Le chef des musulmans du Mali, l’imam Mahmoud Dicko, a sans doute perdu une occasion de se taire. Interrogé début décembre par une chaîne de télévision privée malienne et la radio Nyeta à propos des attentats du 13 novembre à Paris, le religieux qui dirige la mosquée de Badalabougou a estimé que le terrorisme était un « châtiment divin ». Quant à l’attaque du 20 novembre à l’hôtel Radisson Blu, au centre de Bamako, il a estimé, sur les ondes de la Voix de l’Amérique, le 25 novembre, jour des funérailles des victimes, que « la colère de Dieu » était liée à la présence d’homosexuels et de bars dans son pays : « Les terroristes nous ont été envoyés par Dieu pour nous punir de la promotion de l’homosexualité, importée d’Occident et qui prospère dans notre société. »
« Un modèle que l’Occident veut nous imposer »
Des propos qui ont eu un effet de contagion immédiat : en une semaine, l’homophobie a gagné les prêches dans les mosquées de la capitale, et cela alors que le cadre juridique malien ne souffre d’aucune ambiguïté et consacre les libertés individuelles.
Ibrahim Diaby, doctorant en études coraniques, fervent partisan de l’imam de Badalabougou, défend ses propos : « Almamy [titre respectueux qui désigne l’imam] veut nous demander de nous amender, de nous ressaisir pendant qu’il est encore temps. Il refuse ce maudit modèle que l’Occident veut nous imposer. »
Mahmoud Dicko, qui préside depuis 2007 le Haut Conseil islamique malien (HCIM), est coutumier de déclarations enflammées. Lors d’un meeting organisé par le HCIM à la grande mosquée de Bamako, le 12 décembre, l’imam est allé plus loin dans la diatribe, dénonçant pêle-mêle une forme d’occupation de son pays par les casques bleus de la Minusma et de la force française « Barkhane », ainsi qu’un « djihadisme » créé de toute pièce « par les Occidentaux » pour « recoloniser le Mali ».
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Dans les milieux proches de Mahmoud Dicko, on estime que cet imam, qui se réclame du wahabisme, est dans son rôle. « L’homosexualité résulte d’une délinquance morale de l’Occident, lequel veut imposer un autre modèle de société à l’humanité », lance à visage découvert Moussa Mallé, maître coranique à Torokorobougou, un quartier du centre de Bamako. Dans sa classe de secondaire, l’instituteur enseigne à ses quinze élèves les valeurs de l’islam en y mêlant d’acerbes critiques contre l’homosexualité qui, affirme-t-il, éloigne de Dieu.
Ces mots, qui sonnent comme une déclaration de guerre aux libertés fondamentales consacrées par la Constitution malienne du 25 février 1992, ont choqué l’opinion, qui attendait plutôt un appel à la cohésion nationale, à la compassion et à la solidarité. Les militants des droits de l’homme et autres partisans des libertés individuelles n’ont pas tardé à se manifester via des lettres ouvertes et des déclarations reprise à la volée par les médias.
L’acteur culturel Alioune Ifra N’Diaye est de ceux qui ont osé dénoncer les déclarations homophobes du chef musulman, lequel, juge-t-il, devrait tenir un discours d’unité. Et de lui adresser cette réponse : « J’aimerais mieux vous entendre sur le sort des milliers d’enfants mendiants exploités par les marabouts qui sont transformés en kamikazes pour ceux dont vous justifiez l’acte. »
Apologie du terrorisme
A son tour, le procureur de la République près la cour d’appel de Bamako, Daniel Tessougué, a qualifié les déclarations de l’iman Dicko d’apologie du terrorisme. « C’est une sorte d’apologie du terrorisme. C’est vraiment regrettable, surtout venant d’un leader religieux. Le terrorisme ne s’explique pas, du tout. »
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