Les décisions du gouvernement malien ont à peine la longevité des lucioles, même si elles s’entourent d’un brouhaha de tous les diables avec, au menu, tambours et trompettes. Tenez ! Décrétée “année de lutte contre la corruption”, 2014 a enregistré les plus grands scandales financiers du Mali moderne: l’affaire du Boeing “sans papiers” et celui des équipements militaires. Valeur du dossier: 108 milliards! Pourtant, malgré les hauts cri du FMI, aucune des personnes incriminées n’a senti passer le boulet de la justice.Du coup, 2015 a vu apparaître de nouvelles affaires: celles des 1000 tracteurs et des engrais frelatés. Histoire de se dédouaner sur le dos des juges, Ladji Bourama a déclaré leur avoir transmis, sans suite concrète, 200 dossiers de délinquance financière. Le propos n’a pas, bien sûr, échappé à Daniel Tessougué, le célèbre Procureur Général près la Cour d’Appel de Bamako. Dans les colonnes de “La Sentinelle” (n° 17 du 21 décembre 2015), Tessougué réplique: “Le Président de la République a parlé de plus de 200 dossiers.Plus précisément, c’est 209 rapports de la CASCA…Je me suis amusé à voir un peu dans le document que le procureur de la Commune 3 m’a envoyé… On voit que de 2007 à 2013, il ne reste que 20 dossiers”. A la question de savoir pourquoi Ladji Bourama “persiste et signe” dans ses affirmations, le magistrat répond: “Il faut comprendre que le président de la République, lorsqu’il annonce qu’il a envoyé plus de 200 dossiers à la justice, est dans son rôle.”.Rôle de propagande, hein ?
Du coup, le petit peuple s’interroge: Tessougué vient-il d’être relevé de ses fonctions à cause des répliques adressées au chef de l’Etat au sujet des “200 dossiers” ? C’est possible. Mais la tête du magistrat était également mise à prix depuis qu’il avait proposé de raser les “longues barbes” afin de lutter contre le terrorisme. Il s’est immédiatement attiré la sainte colère des chefs musulmans qui ont exigé son départ, prévenant que de ce départ dépendaient leurs relations avec Ladji Bourama. En attendant que celui-ci s’exécute, ils ont multiplié, dans les mosquées, les prêches enflammés contre Tessougué dont un proche fut agressé par des inconnus. Si Tessougué a pu, dans un passé récent, sauver sa place face à Bathily, alors ministre de la Justice, il a dû, cette fois, tirer sa révérence face aux “longues barbes”. Ces barbes-là, nul ne parlera plus de les raser, inch Allah! Morale de l’histoire: pour peu que le gouvernement malien en fasse la demande, Tessougué entrera, en 2016, dans le livre Guinness des records en qualité de premier magistrat de l’univers victime des barbes. Qui dit mieux ?
En vérité, à travers Tessougué, le parquet général perd un magistrat intègre et travailleur. Son principal défaut était qu’il avait une conception révolutionnaire de la justice qui, à ses yeux, devait servir le peuple, même contre l’avis des gouvernants. Or, en démocratie, tout fonctionnaire est prié de servir les gouvernants avant le peuple.
Tiékorobani