Le procureur général près la cour d’appel de Bamako, Daniel Amagouin Tessougué reste égal à lui-même. Dans l’exercice de sa mission, il ne plie l’échine devant rien : au nom de la loi. Après un réquisitoire poignant à la cérémonie de clôture de la troisième session de la cour d’assises de Bamako, le mercredi 16 décembre 2015, il a bien voulu accepté de se confier à votre quotidien « Le Républicain ». Les questions judiciaires de l’heure : la religion et le terrorisme, la lutte contre la corruption, l’affaire des bérets rouges, la sécurité des magistrats, et bien d’autres, sans langue de bois. Pour la paix au Mali, tout le monde doit prendre ses responsabilités, selon lui. Le dossier des bérets rouges suit son cours normal. Lisez l’interview !
Le Républicain : Votre réquisitoire du 30 novembre dernier a provoqué une levée de boucliers chez certaines associations islamiques, qui ont pu parler d’atteintes à la liberté religieuse et d’expressions. Vous auriez annoncé que désormais il faudra de l’attention pour des gens aux barbes longues. D’où viennent ces allégations, auriez-vous fait des commentaires à côté ?
Daniel Amagouin Tessougué : Je vous remercie parce que je crois que c’est le lieu de mettre les points sur les i. J’ai gardé le profil bas parce que je pense que la raison viendrait des uns aux autres pour dire qu’un procureur général est trop sérieux pour défendre à ce micro des questions de barbes, honnêtement. Au cours de mon réquisitoire, j’ai effectivement dit que ce pays a toujours vécu en harmonie. Mais malheureusement les gens venus d’ailleurs nous apportent une idéologie de haine et de mort. J’ai cité le cas de Radisson et le cas de Kidal. Et si j’ai dit que l’Etat doit prendre ses responsabilités, c’est notamment, contrôler la question du chômage mais aussi et surtout la question religieuse qui est règlementée par les lois chez nous au Mali depuis 1961… Et j’ai dit qu’il faut revenir à l’Etat de droit… l’Etat droit et ses exigences… C’est un réquisitoire, nul n’a le droit de porter atteinte au réquisitoire. Je n’ai porté atteinte à aucune religion et il ne me viendra nulle part à l’esprit de porter atteinte à qui que ce soit parce que je suis homme de fois. Je suis obligé de respecter la fois des autres. Je suis issue d’une grande famille où il y a toutes les religions (musulman, chrétien, animiste). Alors je vais discriminer qui ? Donc, cette histoire de barbes est venue de je ne sais où du tout. Mais ce qui me choque c’est que des responsables puissent penser un instant qu’un procureur général puisse descendre jusqu’à ce niveau ... J’ai parlé du respect de la loi et là je suis dans mon rôle.
Quelle suite comptez-vous réserver à cela si cette situation continuait?
Je suis procureur général, je suis commis à une mission par l’Etat. Dans l’exercice de ma fonction, je suis outragé, je suis insulté et c’est à l’Etat de prendre ses responsabilités. Ce que je trouve comme inacceptable, s’est que certains membres de ma famille sont agressés physiquement et je trouve cela inadmissible. Et ce qui est comique, celui qui a été agressé n’est pas chrétien, il est musulman. Je pense que ce pays a glissé vers un pan très dangereux et ceux qui en sont les auteurs doivent assumer leurs responsabilités. Je pense que l’Etat prendra toute sa part.
Qu’est ce que ses agresseurs lui reprochaient?
Parce qu’il est Tessougué, c’est tout. C’est très grave. C’est une dérive.
Où en est on dans la lutte contre la corruption ?
La lutte contre la corruption est un combat de la justice. C’est notre mission comme toutes les autres missions. Nous sommes contre le fait infractionnel. C’est vrai que lors de la rentrée judiciaire, le chef de l’Etat a rappelé le nombre de rapport. Il a dit 200 rapports mais en fait c’est 209 rapports de la CASCA.
Ce sont des rapports qui se trouvaient à la CASCA depuis longtemps, parce que le vérificateur général et le suivi de contrôle, quand ils font les rapports, ils les envoient à la présidence mais également à la primature, à la cour suprême, à la justice.
Donc la plupart de ses rapports ont déjà fait l’objet de traitement par la justice. Je me suis amusé à voir les documents que le procureur de la commune III m’a envoyés de 2007 à 2015. Quand vous faite l’analyse, vous allez trouver de 2007 à 2013, il reste à peu près 20 dossiers, et tout le reste concerne des dossiers de 2014-2015, essentiellement initié depuis notre arrivée ici également. Mais ici à la cour d’appel même, nous avons comptabilisé et on a jugé 66 dossiers d’atteintes aux biens publics. Dans le stock, il n’y a que deux dossiers qui sont récents et trois vieux dossiers qui sont préparés pour les sessions d’assises futures, parce qu’il y a des arrêts avant dire droit, des compléments d’informations, des enquêtes supplémentaires à faire pour que les dossiers puissent être jugés. Ça veut dire en réalité qu’aucun dossier n’est dans le tiroir, tous les dossiers bougent. Maintenant ce qui est peut être un peu paradoxal, c’est qu’on ne fait pas beaucoup de publicité autour. Comme l’armée est la grande muette, la justice aussi est la grande muette, on ne communique pas trop. C’est peut être un pêché.
Les chiffres 209 dont vous évoquiez sont bien des rapports et non des dossiers ?
Ce sont des rapports mais pas des dossiers. La CASCA a envoyé des rapports et quand les rapports viennent au niveau de la justice, on communique ces rapports à la brigade du pôle économique et financier et cette brigade fait des enquêtes. Et souvent les faits ne tombent pas. Souvent ce sont des fautes administratives, des fautes fiscales et souvent c’est réglé à ce niveau là. Lorsque c’est pénal, nous avons pu tirer moins de 20 dossiers. Mais en réalité on a 70 dossiers qui ont été jugés de 2010 à 2015. Comme je vous ai dis dans le stock, il n’y a que deux dossiers qui sont assez récents et trois vieux dossiers qui ont déjà fait l’objet de passage devant la cour d’assises, mais qui ont fait l’objet de complément d’informations, ce qu’on appel des dossiers avant dire droit. C’est dire qu’en fait il n’y a pas 209 dossiers avec la justice.
Vous faites bien de revenir là-dessus parce qu’IBK l’a répété dans l’interview accordée au magazine Jeune Afrique ?
Oui je le comprends, il est dans son rôle parce qu’il faut que l’information lui revienne et c’est ce que nous avons toujours fait. Maintenant ce que j’ai demandé au procureur de la commune III, c’est de prendre l’ensemble des rapports point par point, toutes les informations dessus pour qu’on voie réellement qu’il n y a pas de dossier classé dans un tiroir, il n’y en a pas. Il n’y a pas d’affaires où la justice n’a pas mené d’enquêtes. Même au mois de mai 2014, j’ai fait faire une enquête sur l’histoire de l’avion d’ATT. Il n’y a pas un seul incident gravissime dont la presse parle qui n’a pas fait l’objet d’attention de notre part. Sur l’engrais frelaté, le 5 juin 2015, j’ai envoyé une plainte au procureur disant que ‘’la presse se fait l’écho d’engrais prétendument frelaté’’, j’ai demandé de faire une enquête là-dessus. Nous sommes là pour ça.
Est-ce à dire qu’il n’y a malheureusement pas de communication sur ce que vous faites ?
Je dis que c’est heureusement parce qu’il y a la présomption d’innocence. On préfère garder le profil bas et faire les enquêtes. Très souvent, c’est après jugement ou après l’arrestation de la personne que l’on s’en rend compte. Je suis convaincu d’une chose. Je ne suis pas du bureau de la présidence de la République, mais le connaissant républicain ; ayant prêté ce serment de respecter la loi et faire respecter la constitution. Je suis convaincu qu’il respecte le principe de l’égalité des citoyens devant la loi là. Et s’il protège ce principe là mon code de procédure pénale me dit que le code de procédure pénale est équitable. Donc, dès que j’apprends qu’il y a une infraction, je me mets immédiatement à l’instruction. Pour preuve, la dernière lettre envoyée, c’est concernant un simple communiqué du ministre des Finances que j’ai entendu que les commerçants auraient fait usage de faux cachés de fausses quittances. Immédiatement, j’ai ouvert une enquête pour qu’on sache ce qui se passe. Donc, on ne couvre personne et on ne couvrira personne en tout cas jusqu’à ce que je quitte ce poste. C’est cette dédicace que j’entends donner à ma mission.
Le ministre Bathily prétend avoir une discussion de 10 heures avec vous. Sur quoi avez-vous discuté ?
J’étais effaré. Je pensais qu’il avait fini avec cette histoire. Depuis qu’il était Garde des Sceaux, il parle de ça : ‘’Pendant dix heures, j’ai parlé avec le procureur général’’. Mais, moi je n’ai pas ce temps. Je n’ai jamais discuté pendant plus d’une heure avec aucun ministre. Quand on parle je suppose que c’est utile. On va juste pour des points précis. On discute et on sort. L’incident dont il parle s’est déroulé aux environs de 16h30. C’est à 16 h 30 que j’ai eu l’appel pour me dire qu’on a besoin de moi. Et quand j’arrivais il était 17heures avec les embouteillages. Il tend une liste de 22 personnes en disant Mr le procureur, son excellence Monsieur le Premier ministre, Oumar Tatam Ly veut que ces gens soient libérés avant 20 heures et qu’il faut que j’aille me démener. J’ai dis comment je peux le faire ? Pratiquement et techniquement, ce n’est pas possible. J’ai dis que ce n’était pas possible Mr ministre. Déjà, je n’ai pas de secrétariat. Donc, il faut revenir, saisir et envoyer une copie au Procureur. Parce que ce n’est pas à moi au procureur qu’on demande la liberté. Je pourrais ne pas le trouver sur place. Et s’il est là, il faut qu’il aille trouver un juge d’instruction. Il demande de mettre de côté le code de procédure pénale. Je dis ah non. Je ne peux pas. Un outil de travail d’un magistrat pénaliste, c’est le code de procédure pénale. Il me dit que l’accord de Ouagadougou est supérieur au code de procédure pénale. Ah je dis non, pour qu’un instrument de cette nature puisse être supérieur à une loi nationale, aurait-il fallu encore qu’il soit ratifié par le parlement. Comme ce n’est même pas dans ce cadre là, donc l’accord ne peut pas être supérieur au code de procédure pénale. C’est le code de procédure pénale qui s’impose. Parce que l’accord de Ouagadougou ne dit pas de violer la loi. Je dis qu’on clôt le débat parce que moi je ne vais pas le faire. Je ne vais pas violer la loi. Et ce jour je l’ai dis Monsieur le ministre, le code de procédure pénale me dit que le procureur général est chargé de veiller à l’application de la loi pénale. Mais le jour où vous allez écrire que le procureur général est chargé de violer la loi, vous prendrez un autre procureur parce que moi je vais partir. On ne s’est pas compris et je suis parti. Il a dit dix heures de temps. Non, ce n’est pas vrai. Maintenant, le reste ça n’engage que lui. Tout le temps que je suis procureur général, et tant que je le resterai, je veillerai à l’application stricte de la loi. Point final. C’est ma raison d’être. Parce que j’ai prêté le serment d’être un digne et loyal magistrat. Loyauté mais pas à un homme hein ! Pas à un régime, je suis loyal à mon pays et aux lois de mon pays.
Ces propos reviennent éternellement ?
Oui ça revient. A Paris il l’a dit devant la communauté Soninké. Il l’a aussi dit à ses admirateurs. Je ne suis politique. Je ne cherche pas à être ministre, je ne cherche pas à être député ni président de la République. Je suis un magistrat. C’est ce serment que j’ai prêté et continue à être un magistrat. Mon ambition est d’aller à la Cour Suprême un jour. Mais qu’on n’aille pas à la cour suprême me dire que vous avez violé la loi. Je ne suis ni de près ni de loin lié à aucune libération. Je n’ai libéré illégalement personne. Ça je suis fier de le dire.
Où en sommes-nous dans le dossier des bérets rouges ?
Ce dossier suit son cours normal. Ce sont des procédures qui sont longues. Parce que si l’on va vite, il y a trop de couacs qu’on risque de commettre et on annule la procédure. Donc comme le dirai l’autre, hâtons-nous lentement. Nous n’allons pas à une vitesse exponentielle. Nous allons lentement mais surement. Les juges d’instructions des deux dossiers ont terminé leur boulot. Les dossiers ont été régulièrement envoyés à la Cour d’Appel ici. Moi j’ai terminé une partie de mon boulot dans l’un des dossiers. La chambre d’accusation va décider.
Deux dossiers, avec les évènements du 30 septembre ?
Il y a le dossier du 30 septembre mais ce dossier n’est pas encore arrivé. Ce dossier est encore au niveau du juge d’instruction. Il s’agit des dossiers concernant les enlèvements et disparitions et l’attaque des bérets rouges sur le camp de Kati. Il y a un acte dans l’un des dossiers que nous avons connu et qui doit être jugé. Et il sera jugé le dossier va sortir aussi au niveau de la chambre d’accusation. Tous ceux qui racontent des histoires veulent se faire intéressants. Et j’ai dit aux journalistes, contentez vous du communiqué que le parquet général va faire. Tous les autres veulent se faire intéressants. Ils ne sont au courant de rien. Et rien n’a été décidé.
Le dossier fera-t-il l’objet des assises de l’année 2016 ?
Quand ce sera fin prêt. Parce qu’aujourd’hui le parquet ayant terminé, les dossiers sont à un autre stade. Et tant qu’eux n’auront pas décidé, on ne peut dire qu’il y aura assises ou non. Personne ne peut le dire. Donc je dis patientons, on ne met pas les pieds là-dessus. C’est des dossiers volumineux. Le juge d’instructions a pris combien d’années pour travailler là-dessus. Ici, il y a trois magistrats qui ont travaillé dessus. Il faut donner le temps à chacun de le lire et de le comprendre. Parce que c’est à l’aune du droit qu’on va le traiter. Ce n’est pas parce que les gens le veulent. C’est l’aune du droit qu’on va le traiter. En tant que procureur général, j’ai pris pratiquement deux à trois mois en train de lire et de rédiger un réquisitoire. Ce n’est pas de petits dossiers. Souvent vous avez un réquisitoire de 53 pages. Je pense quand même que c’est quelques choses.
On parle de libération imminente de certains généraux, qu’est ce qu’il en est ?
Tout ça c’est des gens qui veulent se faire intéressants. En fait, il n’en est rien. Personne n’a décidé de quoi que ce soit. Seule la chambre d’accusation peut décider de quelques choses. Elle est reine en cette matière là.
Avez-vous un message
Je m’adresse à mes collègues magistrats. Faisons tout pour que la justice malienne redore son blason. C’est difficile je sais mais ce n’est pas impossible. A l’endroit du citoyen malien je dis que le pays traverse une situation difficile. Il ne sert à rien de mettre de l’huile sur le feu. Et à tous ceux qui ont des problèmes, ma porte a toujours été ouverte. Je n’ai jamais fermé ma porte aux autres. Les problèmes qui sont de mon ressort, on les résout. Et les problèmes qui ne sont pas de mon ressort sont les résolus à un autre niveau. Comme je l’ai toujours dis la justice sera rendu au nom du peuple souverain du Mali.
Propos recueillis par Aguibou Sogodogo
Youssouf Z Keïta
B Daou