la responsabilité d’un échec, ensuite, la gestion des défis aux niveaux extérieur, régional et international est une mission qui dépasse nos moyens militaires, financiers et administratifs (…) ».
« Votre grave erreur est d’avoir mené la guerre contre le MNLA (…) On ne peut pas demander aux membres du MNLA de devenir salafistes et de rejoindre les rangs d’Ansar Dine du jour au lendemain… Parmi vos politiques insensées, la précipitation dans l’application de la charia […]. L’expérience a prouvé que l’application de la charia sans en calculer les conséquences repousse les populations et font détester les moujahidin et conduit à l’échec de toute expérience… Voici des erreurs à ne plus commettre : la destruction des mausolées et l’application de la sentence de la flagellation pour fornication […]. Les responsables doivent respecter les présentes directives»…
Se faire accepter par les populations
Roland Marchal, chercheur à Sciences-Po et spécialiste de la Somalie et des shebab, que nous avions rencontré à Bamako traduit en langage clair, les intentions d’AQMI dans leJDD.fr: «On voit clairement l’ambition d’une construction d’un Etat islamique avec, dans une certaine mesure, l’ambition d’une certaine idée du bien public et pas simplement d’un simple jihad. Concrètement : s’installer et voir ensuite comment prend la greffe. Il y a une réflexion approfondie sur ce que veut dire gouverner. On voit qu’il faut se faire accepter de la population. Pour nous Occidentaux, il faut aussi accepter, que cela nous plaise ou non, que le peuple, lui, n’est pas laïc».
Nul besoin de passer par la Sorbonne pour comprendre les fondements de cette stratégie d’AQMI consistant à s’attirer la sympathie des populations surtout maliennes. Les actes consistant à cibler les seuls occidentaux (comme tirer sur les malheureux incapables de réciter la profession de foi –Kalmat Chahad), les symboles de l’Etat et épargner ainsi des populations majoritairement musulmanes voire fondamentalistes, est simplement un moyen de leur dire: «Tranquille ! On est avec vous, pas contre vous !». Toute chose qui reste à prouver. Mais selon toute évidence, le message passe. Et c’est de bien de cette manière que le MNLA est passé à la trappe.
L’état d’urgence : le piège !
Cette autre stratégie des assaillants consiste à pousser les autorités locales à la faute, disons, à l’erreur comme l’illustre cette annonce précipitée d’un état d’urgence quelques heures seulement après l’attentat à l’Hôtel Radisson.
On le sait : les djihadistes recherchent alliés et sympathisants au sein des populations déjà prédisposées. Il devra donc s’agir pour les autorités de Bamako d’éviter d’offrir la moindre opportunité aux indécis. Vu sous ce prisme, un état d’urgence s’avère –t-il la meilleure option ? Pas certain. Et pour cause.
Un état d’urgence, tout comme un état de siège ou un couvre-feu, s’avère une mesure très contraignante et par conséquent impopulaire, dans la mesure où certaines libertés individuelles et publiques seront réduites pendant que les pouvoirs de police seront renforcés. Ce, dans un contexte régulièrement marqué au Mali par des actes de dérives de la part de certains représentants et exécutants de l’Etat. En somme, occasion est offerte à certains de ces détenteurs d’une parcelle de pouvoirs, de s’adonner à leur sport favori, à savoir, l’abus, l’arnaque, sur fond de tracasserie… Toutes choses susceptibles de grossir le rang des mécontents et de gonfler le nombre des admirateurs des jihadistes dont l’objectif, rappelons-le, est justement de recruter davantage d’«aigris», déjà conditionnés.
En clair, si dans le cas français l’état d’urgence s’imposait de fait, il ne le semble guère au Mali. De part et d’autres, les assaillants sont différents tout comme le mode opératoire, l’objectif et les cibles. Il s’agit d’une mesure contreproductive. Et tout indique que cette démarche des autorités maliennes répond parfaitement au souhait des assaillants lesquels restent ne seraient certainement pas affectés par la décision. Mais les populations, si. .
Les Etats : victimes de la guerre entre Djihadistes DAESH – AQMI
Les attentats perpétrés par Al-Mourabitoune seraient, en outre, la résultante d’une guerre au sein des entités djihadistes. On le sait : Boko Haram a fait allégeance à DAESH ; Al Mourabitoune a visiblement décidé d’harmoniser son point de vue avec AQMI ; et DAESH ou Etat Islamique a décidé d’abattre AQMI et alliés au profit de Boko Haram. Une question de l’ami de mon ami et de l’ennemi de mon ami ! Mieux, les deux entités cherchent chacune à créer son «Etat Islamique». DAESH a cependant d’autres raisons à vouloir éliminer ses concurrents. Elles sont d’ordre historique.
Le Calife autoproclamé de l’Etat Islamique ou DAESH, Ibrahim Awad Ibrahim Ali al-Badri, dit Abou Bakr al-Baghdadi al-Husseini al-Qurashi, n’est pas reconnu par les groupes d’obédience salafiste opérant dans le Sahel, à savoir AQMI et Al Mourabitoune, beaucoup plus proches d’Al Qaïda tout comme les Talibans Afghans et fidèles à son chef, Ayman al-Zawahiri le successeur de Ben Laden.
Pour ce motif, le Calife Abou Bakr al-Baghdadi, à travers sa section libyenne a lancé un avis de recherche voire de liquidation de Belmoktar, voire des leaders d’AQMI et alliés. Ce qui, soit dit en passant explique le rapprochement entre les Belmoktar et Droudkel. Pour sa part, Abou Bakr al-Baghdadi doit son succès à sa présumée descendance de la lignée d’Ali de Badr, l’un des bras armés du prophète Mohamed (PSL) lors des guerres saintes au moment des faits. Mais cela, Belmokar et Droudkel ne semblent avoir cure.
En tout état de cause, les deux principales tendances djihadistes (DAESH et ALQAÏDA), se livrent désormais à une guerre d’occupation et d’influence sur le terrain avec, bien entendu, deux approches différentes et hélas, de nombreuses victimes innocentes. Et l’on notera, avec regret, qu’un attentat d’envergure de DAESH est immédiatement suivi d’un autre d’AQMI dans le Sahel. Et vice- versa. Ceci explique, malheureusement cela. Mais au nom de quoi ? Il s’avère, en tout état de cause, primordial pour les acteurs, et les populations en particulier, de prendre conscience de la réalité des faits. Et à nos gouvernants de comprendre qu’il n’y a plus place à l’amateurisme, au suivisme aveugle et à l’approximatif. L’heure est grave !
B.S. Diarra