Fahad Ag Almahmoud est le secrétaire général du Groupe d’autodéfense Touareg imghad et alliés (Gatia), une des composantes de la Plateforme républicaine. Dans son salon feutré des logements sociaux de N’Tabakoro, où il nous reçoit à cœur ouvert, le secrétaire général du Gatia, avec son traditionnel turban blanc, parle sans détour de la situation sécuritaire du pays. Attention, tout n’est pas à écrire ! Ce qui est à écrire, c’est le sentiment de déception qu’il éprouve par rapport à la mise en œuvre de l’Accord. Il y a un blocage, dit-il. Un blocage qui résulte de l’article 10 du règlement intérieur du Comité de suivi (CSA). « La feuille de route reconnait 3 parties : le gouvernement, la CMA et la Plateforme. Alors qu’il y a d’autres composantes de la CMA qui ont signé l’Accord le 15 mai 2015, en l’occurrence la CPA et la CMFPR 2, mais qui sont rejetées par celle-ci ».
Le deuxième blocage, selon notre interlocuteur, relève de la problématique de la période intérimaire qui devrait consacrer la mise en place de façon concertée des autorités transitoires en attendant les élections régionales. Ces termes de l’Accord n’ont pas été respectés par le gouvernement. Un gouvernement qui est resté dans l’immobilisme 6 mois après la signature de l’Accord.
Selon Fahad Ag Almahmoud, le gouvernement ne s’est réveillé qu’à la dernière réunion du Comité de suivi, tenue au mois de décembre où la CMA a dit avoir pris acte de l’échec de la mise en œuvre de l’Accord. « On a passé 6 mois dans les va-et vient. C’est quand la CMA a fait cette menace que le gouvernement a pris certains décrets lors des conseils de ministres par rapport à l’Accord. Ceux qui représentaient le gouvernement dans le CSA ne lui disaient pas la vérité ».
Méfiance envers la France
Sur la situation sécuritaire, le secrétaire général du Gatia s’alarme. « A Tombouctou, après 10 km de la ville, c’est AQMI qui contrôle. Si vous êtes commerçant, vous êtes obligés de composer avec AQMI. AQMI est là au nez et à la barbe de Barkhane. Nous avons donné tous les renseignements à Barkhane sur AQMI, mais rien. Comment pouvez-vous imaginer qu’AQMI se déplace avec une quinzaine de véhicules, jusqu’à aller prendre part à des rencontres intercommunautaires, alors que Barkhane est là ? Au contraire, ce sont nos combattants qui sont tués, comme ça s’est passé à Ménaka. Le commandant de Barkhane à Gao nous a dit que nos gens qui ont été tués à Ménaka, étaient à côté de 3 positions d’AQMI. Mais ils se sont attaqués à nos gens, mais non les positions d’AQMI ! Et jusque-là ils ont encore nos munitions et ne nous ont même pas présenté leurs excuses ».
On peut en déduire ici que Barkhane tolère AQMI. Mais Fahad va plus loin. « Nous avons tué des chefs terroristes avec lesquels nous avons trouvé des matériels des forces spéciales françaises. Soultani, qui est un père fondateur du Mujao, nous avons retrouvé dans le véhicule de son adjoint, Bouba, des kits de soins des forces spéciales françaises. Quand nos gens ont pris son téléphone, Toureya, il y a un officier français qui a appelé. Nos gens se sont faits passer pour des compagnons de Bouba en répondant qu’il est blessé. L’officier français a répondu que cette fois-ci, il ne peut rien ».
Le Gatia est-il une milice pro-gouvernementale ? « Ce sont les radios du Quai d’Orsay (le ministère des Affaires étrangères de la France NDLR) qui le disent. Ce que nous avons fait, nous l’avons fait en tant qu’êtres humains et nous avons eu le soutien du peuple malien. Nous n’avons reçu aucune arme, aucun soutien de la part du gouvernement. Nous n’avons rien reçu de l’armée malienne. Les officiels maliens à Alger démarchaient des gens pour que le Gatia ne soit pas reconnu par la communauté internationale. Nous avons eu tous les problèmes par le fait qu’on a pas suivi le MNLA ».
Quand on lui pose la question sur la pertinence de l’Accord, notre interlocuteur répond qu’il est une chance pour le Mali, vu là où on était arrivé. « L’Accord permet à chaque région de faire face à ses responsabilités de développement et qu’on ne dise plus que c’est la faute à l’Etat ».
Combien de combattants le Gatia a-t-il ? Cette question n’a pas été répondue. Toutefois, notre interlocuteur précise : « on est pressé de remettre nos armes à celui qui peut nous sécuriser. Les armes nous brûlent les mains. L’Accord prévoit le désarmement des groupes armés, leur réintégration et leur réinsertion. A partir de ce moment, le monopole de la violence reviendra à l’Etat ».
Le Gatia a-t-il des liens avec le narcotrafic ? « Ce sont là des propos de ceux qui veulent nous diaboliser. Il n’y a pas un seul passage pour la drogue dans le Sahara. Nous n’avons aucun lien avec la drogue. On dit que nous sommes avec les narcotrafiquants, mais eux, ils sont avec les amis des terroristes ! ».
Que fait la France à Tessalit ? Fahad a la réponse : « les Français exploitent à Tessalit ce qu’on appelle la terre rare, qu’ils mettent dans les bidons et transportent dans les hélicoptères. Tout le monde le sait ».
Abdoulaye Diakité