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Le réalisateur Boubacar Sidibé, chasseur d’images : «Il faut que les gens comprennent qu’en dehors du sport, la culture peut bien illustrer le Mali à travers le monde…»
Publié le samedi 28 novembre 2015  |  Le Reporter
jean
© Autre presse par DR
jean Loui-Duv




Né le 16 octobre 1953, Boubacar Sidibé est l'un des rares réalisateurs maliens à mettre une série de films documentaires (court et long métrages) à la disposition des passionnés du film africain. Caméraman entre 1983 et 1991, il est auteur d’une dizaine de films documentaires et magazines sur les activités des chefs d'Etat du Mali en France, au Japon, en Koweït, au Sénégal, etc. En 1996, il réalise Niangara, un documentaire mensuel d'enquête à la télévision du Mali. Boubacar Sidibé, marié et père de 7 enfants, a tout au long de ses 33 ans de service donné le meilleur de lui-même pour le Mali. L’auteur-réalisateur de plusieurs films nous parle à cœur ouvert dans cette interview.
Le Reporter Mag : Monsieur Sidibé, parlez-nous de votre parcours ?
Boubacar Sidibé : J’ai fait l’école fondamentale de Médina-Coura, ensuite le Lycée Bouillagui Fadiga. En 1980, le ministère de l’information a demandé à ce que le niveau du cinéma malien soit rehaussé. Ce qui a conduit au recrutement de gens de niveau Bac et Licence. Un concours de présélection a été lancé en vue d’une éventuelle formation à l’extérieur. Moi, je faisais la terminale SE (Science Exacte Terminale) quand je postulais. J’ai donc été admis à ce concours et on nous a emmenés au Centre national de production cinématographique (CNPC). Nous étions 16 au départ. Mais à la suite de 9 mois de stage, les formateurs ont retenu 8. Malheureusement, à la fin du stage, il y a eu un changement de gouvernement, et c’est Ag Hamani qui est venu à la place de Yaya Bagayogo. Il ne partageait pas la vision de son prédécesseur. Normalement, on devait continuer la formation à l’extérieur. Mais ils nous ont dit que nous ne partions plus. On est resté comme ça et tous ceux sur qui le théâtre repose aujourd’hui, et qui sont en train d’aller à la retraite comme Ladji Diakité, feu Adama Drabo, Léopold Togo, Assane Kouyaté, Ibrahima Touré, etc., tous ceux-ci venaient de ce lot là.
En quelle année, êtes-vous arrivé à l’ORTM ?
C’est en 1983, quand il y a eu le projet de télévision nationale. Moi, j’avais déjà travaillé pendant trois ans au Centre national de production cinématographique (CNPC). Il a été donc demandé aux agents du Cnpc de venir à la télévision s’ils étaient intéressés. Alors Abdramane Soumé et moi avions donné notre accord pour aller à la télévision. Nous avons été envoyés en Libye pour trois mois de formation pour enfin venir ouvrir la télévision. Puisqu’en Libye, on devait être 21 personnes à prendre part à la formation, au lieu de 19 par la suite, des postes manquaient de personnel. Et, comme je faisais la caméra, on m’a aussitôt demandé d’apprendre à faire le montage. Au démarrage de la télévision, je faisais la caméra. Le matin et le soir, je faisais la diffusion et le montage. Souvent, je passais la nuit à monter des éléments pour le lendemain avec Djibril M’Boge et Tiona Mathieu, parce qu’il fallait parfois attendre la fin des programmes du soir pour faire ce travail. On nous demandait le tout temps de serrer les coudes pour que la télévision ne s’arrête pas. Chose qui m’a fait passer des mois à monter du matin pour descendre à minuit passé. Et même les congés à l’époque, on ne pouvait pas en profiter pleinement.
Est-ce que vous vous souvenez de votre premier documentaire et de votre premier film ?
Quand on a commencé la télévision, je faisais la caméra. Comme je l’ai déjà dit, j’ai fait trois ans de caméra avant le début de la télévision. Le premier voyage du président Moussa Traoré à l’étranger, c’était en Guinée Biseau, puis en Mauritanie, et ensuite au Sénégal. Pendant 5 jours, j’étais avec le président Moussa Traoré. À notre retour, on a fait un documentaire, et ce sont les journalistes Tiona Mathieu et Cheick Hamala Touré qui l’ont commenté. Mon premier film documentaire qui est : «J’entends souffler le bateau» a été tourné sur le Fleuve Niger, de Koulikoro en passant par Ségou, Mopti, Tombouctou et Gao, avec la journaliste Fatim Sidibé. Juste après mon retour d’Angleterre où j’avais obtenu une bourse d’études pour une formation de réalisateur de film.
En quelle année, Boubacar Sidibé a commencé la réalisation de séries télé ? Est-ce en 2002, avec les aventures de Séko ?
En réalité, j’étais cameraman à l’ORTM. Après mes études en Angleterre, je suis revenu en réalisateur après deux ans de formation. Les bases de la réalisation n’étaient pas. J’ai essayé d’écrire des choses, mais ça ne marchait pas. J’ai démarché en vain les gens qui étaient en mesure de réaliser les séries télé. Tout le problème était dû au fait que les gens voulaient qu’on les paye avant la production. Je n’avais pas ces moyens. La télévision faisait de l’actualité et ne s’intéressait pas à la réalisation de séries télé. J’avais soif de réaliser un film, mais je n’arrivais pas à abreuver ma soif. Alors, j’ai continué à accompagner les présidents comme je savais le faire avec la caméra. Un jour, je me suis décidé à faire la réalisation et certains n’étaient pas d’accord avec moi. Parce qu’ils trouvaient que je suis cameraman, tout en oubliant que j’avais des diplômes de réalisateur. Comme à l’ORTM, il n’y a pas beaucoup de suivi au niveau du personnel, souvent on part faire une formation pour se spécialiser dans un domaine. Mais de retour, les gens continuent à penser qu’on doit s’accrocher à ce qu’on faisait d’habitude. Sans considération de la formation qu’on vient de boucler avec succès. Certains me disaient : «Boubacar, tu as fait deux en Angleterre, tu dois être fort en caméra». Soit le service administratif ne donnait pas l’information aux gens, ou les responsables ne savaient pas quelle formation on était allé faire. C’est le Conseil international de Radiodiffusion et Télévision d’Expression Française (CIRTEF), qui est composé de directeurs de télévisions, qui m’a donné 1.5 million pour faire mon premier film télé : «Le pacte social». Un film que j’ai présenté en Belgique en présence de huit autres réalisateurs venus de différents pays. J’ai pu constater l’effort fourni quand j’ai été longuement acclamé par les autres réalisateurs pour ce film que je venais de présenter. Et ceci a coïncidé avec le mois de la solidarité où l’actuel président de la République, Ibrahim Boubacar Keita, était Premier ministre. IBK était parti pour la clôture du mois de la solidarité. Sidiki Kouyaté, qui était le directeur de la télévision nationale, a proposé à IBK de visionner le premier film d’un jeune réalisateur : «Le pacte social». Il est venu avec tout le gouvernement au Centre international de conférence de Bamako pour regarder le film de 13 minutes. Après, tout le gouvernement s’est levé pour me féliciter, en me demandant de faire une version en langue nationale bamanan.
Comment est venue l’idée de faire les Rois de Ségou ?
J’avais fait une série urbaine de 15 épisodes appelée «Dou/La Famille». C’était la première fois que les Maliens parlaient français dans un film, comme dans d’autres films tournés dans la sous-région. Les gens ont beaucoup apprécié et CFI l’a donné à passer sur 86 chaînes et sur TV5. Deux ans plus tard, en 2006, on a fait une deuxième saison et cela a beaucoup plu aux gens. Je me suis posé cette question : les valeurs et les défauts que les gens ont aujourd’hui, est-ce que ceci n’existait pas déjà dans nos sociétés ? Partout, on dit que les Maliens sont fiers d’eux-mêmes. Alors, je me suis donc penché sur le bamanan de Ségou. Pendant deux ans, j’ai rapproché les historiens, les traditionalistes, et écouté les cassettes parlant de l’histoire de Ségou. Pendant ce temps, le ministère de la coopération française lançait les productions de films au Sud du Sahara qui étaient très faibles. Un concours a été lancé pour les sociétés de production de films. C’est ainsi que la société Brico Film et l’ORTM ont été sélectionnés parmi une centaine de sociétés. C’était un projet de 52 épisodes dans lequel le bailleur s’apprêtait à injecter une subvention de 250 millions de FCFA. C’est ainsi qu’un expert consultant nous a été envoyé, avec qui, nous avons travaillé pendant 2 mois. Quand il a fait son rapport, nous n’avons pas été retenus. Comme on avait travaillé sur le projet pendant deux ans, j’ai approché les autorités à la veille du cinquantenaire du Mali, qui m’ont dit qu’ils n’ont pas d’argent pour réaliser le film. J’ai postulé à l’organisation internationale de la francophonie (OIF), avec CFI, Tv5. Nous avons essayé de monter le projet et ils étaient tous d’accord. Mais, pour faire les costumes et les chevaux, c’était trop cher. Après l’OIF m’a dit qu’elle va donner 60 millions, pour un projet qui coûte 400 millions. C’est le lieu de remercier le directeur général de l’ORTM qui m’a dit : «Ah ! Boubacar, 60 millions, c’est quelque chose. Il faut te battre pour le faire et nous allons t’aider dans tes besoins avec les moyens du bord». Il est même allé voir l’ancien président ATT pour lui demander d’appuyer le projet.
Concrètement, qu’est-ce qui vous a poussé à faire Les Rois de Ségou ?
Normalement, les Rois de Ségou, c’est une fierté de pouvoir faire les Askia, le Royaume de Kénédougou, de Samory, etc. Nous, nous avons été formés pour essayer de faire connaître notre culture et le Mali. Maintenant, nous avons ces moyens et la technicité. Ce qui nous manque, c’est le fonds. Les autres vendent leur culture et leur puissance, mais pourquoi pas nous ! Il va falloir que le Mali y pense. Nous avons fait les Rois de Ségou avec les moyens du bord. Vous pouvez constater que dans les Rois de Ségou, le roi N’golo s’est déplacé à pied pour faire la guerre aux Mossis. Cela n’est pas normal, car il devait être à cheval. Faute de moyens, le roi est allé faire la guerre à pied. Pour ce qui est de la question, qu’est-ce qui m’a poussé à réaliser les Rois de Ségou ? Je dirai que c’est un combat de tous les jours, d’essayer de montrer à nos enfants, qui nous sommes, qui nous étions, pour leur montrer le bon chemin. Nous pensons très sincèrement que c’est un moyen puissant de sensibilisation et d’éducation. On ne peut pas non plus gaspiller le peu qu’on gagne en faisant du film spectaculaire, mais plutôt faire quelque chose qui peut profiter à notre société : aider les parents, les familles à façonner nos sociétés.
Dans le film Les Rois de Ségou, beaucoup de gens pensent que l’histoire de Ségou a été déformée. Qu’est-ce que vous leur répondez ?
C’est la première fois que j’entends que l’histoire de Ségou a été déformée. Je suis parti à Ségou, mais j’avais peur de partir à Ségou quand j’ai fait le film, parce que je ne savais pas comment ils allaient réagir. J’ai fait à peu près deux ans de recherches, j’ai lu les trois tomes de l’épopée Bambara de Ségou de Marise Condé ; j’ai pris toutes les cassettes de Daye Baba Diallo, Dr. Fanta Madi Simaga, de Djéli Baba, etc., pour me rapprocher le plus possible de l’histoire de Ségou. Tous ceux que j’ai rencontrés ici à Bamako, après la sortie du Film, m’ont dit que c’était bien. Il y a un historien qui m’a appelé sur un plateau et m’a dit : «moi, je n’avais jamais su que Monzon et Da étaient deux personnalités différentes. On dit Damonzon, et j’ai toujours pensé que c’était une seule personne et toi tu as montré dans ton film qu’ils ont tous deux été des rois». Quand je suis arrivé à Ségou pour le salon du livre, en prenant la parole, j’ai demandé pardon à Ségou parce que c’était une œuvre humaine, elle était loin d’être parfaite. Des gens ont pris la parole, des historiens, pour me dire non Boubacar, ce que tu as fait est bien, tu t’es beaucoup plus approché de la réalité que tu ne le penses. Les Ségoviens ne peuvent que te remercier. Mais comme le disent les Bambara, tous les jours l’oreille va à l’école. Je serais ravi de rencontrer quiconque pense pouvoir me renseigner davantage.
Quelles ont été les difficultés rencontrées dans la réalisation de ce film ?
La difficulté majeure rencontrée dans la réalisation des Rois de Ségou est d’ordre financier. Mais on ne parle pas de sous quand les gens disent que c’est bien. Quand je regarde, je constate qu’il y a des imperfections. J’ai fait deux ans en Angleterre, je suis parti 6 fois à l’INA à Paris, j’ai eu certaines formations. Quand je fais un film avec mes moyens, je sais ce que ça va donner. Par contre, si je n’avais pas fait comme ça non plus, ce film n’allait pas sortir un jour. Donc, j’ai avalé beaucoup d’amertumes pour que ce film puisse sortir. Je remercie sincèrement les techniciens et les comédiens qui ont accepté de jouer avec les moyens du bord. Sinon, il y a un comédien expérimenté à qui j’ai proposé 700.000 Fcfa pour 15 jours de tournage, il a refusé. Et si moi-même je pouvais gagner le tiers de ce que lui il a refusé pendant tout le temps, ça allait me permettre de le payer et faire le travail. Mais j’ai respecté sa décision malgré le contexte et les réalités du pays. Il n’a pas accepté et il est parti. Mais on a trouvé un autre qui a joué le rôle de Da. Mais si l’autre l’avait accepté, avec son expérience, ça allait certainement faire un plus pour le film.
Y aura-t-il une autre saison des Rois de Ségou ou bien avez-vous d’autres projets ?
J’ai beaucoup de projets. Normalement, ça devait être une continuité. Mais avec «yêrêdonbougou» qui passe, on l’a fait en 2014 ; en 2015, on a fait un autre projet de 52 épisodes des Rois de Ségou que je suis parti donner au directeur de la télévision. Si toutefois, on pouvait le faire, il m’a dit oui. On avait aménagé le terrain, prêté des tentes à l’armée. Par la suite, on a réduit le budget et on n’a pas pu faire le film. J’ai un autre projet de film sur la réconciliation qui s’appelle «La langue et les dents», pour montrer que le Mali, c’est un seul peuple. Qu’il n’y a pas de problèmes de cohabitation entre Chrétiens, Musulmans et Féticheurs au Mali. Que l’histoire des Touareg est un faux problème inventé de toutes pièces.
En tant que réalisateur, quelles sont les difficultés que vous avez rencontrées dans votre carrière ?
On rencontre beaucoup de difficultés, mais il faut reconnaître que les Maliens aiment l’art. Les Maliens sont prêts à se sacrifier pour l’art. Je parle des techniciens et des comédiens. Il nous reste la lourde tâche de convaincre les décideurs, les bailleurs, pour qu’ils acceptent de faire des investissements dans les films. Malheureusement, on peine à les avoir. Sinon les comédiens et les techniciens, quand on leur tient le langage de la vérité, tout de suite, ils acceptent de se mettre au travail. C’est pourquoi quand j’ai voulu faire le film «Le fou du village», c’était en coproduction avec l’ORTM, comme «yêrêdonbougou» qui passe en ce moment même à la télé. Ce sont des films qui n’ont pas eu de financements venus de l’extérieur. Grâce au directeur de la télé, Bally Idrissa Sissoko, qui m’a appelé pour la première fois afin qu’on réalise un film. C’est vrai, il y avait très peu de moyens, mais les comédiens et le tout staff ont accepté de jouer le jeu. On a fait deux mois, on dormait sous les tentes. Le directeur même est venu nous voir et constater que nous souffrions. Mais c’était pour la bonne cause.
Est-ce que vous avez pensé à la relève avant que vous ne partiez à la retraite, d’autant que votre femme et votre fille font le même métier ?
C’est à peu près plus de dix ans que je pense à la relève. Parce que si vous êtes nombreux à faire quelque chose, vous avez plus de chance qu’il y ait des efforts et des résultats. Dans mes productions, même avec Les Rois de Ségou, j’avais dix stagiaires. Les gens m’ont dit : «c’est grandiose ce que tu fais. Mais pourquoi tu mets des stagiaire à des postes clefs». Je leur dis que si je ne les mets pas, comment pourront-ils apprendre ?
Pour faire un film, il faut faire deux à trois ans et les réalisateurs font souvent cinq ans. Si on ne les met pas au-devant de la scène, comment peuvent-ils apprendre ? Surtout que ce sont des sortants des universités, ils ont la faculté de comprendre facilement. En ce moment même, il y a d’autres stagiaires qui sont partis aux USA et j’ai avec moi 8 autres stagiaires. Les matins, je vais à l’ORTM. Mais eux, ils viennent ici au bureau et je leur donne des modules de formation et des directives pour qu’ils forgent eux aussi leur destin. Il y a trois Fespaco de suite au cours desquels je les ai accompagnés juste pour leur trouver des logements. Pour le reste, ils s’occupent d’eux-mêmes, trouvent des terrains d’entente avec les autres participants ; ils cherchent des partenaires pour leurs prochains projets. Il y a juste deux semaines, j’ai envoyé trois sortants de l’Ecole normale supérieure au Festival du film International de Blitta, au Togo, avec trois documentaires différents. Ce matin aussi (mardi 24 novembre, ndlr), ce sont 7 documentaires et 7 fictions que mes stagiaires ont faits, qu’on va donner à la TM2 (la deuxième chaîne nationale) et à l’ORTM pour diffusion.
Est-ce que Boubacar Sidibé est satisfait de ce qu’il fait aujourd’hui ?
Globalement, je peux dire que je suis un homme comblé par son travail. Parce que j’ai pu faire le tour du monde avec les différents présidents de la République du Mali. Pendant 33 ans, j’ai fait beaucoup de documentaires dans l’audiovisuel. Vraiment, j’e n’ai pas rencontré d’obstacles majeurs qui ont pu me marquer. Il y a quand même des choses que je ne pourrai jamais oublier, mais des choses positives. De veilles personnes qui pleurent parce que j’ai réalisé des choses qui les ont beaucoup touchées. Je peux citer, entre autres, Mougantafé Sacko, Djéli Baba, Batoma Sanogo dans N’torokélen. Il (c’est un homme) a fait un conte que j’ai réalisé en images et quand il a visionné le film, il était tellement content qu’il a pleuré. Quand j’ai fait Niagara de Moukantafé, elle était tellement contente qu’elle a organisé une grande fête à son domicile en mon honneur. Djéli Baba, la même chose. Il m’a dit : Boubacar, les gens ne reconnaissent pas la valeur d’un homme de son vivant. C’est quand il meurt qu’on lui donne des médailles, et cela n’est pas bon.
Est-ce que Boubacar a reçu une médaille de la part des autorités maliennes ?
Non, on ne m’a pas encore fait cet honneur. Je n’aime pas trop parler de médaille. Vous savez, quand je dis aux gens que je vais à la retraite cette année, après 33 ans de service, certains se mettent immédiatement en tête que je cherche à me faire décorer. Non. Mais il y a des gens qui ont reçu des médaille et sont venus me dire : ma médaille, je te le dois. C’est grâce à toi, à travers tes films, que j’ai pu être décoré aujourd’hui. Et vous vous n’avez pas encore été décoré. Je leur dis qu’on ne se propose pas. Ce sont les autres qui vous proposent. Les différents chefs d’Etat que j’ai accompagnés pendant toutes ces années, à commencer par le président Moussa Traoré, j’ai fait tous les continents avec lui. Avec ATT pendant la transition, le jour du coup d’Etat, j’étais à la Bourse du travail à cheval avec la caméra en train de filmer. Il y a des jours où je ne pouvais pas aller à la maison. À la veille du coup d’Etat, c’est l’un des gardes du corps de Moussa Traoré, Bruce, qui m’a fait franchir les barrières parce que les agents de l’ORTM étaient ciblés. Il y a tellement de gens comme moi à l’ORTM. On ne peut pas tous les décorer certainement.
Que pensez-vous du cinéma malien aujourd’hui ?
Je crois sincèrement qu’il faut continuer à former les hommes. Si vous formez les hommes et vous leur montrer les voies : voilà ce que j’ai pu faire et voilà ce qui reste à faire. Nous sommes des passagers, et il faudrait que quand on tombe avec le flambeau, qu’il y ait quelqu’un d’autre pour continuer à le porter. Je crois sincèrement à ça. C’est pourquoi d’ailleurs souvent, je prends mon salaire pour donner aux jeunes qu’ils fassent des films. Il m’est arrivé une fois de confier mes gens qui partaient au Fespaco à Kassim Traoré, pour qu’il garde un œil sur eux tout au long du Festival à Ouagadougou. Car c’est avec eux qu’on peut construire l’avenir. La jeunesse est l’avenir et cela n’est pas un vain mot. Tout comme dans le journalisme, il faut former les jeunes pour qu’ils puissent porter haut ce que vous vous essayé de porter.
Un dernier commentaire, Monsieur Sidibé ?
Tous les journalistes essayent de se battre pour la chose politique. Pour la chose culturelle, nous, nous faisons toujours des bénédictions afin que de plus en plus de gens parlent du cinéma et posent les problèmes du cinéma. C’est en ces termes qu’on peut trouver des solutions. Sinon, ça risque de passer aux oubliettes. Venir nous voir chez nous, pour faire savoir à des millions de gens ce que nous faisons, est une aide inestimable pour laquelle on ne saurait assez vous remercier. Tous ceux qui peuvent faire quelque chose pour le cinéma, qu’ils le fassent, mais qu’ils comprennent que c’est pour le Mali. Les Basketteurs et les Footballeurs ont gagné des maisons et des millions. Mais les jeunes que j’accompagne, ils vont au Fespaco. Cela fait 4 ans de suite. Tous les deux ans, ils s’organisent, ils parlent du Mali, font connaître le Mali. Mais personne ne leur donne de l’argent, même le gouvernement. On est parti avec Les Rois de Ségou, tout le monde a crié le Mali. Malgré tout, aucune aide. Ensuite, «Dougouba Sigui», personne n’a songé à mettre de l’argent dedans. On va pour représenter le Mali, il faut qu’à un certain moment des gens qui s’occupent de la culture disent : «Ah, qu’est-ce qu’on peut faire pour aider les acteurs». Il faut aider les sociétés de production privées qui sont en place. Le centre de cinéma est en train de tourner à Tombouctou. Mais, depuis le mois de mars, moi j’ai deux projets de série télé que je n’arrive pas à faire tourner. On n’a pas d’argent pour le faire parce que les gens qui s’occupent de ça ne veulent pas le faire. Pour le rayonnement de la culture du pays, il faut que les gens comprennent qu’en dehors du sport, la culture peut bien illustrer le Mali à travers le monde.
Propos recueillis par Gabriel TIENOU/Stagiaire
Source: Le Reporter
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