Quarante sept ans après avoir été renversé par un coup d’état militaire salutaire, les maliens commencent à bien comprendre que la crise récurrente au Nord du Mali n’est que la conséquence directe d’une mauvaise gestion de la rébellion de 1963 ponctuée par des crimes des plus abominables, des exactions, des barbaries et des humiliations sous la houlette du premier Chef d’Etat du Mali Indépendant, Modibo Keita que ses affidés considèrent comme un saint.
Les problèmes du Nord du Mali n’ont suscité beaucoup d’intérêt qu’à partir de 1990 parce que c’est à partir de cette date que les premiers soubresauts vers la démocratie ont commencé les autorités légales du Mali et que l’insécurité née de la rébellion armée a touché les populations autres que les Touareg jugés responsables des troubles dans le Nord du Mali depuis 1963. En effet pour justifier les abus, les exactions et les barbaries commis sur les populations touaregs accusées d’une velléité de sécession nourrie depuis le projet Français de création de l’Organisation commune des régions sahariennes(OCRS) et surtout pour les présenter comme étant hostiles à toute cohabitation avec leurs compatriotes du Sud, Modibo Keita n’ a fait que tisser un véritable rideau de méfiance épaissi par un comportement administratif arbitraire, au besoin tyrannique et qui a été une donnée presque constante dans les régions du Nord du Mali. Or deux faits vérifiables contredisent les accusations portées par Modibo Keita au sujet de la velleité de sécession des touaregs. Pour preuve en 1959 à Gao, les principaux chefs de tribu de Menaka, Ansongo, Bourem et Kidal des actuelles 7e et 8e régions avaient rejeté à l’unanimité le projet de l’OCRS proposé par l’administration française. En octobre 1959, une délégation du gouvernement de la République Soudanaise conduite par Madeira Keita, se rendit à Kidal où un grand meeting fut organisé. Au cours de ce meeting la question suivante claire et précise fut posée aux 7 chefs de tribu de l’Adrar des Ifoghas : « le Soudan veut aller à l’Indépendance. L’Adrar adhère-t-il à cette indépendance ou reste-t-il avec la France ? » Aussi clair que la question, la réponse suivante a été donnée par le porte-parole des chefs de tribu, Attaher Ag Illi : « La France nous a combattus ensemble, nous a vaincus ensemble, nous a colonisés ensemble. Elle continue à nous coloniser ensemble ou nous restitue notre liberté ensemble. Notre séparation n’est pas envisageable. Malheureusement 6 mois après un ressortissant du cercle de Kidal du nom de Monsieur Inadjem de la fraction Kel-Ouzzeyen tomba sous les balles des agents de sécurité à Tédjarert pour non payement de 500 francs d’impôt. Ce qui a semé la panique dans la zone qui ont vu l’inquiétude et la méfiance s’installer dans la région. Le comble c’est que la mort de ce citoyen fut purement simplement classée comme un anodin fait divers et surtout pas la moindre attention n’a été accordée à la veuve et aux orphelins de la part des autorités maliennes.
La rébellion de 1963-1964
Tout est parti en juin 1963 lorsqu’ un agent de sécurité malien par son arrogance et par sa cruauté, a déclenché un incident néfaste puisant ses racines de l’époque coloniale. C’est ainsi que dans une scène de pure provocation, il s’est moqué d’un jeune tamasheq du nom de Elhadji Ag Alla en le rappelant de ce qui était arrivé à son père, Alla Ag Albacher qui était hostile à l’administration coloniale depuis 1929 et qui avait été abattu en 1954 avec son frère ainé, Mohamed Ag Alla. En effet trois jours après son enterrement, les français le déterrèrent et coupèrent sa tête qu’ils exhibèrent en macabre trophée dans toute la zone de Bouressa. Traumatisé par les inimités du premier chef d’arrondissement, Elhadji Ag Alla décida alors de s’en prendre à tous ceux qui ont aidé l’armée française qui a abattu son père. Après avoir désarmé l’agent de sécurité provocateur et son compagnon, Elhadji abattit peu après l’un des principaux guides de l’armée française. Et ce fut le début des exactions et des humiliations menées par les gendarmes qui terrorisaient les campements des touaregs notamment en déshabillant des hommes devant leurs familles et en leur imposant de regarder fixement le soleil, menottes aux poignets. Deux mois après cet acte horrible, ce fut la militarisation de la zone d’où la révolte de la population qui s’est transformée en rébellion.
Et l’heure de la répression aveugle, sonna
Ainsi la répression de la rébellion dite de Kidal débuta dans un parfait aveuglement sans le moindre souci de discernement. Elle fut marquée par le massacre des personnes civiles non armées, allant de l’extermination de campements entiers aux exécutions sommaires et publiques, en passant par des gens brulés vifs et les nombreuses femmes mortes en prison avec leurs enfants ; la décimation du cheptel par un mitraillage impitoyable ; le pillage des biens matériels des campements ; les humiliations verbales ; les enlèvements des femmes mariées. En fait cette répression horrible avait des raisons culturelles souvent spirituelles en témoigne certaines barbaries et exactions telles que l’exécution publique à Kidal de Hamzata Ag Safikhoun à cause de sa poésie. Un notable qui a même composé un poème dithyrambique à la gloire de l’indépendance du Mali, de l’exécution à Kidal de Sid Mohamed alias Nbakouwa Ag Oumeyata, haute personnalité spirituelle dont la renommée s’étend jusqu’au Gourma du cercle de Rhaous, de l’exécution à Aguelhoc de Sidi Hayballa Ould Abidine, haute personnalité spirituelle des Kounta de tous les cercles de Kidal et Tessalit. Pire le cercle de Kidal fut décrété zone militaire sous le monopole de l’armée interdite et transformé comme le bagne où sont affectés les condamnés à mort. Le 12 avril 1964, des députés de l’US RDA furent imposés de force à Gao, Bourem et Menaka. Comme cela ne suffisait pas un crime culturel le plus abominable fut effectué en 1966 lorsque le regime tyrannique et machiavélique de Modibo organise des sessions de formation politique à l’intention des leaders communautaires. Ces sessions portaient en grande partie sur le « socialisme scientifique » avec une connotation athée. On imagine bien l’effet catastrophique d’un tel « prêche » pour tenter d’endoctriner des populations profondément musulmanes, qu’on massacre pendant qu’on affiche devant elles le doute en l’existence de Dieu. En 1967, Modibo Keita fait assassiner par le capitaine Diby Sylas Diarra 3 des 7 Chefs de tribu de l’Adrar car leur tort est d’avoir réclamé une école où leurs enfants apprendront l’écriture tamachèque simultanément que le français. Il s’agit de Hamzata Ag Alqacem, chef de la tribu Taghat Mallèt Kel-Tellabit, d’Ebag Ag Elmouaq, chef de la tribu Taghat Mallèt Kel-Oukenek et de Bissada Ag Rhissa, chef de la tribu Kel- Taghlit. Plus que la mort de ces trois chefs c’est le calvaire cynique imaginé par leurs bourreaux et ayant provoqué leur mort, qui a profondément indigné la population. En effet ces trois chefs de tribu ont été dévêtus, sous les yeux de leurs parents, de leurs enfants et de leurs administrés, sous les coups de cravaches des gardes. Pire ils roulaient chacun ce qu’appelaient nos parents à l’époque « la barrique sans destination » sachant qu’une barrique contient 200 litres d’eau et à rouler en va- et-vient entre le cercle et la piste d’atterrissage. Egalement en 1967 à Jarajanshé à 30 km au Nord de Kidal et cela 3 ans après la fin officielle de la rébellion, Akhlou Salem Ag Akhemmenou, l’un des leaders de l’ex-rébellion revenu se rendre fut assassiné. Du coup ce quadruple assassinat et l’interdiction de composer un poème en tamachèq ont aggravé la perte de confiance de la population locale en l’administration malienne. Face à toutes se dérives inombrables certains ont pu s’enfuir et se sont retrouvés au Niger, au Burkina Faso, en Mauritanie, en Algérie et surtout en Lybie. En tout cas ce n’est pas Dr Mohamed Soumaré alors Député à l’Assemblée Nationale et temporairement affecté à Kidal comme médecin des troupes dirait le contraire de ces crimes abominables en témoigne sa déclaration « Je dis temporairement parce que je suis surpris par des crimes commis à Kidal ». Malgré l’évidence de ces crimes, cela n’a pas ébranlé la conscience des héritiers de l’US RDA. Le comble ils se plaisent à dire que la rébellion de 1963 a été bien matée contrairement aux rébellions de 1990 ; 2006 et 2012. Ils vont jusqu’à afficher l’attitude du devoir accompli. Mais ils ont oublié que la vengeance est un plat qui se mange à chaud. C’est ça qu’on assiste à présent avec cette crise récurrente du Nord du Mali. Et ce sont les enfants et petits fils de ces personnes assassinées par Modibo Keita qui sont revenus en 1990, 2006 et 2012 pour reprendre les hostilités. Si Modibo Keita était animé d’un dialogue sincère comme Moussa Traoré, Alpha Oumar Konaré, Amadou Toumani Touré et Ibrahim Boubacar Keita, on ne parlera pas sans doute de la crise du Nord du Mali avec son lot de morts et de désolations à plus forte raison l’arrivée des forces étrangères. Donc il urge aux héritiers de Modibo Keita de demander pardon aux Touaregs du Nord du Mali et à toutes les victimes innocentes de 1960 à 1967 comme le fait aujourd’hui les héritiers d’Hitler à l’égard des Juifs tombés sous la folie de leur mentor.
Sadou Bocoum
Source: La Mutation