Quelques heures seulement après la tragédie de l’hôtel Radisson, la réponse de l’État malien ne s’est pas fait attendre. Aussitôt rentré de Ndjamena, le chef de l’Etat a pris les choses en main, convoqué le conseil des ministres dans la soirée du vendredi, décrété l’état d’urgence et adressé un message à la nation pour informer le pays du drame et l’assurer en même temps de la forte volonté de l’État à répondre comme il se doit. L’acte barbare et lâche perpétré par des individus sans foi ni loi méritait une réponse déterminée. L’état d’urgence pris par le Décret 2015 – 0752 / P RM du 20 novembre 2015 fait partie de celle-ci et nous place ainsi, sur tout le territoire, dans une période d’exception. Il est impératif que nous en percevions la gravité et que nous nous organisions, sous l’égide des autorités publiques, pour qu’il soit efficace dans la lutte contre la terreur.
La Constitution en ses articles 49 et 72, traite de l’état d’urgence et de l’état de siège. Elle indique que les autorités publiques peuvent les décréter face à des situations données et pour des durées précises (10 jours pouvant être prorogés pour trois mois par l’Assemblée nationale). De manière spécifique, la Loi 87-049 du 10 août 1987 fixe les contours de l’état d’urgence et de l’état de siège. Elle explique dans quelles circonstances l’état d’urgence se justifie et surtout détaille les pouvoirs supplémentaires conférés aux autorités administratives et donc les restrictions de liberté pour les citoyens. Ce texte offre ainsi la possibilité aux autorités de restreindre les mouvements, instituer des zones de sécurité ; assigner des personnes à résidence, interdire la circulation des personnes ou des biens, fermer des lieux publics, limiter ou interdire les réunions publiques ou privées…Il permet également à l’autorité administrative de réquisitionner les personnes, les services ou les biens au sens de ce qui est prévu par la Loi 87-048 relative à ce pouvoir donné à l’État en période d’exception. La Loi 87-049 est complétée par le Décret 247 PGRM du 28 septembre 1987 qui fixe ses modalités d’application. Ce texte précise essentiellement quelle administration aura en charge de mettre les différents pouvoirs donnés par la Loi 87-049.
Le cadre est ainsi établi par l’État, les différents départements ministériels, impliqués selon le Décret 2015 – 0752 / P RM du 20 novembre dernier doivent préciser, en ce qui le concerne, les contours de l’action étatique dans le cadre de l’état d’urgence institué. Ils le feront par des règlements qui devraient être pris dans les meilleurs délais. Ce dispositif présente la réponse de l’État face au péril terroriste. Il est approprié et conforme à nos textes. Il reste à le faire vivre et à communiquer autour de lui pour amener les maliens à en comprendre les différents aspects et à collaborer à leur efficacité. C’est ce que le Chef de l’État a commencé de faire dans son adresse à la nation. Il est souhaitable que d’autres actions puissent suivre, notamment en direction des Institutions. Il peut être envisagé par exemple que le chef de l’État communique en direction de l’Assemblée nationale en faisant lire solennellement par le Président du parlement, conformément à l’article 43 de la Constitution, un message de mobilisation des élus nationaux. La même démarche, prévue également dans la Constitution, peut être envisagée vers le Haut Conseil des Collectivités Locales. En ce qui concerne les autres Institutions, le Chef du Gouvernement peut s’adresser au Conseil Economique et Social ainsi qu’aux Institutions judiciaires. Ces démarches auront l’avantage de mobiliser et d’entrainer toutes les instances étatiques dans un mouvement collectif qui imprimera la cadence aux autres structures du pays. Celles-ci sont également à mobiliser.
Les autorités nationales doivent savoir que l’organisation de l’État, aussi perfectionnée soit elle, ne suffira pas à prévenir les actes terroristes. Il faut impérativement la collaboration des Maliens. Or celle-ci ne se décrète pas, elle s’obtient par un partenariat fécond dont les bases doivent être établies par les autorités et partagées avec nos compatriotes. Nous pouvons utiliser notre arsenal juridique encore, en explorant les possibilités offertes par la Loi N° 2004 - 51 du 23 novembre 2004 portant organisation générale de la défense nationale qui prévoit des situations particulières similaires à celles que nous vivons aujourd’hui et donne des possibilités de réaction aux autorités nationales face à celles-ci. Elle prévoit par exemple, qu’en cas de menace portant sur une partie du territoire, un secteur de la vie nationale ou une fraction de la population, le Gouvernement, par Décret pris en Conseil des ministres, peut décider de la mobilisation générale. Ce texte offre des moyens qui peuvent être mis en œuvre, en fonction de l’évolution de la situation, donnant ainsi la possibilité aux autorités d’engager définitivement le Malien dans la sécurisation durable du pays et de réconciliation entre les Maliens.
Les autorités doivent définir les contours qu’elles souhaiteraient donner à la mobilisation des Maliens et fixer un cadre qui prévoirait une évolution en fonction de la situation. Quel que soit le cas de figure, il faut engager immédiatement les actions autour de l’état d’urgence tout en mettant en place des dispositifs qui impliqueront fortement les Maliens dans la lutte. L’article 22 de la Constitution indique que la défense de la patrie est un devoir pour tout citoyen. Il est temps que chacun d’entre nous mesure cette disposition à sa juste valeur et s’engage à jouer sa partition dans la défense de notre pays, car il ne s’agit ni plus ni moins que de protéger maintenant le Mali contre cette menace diffuse et mortelle pour sa sécurité et son équilibre socio culturel.
L’action citoyenne la plus efficace concerne la vigilance et surtout le renseignement suivi par une bonne collaboration avec les forces de l’ordre. Nous avons la chance de l’intégration sociale de notre pays, nous nous connaissons et nous nous côtoyons. Tout en étant très ouverts et très hospitaliers, le malien est en mesure assez facilement de distinguer un étranger d’un compatriote et surtout d’identifier son degré de dangerosité. Il faut utiliser ces possibilités et multiplier les passerelles permettant aux citoyens d’alerter qui de droit face à une personne ou à une situation suspecte. Les terroristes et autres personnes mal intentionnées, ciblant les villes, sont obligés de s’y établir, de se préparer, de se planquer, autant d’occasions pour les identifier et alerter les forces de l’ordre pour prévenir leurs méfaits. Les terroristes ne sont pas des maliens mais il y a des risques que des compatriotes empruntent progressivement le chemin de la violence, se radicalisent de plus en plus, fréquentent des groupes extrémistes, des écoles et autres centres de formation à l’extérieur pour revenir commettre des actes au Mali (cas de certains villages de Bandiagara, de Teninkoun, Macina…). Il faut mieux surveiller cela sur l’ensemble du territoire, amener les parents à dénoncer leurs enfants qui se radicalisent, mettre en place des sanctions contre les proches qui laissent faire sans avertir les autorités, avoir recours aux imams et aux organisations religieuses etc. Il faut également se pencher sérieusement sur la question de l’islam radical au Mali avec le concours des organisations religieuses, renforcer les capacités de nos services de renseignement dans la surveillance de la radicalisation et faire en sorte qu’ils connaissent mieux ces réalités. Cela les rendra plus efficaces et évitera des attitudes extrêmes et ridicules d’arrestation au faciès ou simplement fondées sur les signes extérieurs de religiosités ; les jeunes terroristes du Radisson étaient habillés en jeans, ne portaient pas de barbes et arboraient des casquettes de sportifs !
Nous devons travailler à renforcer notre chaîne sécuritaire notamment les dispositifs de gestion des renseignements, leur traitement, leur analyse et toutes les interventions de prévention du terrorisme. Nous devons renforcer nos capacités en matière de sécurisation des sites, d’interventions sur les actes, de coordination des forces, de répartition des rôles mais aussi notre capacité à agir sur plusieurs théâtres, agir quelque part tout en gardant des possibilités de prévention et de traitement sur d’autres secteurs, par exemple face à des attaques coordonnées sur plusieurs points d’une ville ou du territoire, ou face à une attaque pour attirer l’essentiel des forces sur un point et ensuite engager des actions terroristes d’ampleur ailleurs. Nous sommes condamnés à engager ces chantiers dans l’urgence, quel qu’en soit le coût et, dans cette perspective, ne pas hésiter à solliciter l’aide de puissances amies du Mali.
Chacun des pans de la société malienne, toutes les organisations socio professionnelles, les élus, les légitimités traditionnelles et religieuses en plus des Institutions et de leurs membres doivent se mobiliser pour jouer leur partition dans la lutte contre la bêtise terroriste. Chacun est susceptible de jouer un rôle, de mobiliser et de contribuer à mobiliser les compatriotes, de les organiser et de contribuer à les organiser.
Il nous faut engager enfin le renforcement des capacités judiciaires et poser les jalons d’une coopération judiciaire plus marquée dans le sahel, faire en sorte que le G5 Sahel en plus de la coopération sécuritaire et de développement puisse également intégrer la coopération judiciaire et la mise en commun de nos moyens pour lutter et sanctionner le terrorisme et les velléités terroristes. La riposte contre la terreur doit être intelligente, elle doit emprunter toutes les voies disponibles pour prévenir les actes terroristes et, si jamais ils devaient intervenir, les circonscrire rapidement et les sanctionner avec la dernière rigueur. L’État malien doit travailler dans ce sens pour qu’au niveau national, tous les maliens y participent et qu’au niveau international, les amis du Mali y contribuent également.
L’image sécuritaire du pays a été durablement touchée par l’acte crapuleux qui a touché l’hôtel Radisson blue de Bamako, l’hôtel le mieux sécurisé de la ville et donc du pays. Cela d’autant plus que les hôtels sont emblématiques de la sécurité dans une ville et abrite généralement des visiteurs étrangers ayant souvent un rôle socioéconomique et politique important (diplomates, hommes d’affaires…). Il est à craindre que notre pays continue à être fortement déconseillé aux visiteurs étrangers et pour quelques temps. À nous de nous organiser pour convaincre les sceptiques que nous avons tiré les enseignements utiles de la situation, et à apporter les réponses concrètes aux préoccupations sécuritaires de nos concitoyens et de nos amis étrangers. C’est à travers des actes précis et productifs en termes de résultats que nous finirons par les convaincre que le Mali peut, à nouveau, être visité et que notre légendaire hospitalité a vaincu les velléités destructrices des terroristes.
Moussa MARA
moussamara@moussamara.com