C’est une question que le président de la République, Ibrahim Boubacar Kéita, s’est posée le jeudi dernier, lors de la traditionnelle cérémonie consacrant la rentrée solennelle des Cours et Tribunaux au titre de l’année 2015-2016. Au cours de cette cérémonie, le président du Conseil supérieur de la magistrature a été vivement interpellé par la famille judiciaire sur ses difficiles conditions de travail mais aussi sur d’autres préoccupations majeures des populations maliennes en l’occurrence le foncier. IBK, à son tour, n’a pas hésité d’interpeller les magistrats en se posant des questions difficiles à répondre.
Le thème de cette rentrée solennelle des Cours et Tribunaux était : «le rôle de la justice dans la consolidation de la paix ». Ce thème qui est d’actualité brûlante au Mali a été, tour à tour, expliqué par le rapporteur de séance, Hamidou Idrissa Touré, juge d’instruction ; le nouveau Procureur général près la Cour suprême, Mamadou Tidiane Dembélé ; et le Bâtonnier de l’ordre des avocats. Tous les intervenants ont conclu qu’il est illusoire de parler de paix sans justice.
La séance a démarré avec la prestation de serment et l’installation dans leurs fonctions par le président de la République de 25 nouveaux membres de la Cour suprême, tous des magistrats de grade exceptionnelle. Parmi les nommés, le Procureur général près la Cour suprême et le président de la section administrative de cette institution, David Sagara. Ces nominations s’expliquent par le fait que la Cour suprême, la plus haute juridiction du Mali souffre, ces dernières années, d’un nombre très insuffisant de magistrats. Ce qui affecte son fonctionnement et joue sur la qualité et la crédibilité des arrêts qui y sont rendus.
Au cours de cette rencontre, le président de la République, président du Conseil supérieur de la magistrature a été vivement interpellé par le Procureur général près la Cour suprême par rapport aux mauvaises conditions de travail des magistrats, l’inexécution des décisions de justice qui encourage l’impunité au Mali. La part de la magistrature dans le budget national laquelle, selon lui doit être revue à la hausse.
IBK a été aussi interpellé par le Bâtonnier de l’ordre des avocats sur le problème du foncier au Mali, lequel est une véritable bombe à retardement. Le droit de propriété, a-t-il expliqué, est un droit absolu et sacré. Or, au Mali, ce droit dans le domaine foncier semble être banalisé. Aucune parcelle au Mali n’est à l’abri de la double attribution. Aujourd’hui, le foncier est devenu une préoccupation nationale. Et pour le Barreau malien, la mise place d’un véritable cadastre n’est pas au-dessus des moyens de l’exécutif. C’est pourquoi, le Bâtonnier a invité le président de la République à intervenir au plus vite pour éviter le pire.
«Monsieur le président de la République, quand tout le peuple vous parle, c’est Dieu qui vous parle, et il faut absolument répondre», a conclu le Bâtonnier.
Le président de la République dit avoir pris acte de ces interpellations mais il a rappelé d’être à la fois surpris et déçu par certaines de ces interpellations, surtout celle concernant l’inexécution des décisions de justice.
IBK a affirmé qu’il n’a jamais interféré dans un dossier quelconque de la justice. Il demande aux juges de mener leur art avec tous les pouvoirs et les compétences qui leur sont reconnus, mais avec discernement et rigueur pour que le Mali gagne avec sa justice.
IBK est surtout déçu de constater que malgré que l’année 2014 ait été décrétée année de lutte contre la corruption et la délinquance financière et malgré que 200 dossiers ait été remis à la justice, aucun n’a été à ce jour examiné.
Par ailleurs, le président de la République a fait savoir qu’il est encore déçu quand il se rend dans un autre pays et constate la rigueur et le sérieux dans lequel ses magistrats travaillent. Toutes choses qui le poussent à s’interroger si toutefois le Mali est réellement digne du nom d’Etat. « Sommes-nous dignes du nom d’Etat ? », s’est-il interrogé. Avant d’indiquer que si nous le sommes, tous les lieux de travail doivent incarner l’Etat, sa puissance, sa souveraineté, etc.
S’agissant des conditions de travail des juges, IBK a assuré que son souci est que chaque magistrat, chaque avocat se sente parfaitement à l’aise dans son rôle. Cela n’est pas de la démagogie, mais sa conviction, précise-t-il.
Actualité oblige, le président de la République ne pouvait pas passer sous silence l’attaque terroriste perpétrée contre l’hôtel Radisson. Après avoir fait observer une minute de silence à la mémoire des victimes de cette attaque, IBK a rappelé que nous vivons le temps de l’horreur et nous sommes obligés d’évoluer et s’adapter à ça dans tous les domaines. Le Mali s’est engagé à bouter hors de ses frontières le terrorisme et cette lutte se fera dans la légalité, a-t-il conclu.
M’Pè Berthé