Malgré les progrès de l’enquête marqués par l’arrestation de deux suspects, beaucoup de zones d’ombre persistent dans la prise d’otages à l’hôtel Radisson Blu de Bamako le 20 novembre 2015. La présence du milliardaire nigérian, Aliko Dangote, à la veille de cette action sanglante suscite aussi beaucoup d’interrogations. Ce qui est sûr, c’est que cette attaque risque de sérieusement hypothéquer la reprise économique amorcée ces derniers mois dans notre pays.
Quel lien existe-t-il entre la prise d’otages à Radisson et la présence d’Ali Dangote à Bamako 24h auparavant ? C’est la question que beaucoup d’observateurs ne cessent de se poser depuis le 20 novembre 2015 avec ce sanglant attentat qui a fait officiellement 21 morts. Ce qui est sûr, Dangote était présent à Bamako le 19 novembre 2015 et a été reçu par le président Ibrahim Boubacar Kéita, avant que le chef de l’Etat ne s’envole pour Ndjamena pour le sommet du G5 Sahel.
D’ailleurs très peu d’information a filtré de cette audience. C’est pourquoi, aux premières heures de cette attaque, l’information avait circulé qu’il était parmi les clients retenus en otage par les assaillants. Une information qu’il a lui-même démentie sur les réseaux sociaux. Et selon un responsable du ministère malien du Commerce et de l’Industrie, M. Dangote s’est envolé le même 19 novembre avec après quelques entretiens en lien avec son séjour.
Dans certains milieux diplomatiques, on pense qu’Al-Mourabitoune a décidé de passer à l’action plus tôt que prévu en pensant que le milliardaire avait passé la nuit à Bamako. Ce qui n’aurait pas été surprenant d’autant plus qu’Al-Mourabitoune est la fusion du Mujao avec le groupe de Mokhtar Belmokhtar. Et le Mujao a des liens étroits avec Boko Haram qui a vu le jour dans la région de Kano où Aliko Dangote a aussi vu le jour.
C’est pourquoi nous ne sommes pas surpris par les témoignages de certains otages libérés selon lesquels les assaillants communiquaient en anglais. Si certains experts pensent que l’attentat à Radisson Blu est l’expression de la rivalité entre Daesh et Aqmi, pour d’autres cela est lié aux marchés de reconstruction du Mali dont la France et l’Europe veulent s’accaparer à travers le forum organisé par l’OCDE en octobre dernier à Paris sur la stratégie de développement des régions du nord du Mali et la relance économique du pays.
Cela ne serait pas forcément du goût des anglo-saxons. Ce qui avait amené le très influent et respecté «The New York Times» à soupçonner un lien entre l’attaque à Radisson et le «Duel Aly Dangote-France autour des investissements au Mali». Les milieux d’affaires indiquent que c’était l’une des raisons de la présence de Dangote à Bamako. Le Nigérian est «un milliardaire si mystérieux» avec une fortune estimée en 2012 à 10,1 milliards de dollars (7,7 milliards d’euros).
Une psychose nuisible aux affaires
Quels que soient les liens et les ramifications de cet acte criminel, il est évident que c’est un coup de frein aux efforts consentis ces derniers mois par le gouvernement malien pour relancer la croissance économique en relançant les investissements judicieux en faveur du pays. Ces dernières années, plusieurs spécialistes se sont penchés sur les conséquences réelles des différentes opérations menées par divers groupes terroristes à travers le monde. Pour eux, les enjeux politiques et économiques du terrorisme ne font plus de doute. Si la perte de capital humain a pour corollaire l’installation d’une psychose au sein des populations, les affaires et l’économie subissent toujours de plein fouet les effets dévastateurs d’une attaque.
Ainsi, les analystes américains ont évalué entre 25 et 60 milliards dollars les coûts directs des attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis. Des sommes à différencier des coûts de la guerre au terrorisme menée ensuite par le gouvernement américain et ses alliés. Les autres pertes financières concernent généralement les investissements directs étrangers et surtout le tourisme, véritable baromètre de stabilité sociale pour les investisseurs.
Au Radisson, c’est surtout des hommes d’Affaires présents à Bamako pour négocier ou mettre en œuvre de nouveaux partenariats qui ont été ciblés par les deux assaillants battus sur les lieux. L’attentat du 20 novembre dernier intervient au moment où on commençait à percevoir les signes d’une dynamique amorce économique au Mali avec la présence remarquée des milieux d’affaires et intellectuels. Ce qui avait donné un coup de fouet au secteur de l’hôtellerie très affecté par la crise de ces dernières années.
Ainsi, trois dirigeants de chemin de fer chinois en un voyage d'affaires ont été tués. Ils étaient à Bamako dans le cadre du projet de chemin fer entre Conakry (Guinée) et Bamako ainsi que la modernisation du chemin de fer Dakar-Niger sur la base d’un plan d’investissement de 1,5 milliard dollars. Deux projets cruciaux pour un pays enclavé comme le Mali. Parmi les morts, on déplore également six employés russes d'une compagnie de transport aérien qui dessert Israël, ainsi qu’un consultant américain en développement, Anita Datar, un ingénieur (réseaux d’électricité) et fonctionnaire parlementaire belges, un Sénégalais cadre chez Shell…
Le retour des investisseurs hypothéqué
Des hommes d'affaires indiens, le personnel naviguant de Turkish Airlines et Air France ont eu la vie sauve de justesse grâce à l’intervention rapide des forces spéciales maliennes. Tous les signes concordent pour démontrer que, au-delà des intérêts français sur place, cette attaque visait à faire peur aux investisseurs et aux diplomates pour les éloigner du Mali. Même si pendant la signature des livres de condoléances ouverts dans les chancelleries concernées, les diplomates ont donné l’assurance que cet attentat ne changera rien à leur engagement à aider le Mali à se relever, les milieux d’affaires maliens sont très inquiets. «L'accord de chemin de fer avec les Chinois sera mis en attente. Les investisseurs sont susceptibles de reculer le Mali», craignait Mamadou Coulibaly, le président du Conseil national du patronat au Mali (CNPM), dans un entretien avec la presse nationale. «De telles attaques sont presque impossibles à éviter. Ce qui est important est de savoir comment nous gérons les retombées», a ajouté M. Coulibaly.
La gestion de l’après 20 novembre est le plus grand défi auquel le gouvernement malien doit faire face aujourd’hui, en dehors de la mise en œuvre de l’accord de paix signé avec les groupes rebelles pour apaiser le front du nord. Les deux défis sont d’ailleurs liés car la paix au nord du Mali et surtout la stabilité du pays repose en partie sur la croissance économique et une juste répartition des richesses qui en résultent. Bamako n’a donc pas intérêt à ce que les investisseurs s’éloignent longtemps !
Hamady TAMBA
Source: Le Reporter