Une semaine après le sanglant attentat du “Radisson” (22 morts dont 13 étrangers), les regards se tournent de plus en plus vers le grand voisin algérien. Non pas qu’on l’accuse d’avoir commandité l’attentat, mais parce qu’il aurait pu l’empêcher et que, surtout, ses intérêts géopolitiques coïncident étrangement avec le crime commis. Explications…
L’Algérie, pays militarisé à l’extrême, a décidé de faire de Kidal et environs sa chasse gardée. Non seulement pour y exploiter d’éventuels gisements pétroliers, mais aussi et surtout pour y déverser les groupes terroristes auxquels elle a livré, pendant une décennie, une guerre meurtrière. En ce sens, Kidal et, par extension, le nord du Mali devraient servir de soupape de sécurité à l’Algérie: en ayant au nord malien une libre zone de trafics, les groupes terroristes comme AQMI “oublieront” de s’attaquer aux intérêts algériens. C’est dans cette logique que la diplomatie algérienne a toujours tenu à garder la haute main sur le dossier des rébellions au nord du Mali. Chaque fois qu’un soulèvement touareg éclate, l’Algérie monopolise le dossier et impose aux parties en conflit “sa” solution: un accord de paix qui, quelques années plus tard, est revu et corrigé dans le sens d’une plus large autonomie pour les rebelles et les territoires qu’ils convoitent. Curieusement, bien que les différents accords passés sous l’égide d’Alger, notamment en 1991 et en 2006, n’aient jamais empêché les rebelles touaregs de reprendre les armes, personne n’arrive à dessaisir le pays de Bouteflika du règlement de la crise malienne.
L’algérie confisque le dossier du nord-Mali
C’est ainsi qu’Alger a réussi à retirer le dossier des mains de la CEDEAO et, spécialement, de celles du président burkinabè Blaise Compaoré qui, à la veille de l’élection présidentielle malienne de 2013, avait pourtant réalisé la prouesse de faire signer aux rebelles touaregs et au gouvernement malien un accord transitoire en date du 18 juin 2013. Tenté, un moment, de s’ingérer dans l’affaire, le Maroc s’est royalement éconduire au point que son ambassadeur au Mali, M. Naçiri, outré, s’est laissé allé jusqu’à déclarer que l’accord de paix du 15 mai 2015 n’était “pas copnforme aux intérêts du Mali ni des Maliens”. Propos qui ont généré une mini-crise diplomatique entre Rabat et Bamako. Un politicien connu de la place, du fait de sa proximité avec l’Algérie, a souvent imposé sa présence au sein du gouvernement malien. Comme si, en plus de vouloir faire main basse sur le nord-Mali et d’y entretenir une insécurité propice à la paix à l’intérieur de ses propres frontières, Alger s’amusait à nommer à Bamako un proconsul! Mais passons…
Coincidences troublantes
Pourquoi les regards se tournent-ils à présent vers l’Algérie ? Les experts ont remarqué que chaque fois que les plans géostratégiques du pays sont menacés, un mouvement violent se produit au Mali. Comme si quelqu’un voulait rappeler au gouvernement malien et à la communauté internationale que toute solution de la question du nord-Mali passait par l’Algérie et l’Algérie seule. Ainsi, en 2006, il a suffi que l’ex-président ATT reçoive en grande pompe Kaddhafi et que le Guide Libyen ouvre un consulat à Kidal pour qu’une rébellion éclate, vite suivi d’un accord de paix signé à Alger et favorable aux rebelles. Ces rebelles, souvenons-nous, avaient pour chef un certain…Iyad Ag Ghali! Pressé par la France d’affronter les “jihadistes” d’AQMI, ATT a, à juste cause, exigé l’implication militaire de l’Algérie et des autres pays sahéliens dans la lutte. Il savait que sans l’Algérie, aucune paix n’était envisageable au Sahel. Cependant, le CEMOC, Comité d’Etat-Major Opérationnel Conjoint, créé le 21 avril 2010 par les Etats sahéliens pour combattre AQMI, n’a jamais pu prendre ses marques en raison de l’hostilité de l’Algérie à toute présence occidentale au Sahel, singulièrement au nord-Mali où elle fait la loi par procuration. Or, sans appui occidental, qui aurait pu armer et financer le CEMOC? L’Algérie ne s’est jamais préoccupée de ces interrogations: son unique objectif était, en fait, d’assurer la tutelle de l’organisme pour mieux l’étouffer. Le CEMOC finit donc par mourir sans funérailles officielles.
Elu en 2013, le président IBK se rend compte qu’ATT avait raison de demander la mise en place d’une structure de coopération sécuritaire au Sahel. Manquant de fonds, d’effectifs et d’expertise militaires, le Mali ne peut, seul, affronter les colonnes “jihadistes” qui squattent son septentrion et qui, pour l’essentiel, transitent par Alger et d’autres pays sahéliens. Il faut unir les efforts au Sahel pour éliminer ou, à tout le moins, réduire le péril “jihadiste” représenté par AQMI et ses affidés. C’est ainsi que le président malien accepte d’intégrer, sans l’accord d’Alger, une structure de coopération régionale en matière de développement et de sécurité: le “G5 Sahel”. Créé lors du sommet des 15 et 17 février 2014 par 5 chefs d’États du Sahel, le “G5 Sahel” regroupe la Mauritanie, le Mali, le Burkina, le Niger et le Tchad. Le retour de bâton ne s’est pas fait attendre. Comme en 2006, quand le Mali courtisait Kaddhafi, des terroristes affiliés à “Al-Mourabitoune” de Mokhtar Belmokhtar, donc d’AQMI, frappent en plein coeur de Bamako, faisant 5 morts au restaurant “La Terrasse”. La date de l’attentat (19 mars 2015)se situe au lendemain du premier anniversaire du “G5 Sahel”. Pour dire qu’un an après la création du “G5 Sahel”, le Mali avait tort de se croire en sécurité ! En 2015, bis repetita: au moment précis où le “G5 Sahel” tient ses deuxièmes assises au Tchad, le 20 novembre 2015, des terroristes issus du même sérail AQMI-Al-Mourabitoune font un carnage à l’hôtel “Radisson”, au coeur de Bamako ! Le message est identique à celui qui se dégage de l’attentat du 19 mars 2014…
Hégémonie algérienne menacée
L’Algérie boude ostensiblement le “G5 Sahel”; à ses yeux, ce groupe souffre de trois vices rédhibitoires:
– il obéit au doigt et à l’oeil à la France, au lieu d’être une marionnette de l’Algérie;
– il consacre l’émergence du Tchad, dont le monde entier salue l’expertise militaire et qui, au nez et à la barbe de l’Algérie, devient le fer de lance de toutes les initiatives anti-jihadistes au Sahel, notamment des offensives lancées contre Boko Haram et AQMI;
– à terme, le “G5 Sahel “ constituera une grave menace pour la stratégie algérienne d’occupation et de manipulation du nord-Mali, surtout que le groupe inter-étatique projette de se doter d’une force militaire autonome, d’une plateforme commune de sécurité et de partage des renseignements.
Si Alger a, sous la pression de la France, consenti à aider ce pays à chasser les “jihadistes” du nord-Mali en 2013, c’était à la condition que le nord-Mali, en particulier la région frontalière de Kidal, n’échappe pas à son contrôle et que, de manière générale, son hégémonie ne soit menacée par une autre puissance sahélienne. La France a tenu, en partie, ses engagements en empêchant, après la libération de Gao et de Tombouctou, l’armée malienne de prendre pied à Kidal, région livrée, depuis, aux groupes narco-séparato-jihadistes dont le mentor n’est autre que Iyad Ag Ghali, le grand ami d’Alger. On a pu écrire çà et là que l’attitude de la France s’expliquait par son souci d’exploiter en catimini les richesses de Kidal. Rien n’est moins douteux: la France n’aurait pas risqué de s’aliéner l’opinion malienne pour des richesses minières qu’elle aurait pu, d’un claquement de doigts, obtenir du gouvernement malien. L’attitude française ne trouve sa justification véritable que dans le pacte secret qui semble avoir lié Hollande à Bouteflika juste avant le lancement de l’Opération Serval, en janvier 2013. La France aurait probablement continué à exécuter ce pacte en maintenant Kidal sous influence algérienne si elle n’avait pas, aujourd’hui, ressenti le besoin de se désengager partiellement du Sahel. En effet, elle se rend compte, surtout depuis les attentats commis à Paris le 13 novembre 2015, que le devoir militaire l’appelle au Moyen-Orient autant qu’au Sahel et que, n’ayant pas les moyens de combattre sur de multiples fronts, elle doit former et regrouper les armées sahéliennes afin qu’elles puissent se prendre en charge. Toutes choses dont Alger, obnibulé par ses ambitions de domination, ne veut pas entendre parler.
L’Algérie aurait-elle pu empêcher le crime ?
Les connaisseurs du dossiers estiment que si l’Algérie l’avait voulu, le Mali n’aurait essuyé aucun des deux attentats qui ont endeuillé sa capitale. Ils se fondent sur les constats suivants:
– malgré sa double revendication par “Al-Mourabitoune” et le “Front de Libération du Macina”, l’attentat du “Radisson” est avant tout l’oeuvre d’AQMI puisque les deux groupes qui le revendiquent admettent tous la participation d’AQMI. Or, AQMI et Iyad Ag Ghali, c’est blanc bonnet et bonnet blanc.
– Iyad Ag Ghali et ses sbires résident en Algérie où ils se ravitaillent et d’où ils opèrent. C’est de l’Algérie que provenaient les colonnes “jihadistes” qui, en janvier 2013, fondirent sur Konna, région de Mopti; c’est aussi en Algérie que ces colonnes ont reflué après l’assaut de l’aviation française.
– Iyad ne se contente pas de laisser ses amis d’AQMI et d’Al-Mourabitoune frapper Bamako; lui-même a attendu les lendemains du sommet du “G5 Sahel” pour désavouer les accords de paix des 15 mai et 20 juin 2015, avant de frapper, samedi 28 novembre 2015, un camp de la MINUSMA à…Kidal.
Le Mali impuissant
IBK, interrogé le 20 novembre 2015 par la presse au Tchad, n’a pas manqué de faire le parallèle entre la tenue du sommet et le crime du “Radisson”, tout en promettant qu’on entendrait parler du “G5 Sahel” dans les semaines à venir. Un défi à Alger? Le problème, c’est que le Mali, avec ses malheureux effectifs militaires (15.000 hommes, tous corps confondus) n’est pas de taille à se mesurer à l’Algérie. Selon le classement 2014 de l’Institut International de Recherche sur la Paix de Stockholm, l’Algérie, avec 8 milliards de dollars (4.000 milliards de FCFA!) de budget militaire, est la 17ème puissance militaire mondiale et la 1ère d’Afrique. Forte de blindés de tous types, de 461 avions de guerre, de centaines de navires et d’effectifs innombrables (512.000 militaires de carrière et 400. 000 réservistes, selon le classement 2015 de Global Firepower), le pays compte aussi 60.000 gendarmes et 5.000 gardes. Comment un pays si lourdement armé peut-il échouer à bloquer quelques colonnes de “jihadistes” alors que la France, avec infiniment moins de moyens, s’y emploie brillamment depuis deux ans ?
Tiékorobani