MARKALA (Mali) - Les deux premiers blindés français foncent dans la nuit, cap au nord. "Quand on arrive à 5 km de l`objectif, on coupe tout et on passe sur ce canal pour contacter les forces spéciales", dit le lieutenant.
L`obscurité tombe sur la savane, les pistes de latérite remplacent les routes au bord desquelles de nombreux Maliens saluaient l`avancée des deux véhicules de l`avant blindés (Vab, transport de troupes).
A la tête de section de 14 hommes, le lieutenant Marc (il ne divulgue que son prénom), du 21e Régiment d`infanterie de marine (RIMa), commande les premières troupes terrestres régulières françaises engagées dans l`opération Serval au Mali.
Devant eux, depuis plusieurs jours, des éléments des forces spéciales, soldats de l`ombre qui ont engagé le combat contre les jihadistes, aux côtés de ce qu`il reste de l`armée malienne.
"Nous allons relever les forces spéciales, qui ont réorganisé les forces maliennes qui étaient un peu en déroute, pour leur permettre de pousser peut-être un peu plus dans la profondeur", explique l`officier, venu avec ses hommes du Tchad voisin où ils participaient à l`opération Epervier.
Le véhicule, nom de code "Cobra", est relié par radio au poste de commandement mais aussi à un avion de reconnaissance Bréguet-Atlantique, qui vole au-dessus de sa tête et lui ouvre la voie, tentant de repérer, notamment avec ses caméras thermiques, la présence de concentrations d`hommes qui pourraient signaler une embuscade.
Il appelle: "Cobra, ici Pegase. La route est libre 10 km devant vous. Vous pourrez peut-être tomber sur un poste de contrôle malien", dit l`aviateur.
Le PC a donné à l`équipage la fréquence sur laquelle, à partir d`un certain point GPS, il pourra entrer en contact avec la quarantaine d`hommes des forces spéciales déployés près de Markala, à 270 km au nord de Bamako, dans le but d`interdire aux islamistes armés l`accès à un important pont sur le fleuve Niger.
"poignée de courageux" maliens
L`officier dit à ses deux chauffeurs, après avoir consulté une nouvelle fois son GPS: "On avance encore deux kilomètres et on appelle les FS (forces spéciales)".
L`opérateur radio: "Iban, Iban, pour Cobra". Après plusieurs tentatives, le soldat des forces spéciales, pseudonyme Iban, répond. Il était auparavant occupé à coordonner l`atterrissage d`un hélicoptère, que toute la section a suivi en direct à la radio.
"Mets quatre hommes avec des chalumeaux au niveau des chevilles, que l`on
puisse se poser", lui disait le pilote de l`hélico, demandant que soit définie une zone d`atterrissage.
Vers 05H00 du matin, comme le ciel blanchit, "Iban appelle Cobra": "Je viens à votre rencontre, dans un pick-up civil, warnings allumés". Le voici, le Vab allume à son tour ses feux de détresse.
"Iban", grand gaillard souriant dans l`habituelle tenue mi-civile, mi-militaire des forces spéciales, lance: "Bonjour, les gars ! Vous avez fait bonne route ? Vous me suivez, je vous emmène à la maison".
Les deux blindés roulent derrière le 4x4 jusqu`à l`enceinte d`une usine pharmaceutique en construction, qui va servir de camp provisoire à la centaine de soldats et à la quinzaine de blindés qui suivent les hommes du lieutenant Marc.
"Voilà, c`est ce que j`ai reconnu hier après-midi pour vous", dit Iban. "Il y a toute la place pour les blindés, voici Mamadou, le gardien. Marc, viens avec moi, je vais te montrer où nous sommes installés, et aussi le PC du régiment malien".
"Vasco", un autre membre des FS sur place, sourit. "Régiment malien... Ouais, si on veut. En fait il n`y a qu`une poignée de courageux qui, quand les barbus attaquent, tiennent une demi-heure et filent".
Les premiers éléments jihadistes ont été repérés à environ 80 km au nord, mais ils ne semblent pas pour l`instant menacer le pont de Markala.
"Maintenant que nous sommes là, les FS vont pouvoir aller ailleurs. Mais ça, on ne sait jamais. C`est toujours ultra-secret", explique l`officier.