Suite à un différend foncier autour de la gestion d’une bourgoutière : Vers un affrontement imminent entre éleveurs de Sendégué et agriculteurs de Korientzé
Les conflits entre éleveurs et agriculteurs sont légion dans la région de Mopti mais celui qui pointe à l’horizon entre les Communes rurales de Sendégué et Korientzé, dans le Cercle de Mopti, risque d’être meurtrier si les plus hautes autorités, notamment les ministères de l’Administration territoriale et de la Justice, ne prennent pas au plus vite leurs responsabilités. Les éleveurs de Sendégué, propriétaires de la bourgoutière le Simaye depuis le 15ème siècle, accusent l’ancien régime de les exproprier de sa gestion au profit des agriculteurs de Korientzé. Profitant des événements du 22 mars 2012, près de 5 000 éleveurs, munis de plus de 800 fusils, ont pris d’assaut la bourgoutière. Selon eux, les agriculteurs de Korientzé devront marcher sur leurs cadavres pour y accéder désormais.
Historique de la bourgoutière le Simaye
Depuis le 15ème siècle la famille Ba, qui assure jusqu’à présent la chefferie du village, a occupé le Simaye. En ce temps, toute la zone comprise entre Galala, les collines de Goureau et de Soroba, Pimba, Tounta et Nakoura étaient une grande étendue d’eau. Il a fallu attendre plus tard pour voir naitre les îlots appelés aujourd’hui bourgoutières.
Pendant toute cette longue période, les ancêtres des Ba vivaient à l’état nomade et transhumaient entre la zone inondée et le Sahel. L’esclavage battant son plein n’a pas pu s’emparer des prairies du Simaye où vivaient les Ba et leur cheptel. Comme tous les pasteurs peulh, ils pratiquaient le nomadisme et se déplaçaient de pâturage en pâturage, possédant ainsi des gîtes d’étape. Les Ba se sont battus durant des siècles pour défendre leur domaine pastoral : le Simaye. C’est avec l’avènement de l’empire peulh du Macina que les Peulh ont commencé à se sédentariser.
D’après le maire de Sendégué, Boubacary Sékou Ba, depuis les années 1432, son ancêtre, Jousso, a occupé le Simaye soit 391 ans avant l’avènement de la Dîna de Sékou Amadou. Il apparaît ainsi que l’appartenance du Simaye à la famille Ba est antérieure à la Dîna de Sékou Amadou, à l’occupation toucouleur d’El hadj Oumar Tall et à la colonisation française.
En l’an II de la Dîna, soit en 1820, Sékou Amadou a entrepris la politique de la sédentarisation des pasteurs nomades. C’est ainsi que Sendégué, pour mieux gérer ses bourgoutières, a choisi parmi ses différents sites l’actuel emplacement du village et s’est définitivement installé en 1820. Malgré le nouvel empire, le droit acquis par l’usage de la famille Ba, en tant que premier occupant n’a pas changé. Ni la domination toucouleur ni la colonisation française ni l’Etat du Mali n’ont mis en cause le droit de propriété et de gestion de la famille Ba sur le Simaye.
Origines du conflit autour de la gestion du Simaye
Il faut remonter au 21 octobre 2003, date à laquelle le village de Doko, de la Commune rurale de Korombana (ex-Arrondissement de Korientzé) introduit une requête auprès du Tribunal de Mopti pour réclamer sa propriété sur la bourgoutière le Simaye. Le jugement rendu le 5 juillet 2007 attribue le Simaye à Sendégué. Ce qui mécontenta Doko qui interjeta appel et, le 25 juillet 2008, la Cour d’appel de Mopti a confirmé la propriété de Sendégué. Ce, en se basant sur le verdict prononcé le 12 février 1946 par le Tribunal du second degré de Mopti, présidé par Le Floch Pierre, administrateur des colonies et Commandant de Cercle de Mopti, qui attribue la propriété et la gestion du Simaye à Sendégué. Comme si tout cela ne suffisait pas, Doko fait un pourvoi devant la Cour suprême. L’arrêt N° 382 du 19 février 2009 de cette instance confirme la propriété de Sendégué sur la bourgoutière.
Parallèlement à cette bataille judiciaire, Doko introduit une autre requête le 13 juin 2008 auprès du Tribunal de première instance de Mopti qui, lors de son audience du 7 août 2008, reconnaît, cette fois-ci, la propriété de Korombana dont relève Doko. L’appel de Sendégué devant la Cour d’appel de Mopti n’y change rien.
Conséquences de cette volte-face de la justice
Il est impératif que la justice se ressaisisse au plus vite pour éviter un affrontement. En effet, à la fin du mois de mars 2012, profitant des événements du 22 mars, ce sont près de 5 000 éleveurs, munis de plus de 800 fusils, qui ont pris d’assaut la bourgoutière le Simaye et juré de tuer quiconque se hasarderait désormais à vouloir prendre le contrôle de cette prairie qu’ils ont héritée de leurs ancêtres depuis moult générations. Les conseils et autres prières du maire Boubacary Sékou Ba pour calmer les jeunes restent vains. D’ailleurs, ils accusent le maire de laxisme dans la gestion de cette affaire. Aujourd’hui, les populations de Sendégué ne fréquentent plus le marché hebdomadaire de Korientzé et vice-versa. D’après plusieurs notables, si rien n’est fait d’ici le prochain Djolol (traversée des animaux), le pire est à craindre car la question de la bourgoutière ne concerne pas que les éleveurs, elle préoccupe également la communauté bozo installée sur le site depuis longtemps.
Mopti, un scandale judiciaire
Si les agriculteurs de Korientzé et les éleveurs de Sendégué sont d’accord sur un seul point, c’est que chaque camp a versé plusieurs dizaines de millions FCFA à la famille judiciaire de Mopti qui fait de ce dossier un véritable fonds de commerce au détriment de ces pauvres populations. Il n’est plus un secret qu’à Mopti la justice est à la solde du plus offrant. Le maire de Sendégué dit qu’il ne sait pas combien ces populations ont versé aux juges. Son prédécesseur parle de plusieurs dizaines de millions. Les jeunes que nous avons rencontrés, et qui sont les vrais contributeurs, avancent le montant d’environ 100 millions de FCFA.
Devenus la vache laitière de la famille judiciaire de Mopti, ces éleveurs sont aujourd’hui décidés à ne plus se laisser faire et même à se rendre justice car excédés par l’injustice de la justice.
Exemple concret d’injustice de la justice
Nous sommes en décembre 2011. Six gendarmes armés jusqu’aux dents, accompagnés par un clerc, se rendent sur le site à bord d’une pirogue à moteur. Ils y trouvèrent six pêcheurs qu’ils embarquèrent. Informé, le chef des Bozo, M. Kossibo, se fait accompagner par l’ancien maire, Hamadou Amadou Ba. Ils croisèrent l’équipe des gendarmes sur le fleuve et lui exprimèrent leur étonnement. Sans dire mot, les gendarmes intimèrent l’ordre aux six pêcheurs de changer de pirogue. L’incident qu’on croyait clos ne faisait que commencer car le lendemain l’ancien maire reçut une convocation du Procureur général près la Cour d’appel de Mopti, Cheickna Hamalla Fofana, qui l’accuse de vouloir attenter à la vie des gendarmes et du clerc. L’ancien maire est mis à la disposition du Commandant de brigade (CB) de Sévaré, M. Maïga.
Pour se sortir de cette affaire qui lui empoisonne la vie, l’ancien maire, Hamadou Amadou Ba et le chef de la communauté Bozo, Kossibo, soutiennent avoir versé en pots de vin plusieurs sommes allant de 200 000 à 600 000 FCFA à la famille judiciaire de Mopti et Sévaré.
Si ces faits gravissimes rapportés par les principaux acteurs sont avérés, ils jetteraient un sérieux discrédit sur notre justice en laquelle nombre de justiciables n’ont plus confiance. C’est pourquoi, il urge que le ministre de la Justice, Garde des sceaux, Malick Coulibaly, prenne ce dossier en main car la région de Mopti semble être une République dans la République du Mali, en tout cas en matière de justice où les citoyens pauvres sont lésés au quotidien au profit des plus aisés.