Les solutions préconisées par le Procureur Général, Daniel Tessougué à propos de la lutte contre le terrorisme dans notre pays, consistent à raser les longues barbes, entre autres mesures... Des suggestions autant pertinentes que discutables, en des points et surtout, révélatrices de la totale méconnaissance de l’orateur à propos du jihadisme. Fort heureusement, un redresseur de tort était présent: Il s’appelle Ibrahim Boubacar Keïta!
C’est le 30 novembre, à l’ouverture de la troisième et dernière session d’assises de cette cour pour l’année 2015 que le Procureur Général près la Cour d’Appel de Bamako, M. Daniel Amagoin Tessougué a donné sa recette anti-jihadiste pour le Mali.
A ses dires, «les terroristes écument le pays depuis des mois et démontrent ainsi que nulle part, les citoyens honnêtes ne peuvent être à l’abri. Il est alors temps, plus que temps de renverser la tendance et d’introduire la peur dans le camp des délinquants. Le terrorisme doit être combattu et cela avec les armes qu’il faut…». Et ces armes, à l’en croire, consistent à raser les longues barbes, contrôler les sources de financements de la construction et du fonctionnement de certaines mosquées, l’examen des textes régissant la création des lieux de cultes dans notre pays.
En parlant de «lieu de cultes», Monsieur le Procureur Général fait clairement allusion aux mosquées étant entendu que les Eglises, cathédrales et synagogues ne sont pas concernés par le phénomène jihadiste. Il est dès lors évident qu’il est susceptible de heurter certaines susceptibilités pour des raisons…, disons, évidentes. Venant de lui, les appelés peuvent y percevoir d’autres connotations, à tort, certainement.
Il est cependant vrai que le mode de financement et la gestion des mosquées ainsi que des medersas au Mali échappent à tout contrôle. Toutes les tendances et sectes à travers le monde, investissent ici et entretiennent chacun son idéologie et sa doctrine. La relecture des textes en la matière permettra certainement de limiter les influences extérieures. Voici pour l’évidence. Le reste, (faire raser les longues barbes en l’occurrence) s’avère très contestable, contreproductive, voire susceptible de donner lieu à de graves conflits sociaux, puisqu’enfreignant certaines libertés individuelles, culturelles et religieuses. Sur ce point, M. Le Procureur Général a été très mal inspiré. Seigneur, pardonnez-le, car… ! Enfin, tout bon magistrat n’est pas forcément fin stratège !
En clair, si ses premières suggestions s’avèrent très pertinentes et par conséquent réalisables, elles ne constituent cependant qu’un apport à une batterie mesures plus concrètes et l’interpellant lui, en premier. Et c’est le président IBK qui l’a justement interpellé à propos.
Les vérités d’IBK à la justice malienne
Voici la réponse du président IBK, lors dela rentrée solennelle des Cours et tribunaux du Mali et suite à son interpellation par les Magistrat:
«Je suis étonné qu’ayant superbement décrété l’année 2014, année de lutte contre la corruption, ayant déféré auprès de vous plus de 200 dossiers, sinon plus, que l’on me parle de décisions inachevées, depuis des mois, qu’aucun de ces cas n’ait prospéré jusqu’à jugement. Je m’interroge calmement, sereinement…Je dois dire que je ne pense jamais avoir été interpellé par votre hiérarchie et que je sois resté sans agir… je m’honore en tant que président du Conseil Supérieur de la magistrature, je puisse regarder chacun et chacune d’entre vous droit dans les yeux et droit dans les bottes n’en ayant jamais sollicité aucun pour une réaction particulière à un dossier qui serait en contradiction avec mon serment, tel est mon sens de l’honneur et de la dignité. Tel est ma conception de mon rôle de chef de l’Etat. Dès lors, il vous est loisible de mener votre art avec des compétences qui vous sont reconnues et qui sont réelles avec la détermination, également et l’intégrité parfaite dont je sais attendre de vous (...).
Cette mise au point du président IBK est pour le moins limpide quand bien même, ne manquant pas de relent. Et pour cause. Il se contente juste de s’étonnerqu’aucun dossier n’ait prospéré jusqu’à jugement et ce, depuis des mois. Au lieu de s’étonner, il aurait certainement mieux fait de prendre ses responsabilités en sa qualité de premier magistrat de la République.
Mais en quoi ces déclarations d’IBK s’avèrent-elles une réponse au PG Daniel Tessougué, à la justice malienne et surtout, une contribution de taille dans la lutte contre l’extrémisme religieux ?
Parce que le terrorisme se nourrit de la mauvaise gouvernance, de l’injustice, de la corruption, du chômage, etc.
Si le Mali constitue à ce jour un terreau fertile au jihadisme, ce n’est pas seulement du fait du financement occulte des lieux de cultes et des barbes longues comme le laisse croire M. Téssougué. Loin s’en faut ! Les véritables raisons ont été partiellement évoquées par IBK, et avant lui, par d’éminents chercheurs.
Des sondages et autres constats indiquent clairement que le terrorisme se nourrit particulièrement de certains ingrédients, à savoir, entre autres, la mauvaise gouvernance (y compris la mauvaise distribution de la justice), la corruption, le chômage des jeunes, etc.
Le secrétaire Général adjoint aux affaires politiques de l'ONU, M. Jeffrey Feltman a bien résumé la situation dans les colonnes de notre confrère «Jeune Afrique» du 24 Novembre dernier: «Si vous prenez une carte et regardez où se trouvent les problèmes de mauvaises gouvernance, de sécurité alimentaire, de développement, vous percevez un chevauchement avec les endroits où ces groupes radicaux sont implantés. Daesh et Boko Haram se nourrissent de ces manques».
Cet autre constat de l’organe nigérian de sondage d'opinion - NOIPolls Ltd- publié en juillet 2014 après l’enlèvement des 200 lycéennes, révèle ceci : «Le terrorisme qui secoue actuellement le Nigeria est à mettre sous le compte de la mauvaise gouvernance et du chômage…, Les résultats du sondage ont montré également que la pauvreté pousse certains jeunes à s'adonner au terrorisme».
Toutes les études sérieuses convergent : «parmi les facteurs qui favorisent le terrorisme de façon prépondérante mais non exclusive figurent l'extrémisme idéologique, les conflits violents régionaux ou locaux, la mauvaise gouvernance, l’injustice, la discrimination ethnique ou religieuse ... Le terrorisme naît et prospère là où les droits de l'homme sont bafoués et les droits civils et politiques limités. Les acteurs exploitent les violations de ces droits…».
La mauvaise gouvernance, c’est aussi et surtout la mauvaise distribution de la justice, généralement à l’origine des conflits sociaux et communautaires. Il faut certainement comprendre la réaction d’IBK dans ce sens. Et nul, à l’heure actuelle ne peut présager du présent et de l’avenir des justiciables liés de près ou de loin à ces 2000 dossiers. Se sont-ils résignés ? Ont-ils décidé de prendre faits et cause pour une entité terroriste dans l’intention de se venger d’un système ? C’est hélas, de cette manière que ça fonctionne : une présumée victime se laisse facilement endoctriner par les recruteurs des groupes extrémistes. La première leçon qu’il assimile pour se donner bonne conscience, est qu’il combat désormais sur le chemin d’Allah et que les portes du paradis lui sont désormais ouvertes. Sa haine du système fera le reste. A titre illustratif, l’on sait que les premiers «moudjahidines» d’Amadou Koufa du Front de Libération du Macina (FLM) s’avèrent les membres de la secte des «Pieds nus» à l’origine des tristes événements de Dioïla en 1999. Inutile d’en rajouter ! La plaie reste toujours ouverte.
En somme, la justice malienne est seulement appelée à rendre de bons jugements et du coup, elle enverra les barbus au chômage et donnera du boulot aux barbiers.
B.S. Diarra
source : la sentinelle