Soumeylou Boubèye Maïga, ancien ministre malien, expert des questions stratégiques : «L’objectif final de cette opération des jihadistes, c’était de torpiller l’action internationale»
Dans le nord du Mali, la zone de guerre s’élargit. Pour la première fois, dimanche, l’aviation française a frappé les jihadistes dans leur place forte de Gao. Jusqu’où peut aller la contre-offensive franco-malienne ? Le Malien Soumeylou Boubèye Maïga est un expert des questions stratégiques. Il a été ministre de la Défense et des Affaires étrangères. Aujourd’hui, il préside l’Observatoire sahélo-saharien de géopolitique.
Soumeylou Boubèye Maïga
Pourquoi les jihadistes sont-ils passés à l’offensive le jeudi passé ?
Soumeylou Boubèye Maïga : Ils ont dû d’abord estimer que nous n’étions pas encore suffisamment prêts, parce qu’au niveau de la Communauté internationale, on s’était installé dans une sorte de schéma un peu idéaliste. On était dans une approche linaire : il y avait d’abord le dialogue, et puis, l’action militaire, en oubliant qu’il y avait une connexion importante à réaliser entre l’action diplomatique et l’action. Ils se sont dit qu’ils pouvaient anticiper sur les préparatifs que nous faisions, étendre leur emprise territoriale, détruire ou désorganiser les infrastructures que nous avions à Sévaré qui a vocation à être un peu la plateforme logistique de la future opération.
Donc ils ont tenté un coup sur l’aéroport de Sévaré ?
Ah oui, parce que l’objectif final de cette opération, c’était de torpiller l’action internationale.
Est-ce que les jihadistes ont parié sur un refus de François Hollande de lancer l’armée malienne ?
Probablement. Ils ont dû penser que, au regard des hésitations, qu’il y avait au niveau international, les uns et les autres n’étaient pas aptes à faire une intervention militaire, à faire un engagement militaire.
Donc pour vous ils ont fait un mauvais calcul ?
Tout à fait. C’est pourquoi, il est important que l’action se poursuive, pour continuer à détruire toutes leurs infrastructures au-delà de la zone opérationnelle. C’est-à-dire toute cette zone qui s’étend jusqu’à Tombouctou, à Gao, partout où ils ont stoppé des capacités logistiques importantes.
C’est dire que vous êtes partisan de la poursuite des opérations franco-maliennes d’aujourd’hui jusqu’à Tombouctou et Gao ?
Oui ! Maintenant, nous sommes obligés de poursuivre dans la durée parce que l’agenda qui avait été conçu, a été accéléré par les initiatives prises par les jihadistes.
Franchement, après la défaite de jeudi dernier à Konna, est-ce que les forces maliennes sont encore capables de répartir dans une opération militaire ; est-ce qu’en réalité ce ne sont pas les Français qui seront en première ligne ?
Je pense que, sur le plan terrestre, les Français n’auront pas besoin des forces combattantes. Nous allons accélérer la reconstitution des unités, le regroupement et le rassemblement des unités, leur opérationnalité, parce que c’est quand même les militaires maliens qui vont faire les actions terrestres. Il faut que les Français continuent, pour qu’avec les moyens aériens dont ils disposent, les capacités logistiques des jihadistes soient détruites.
Pour vous la libération des villes de Gao et Tombouctou doit attendre plusieurs semaines, plusieurs mois ?
Pas plusieurs mois, peut-être plusieurs semaines. D’abord, il faut que les forces se mettent en place. En même temps, il y a probablement une action à faire en direction des pays hors CEDEAO. Je pense à la Mauritanie et à l’Algérie, pour que tous ces pays contribuent du point de vue de la collecte des renseignements, des efforts à obstruer toutes les filières de ravitaillement et de recrutement. Et puis, la reconquête du nord se fera de façon graduelle, de manière progressive et méthodique aussi. Le temps pour le Mali de rassembler des unités aptes à continuer l’action, c’est-à-dire une action qui pourra se mener dans les semaines à venir, mais, dont le résultat se met en œuvre pour la durée.
Vous parlez de l’Algérie, pour l’instant, Alger semble soutenir l’opération franco-malienne. Est-ce que les Algériens se sentent trahis par Ansardine ?
Les gens avaient simplement oublié que l’action militaire ne peut pas être déconnectée du processus politique, et les gens avaient pensé pouvoir déconnecter les deux volets. Tout le monde voit bien que ce n’est pas possible. Ce que certains considéraient comme le dernier recours, c’est-à-dire l’usage de la force, c’est en fait le premier recours sur les jihadistes.
Donc en négociant avec Ansardine, les Algériens se sont trompés et en tirent aujourd’hui les leçons ?
Je pense qu’ils ont fait une évaluation qui, finalement, ne s’est pas avérée correcte de la situation.
Et ils s’adaptent aux réalités ?
Ah oui, tout à fait.
Si les jihadistes perdent Gao et Tombouctou, est-ce que vous ne craignez pas des représailles à Bamako ou dans une autre grande ville d’Afrique de l’Ouest ?
Tout est possible. C’est pourquoi, il est important que toutes les décisions, notamment celles relatives à l’état d’urgence, soient exécutées avec beaucoup de rigueur. Pour que nous puissions détecter, neutraliser les menaces éventuelles, et peut-être même des attaques terroristes dans telle ou telle ville.
Les familles des otages d’Al-Qaïda sont très inquiètes, depuis trois jours. Est-ce que vous comprenez leur inquiétude ?
Tout à fait. Moi, je comprends bien. Maintenant, les groupes jihadistes, j’ai tendance à considérer qu’ils savent que quand il y a une atteinte à la vie des otages, ils s’engagent dans une guerre totale. Je ne pense pas qu’ils aient les capacités nécessaires pour y faire face. Je ne pense pas qu’ils aient un intérêt stratégique à s’engager dans une guerre totale. Mais, avec eux, on ne sait jamais. Ils ont un autre mode de raisonnement.
Voulez-vous dire que s’ils touchent aux otages, ils mettent leur propre vie en danger ?
Ah oui, totalement ! C’est pourquoi, je pense que l’un des volets sur lesquels il faut insister, c’est de continuer d’isoler, de neutraliser les éléments les plus radicaux, les irréductibles parmi eux. De manière à en faire des cibles politiques, mais aussi des cibles militaires, parce que c’est évident que n’eut été l’entêtement de certains parmi eux, probablement, on n’en serait pas là aujourd’hui.