Le processus de relecture de la loi électorale et de la charte des partis politiques est engagé. Un comité de relecture de ces deux textes déterminants dans notre système démocratique est à pied d’œuvre afin de les adapter à l’Accord d’Alger du 15 mai 2015 et aux exigences d’approfondissement de la démocratie malienne. Ce comité a fourni un rapport d’étape que notre consultant, Dr Brahima Fomba, Chargé de Cours à la Faculté de droit de l’Université de Bamako, décortique dans une contribution dans laquelle le constitutionnaliste fait ressortir les insuffisances, les failles et tous les dangers de certaines propositions du groupe d’experts. Entre autres : la démission obligatoire de tout candidat six mois au moins avant le scrutin pour pouvoir se présenter comme candidat indépendant, l’organisation d’un débat contradictoire à l’élection présidentielle, la suppléance des députés, l’élection des députés au scrutin mixte, l’interdiction des pagnes, tee-shirts, gadgets pendant la campagne électorale etc…
REGARD CRITIQUE SUR QUELQUES PROPOSITIONS DE RELECTURE DE LA LOI ELECTORALE
En installant le 10 novembre 2015, dans le cadre de l‘espace de concertation entre son Département et les partis politiques un Comité de relecture de la loi électorale et de la charte des partis politiques, le ministre de l’Administration territoriale lui avait assigné comme missions d’adapter ces deux textes à l’Accord d’Alger et aux exigences d’approfondissement de notre démocratie.
Au vu des principales préconisations du rapport d’étape de ce Comité de relecture dévoilées le 21 décembre 2015, et même de certaines préconisations du Département de l’Administration territoriale lui-même, nous versons au débat ainsi ouvert, notre modeste part contributive de questionnements et de commentaires.
LA DEMISSION DE SON PARTI DE TOUT CANDIDAT SIX MOIS AU MOINS AVANT LE SCRUTIN POUR POUVOIR SE PRESENTER COMME CANDIDAT INDEPENDANT
C’est le type même de proposition caractéristique de la tendance des partis politiques, dans ce genre de concertation, à soigneusement éviter de mettre le doigt dans les plaies béantes qui les gangrènent eux-mêmes dans leurs dysfonctionnements et à s’en prendre à des boucs émissaires.
C’est vrai que les candidatures indépendantes ont toujours constitué un cauchemar pour les partis politiques. Ce qui se comprend d’ailleurs, car chacun sait que la floraison des candidatures indépendantes s’explique en grande partie par les violations systématiques de la part des états-majors des partis, des règles de désignations consacrées par leurs propres statuts et règlements intérieurs. Ce mépris pour les procédures règlementaires de désignation des candidatures affiché par les castes dirigeantes des partis politiques est d’autant plus flagrant que l’argent a tendance à supplanter le militantisme. Pourquoi dans la quasi-totalité des partis politiques admet-on que la présence sur une liste de candidatures et le rang qu’on y occupe, soient fonction de montants financiers imposés à chaque postulant? Pourquoi dénombre-t-on de nos jours plus de commerçants et d’hommes d’affaires à l’Hémicycle qu’au Dabanani?
Il est illusoire de vouloir régler ce grave problème de fond jamais mis sur la table en empêchant des militants de bonne foi victimes de combines d’états-majors, de se présenter librement comme candidats indépendants.
D’ailleurs la Cour constitutionnelle pourrait se montrer réticente à toute tentative allant dans ce sens si l’on s’en tient notamment à la jurisprudence de son Arrêt n° 07-176 /CC-EL du 31 mai 2007. Selon cet arrêt, la démission d’un parti ou d’une association n’est pas un critère d’appréciation de la validité de la candidature et par conséquent aucune invalidation de candidature ne saurait se justifier par le fait que la personne en cause n’aurait pas démissionné d’un parti ou même d’une association politique.
Cette position est motivée notamment par le rappel de l’article 13 de la Charte des partis politiques qui dispose que « tout citoyen jouissant de ses droits civiques et politiques est libre d’adhérer au parti politique de son choix ». Selon la Cour, la liberté d’adhésion confère à l’adhérent la liberté de quitter et pour ce motif un parti ou une association ne peut retenir un citoyen en son sein contre son gré.
Contrairement au cas des conseillers communaux n’ayant pas démissionné de leurs fonctions qui peuvent être privés de la liberté de se porter candidats indépendants, le Cour considère que les simples militants ou responsables de structures d’un parti ou d’une association ont la liberté de se présenter aux élections sous les formes qu’ils désirent sans être tenue par une quelconque formalité de démission.
Si les simples militants ou responsables de structures d’un parti « ont la liberté de se présenter aux élections sous les formes qu’ils désirent sans être tenue par une quelconque formalité de démission », le fait d’imposer un délai de démission qui conditionne l’exercice d’un droit constitutionnel va à rebrousse-poil de cette orientation jurisprudentielle. La proposition qui s’assimile en réalité à une « formalité de démission » revient à retenir de manière indirecte le citoyen contre son gré au sein du parti.
L’INTERDICTION DES PRATIQUES A CARACTERE POLITICO-COMMERCIAL COMME L’OFFRE DE COUPONS DE TISSU, LE PORT DE PAGNES ET DE TEE SHORTS AUX COULEURS ET A L’EFFIGIE DES CANDIDATS, LA DISTRIBUTION DE GADGETS DIVERS…
Dans le principe, cette proposition paraît parfaitement salutaire en tant qu’arsenal de lutte contre la corruption électorale qui se manifeste par la remise de sommes d’argent et de dons matériels pour obtenir les suffrages des électeurs. Elle est même devenue la disposition à la mode dans les législations électorales africaines comme au Bénin et tout récemment au Burkina Faso où le Code électoral à son article 68 la formule ainsi : « Les pratiques publicitaires à caractère politique, l’offre de tissus, de tee-shirts, de stylos, de porte-clefs, de calendriers et autres objets de visibilité à l’effigie des candidats ou symbole des partis ainsi que leur port et leur usage, les dons et les libéralités ou les faveurs administratives faits à un individu, à une commune ou à une collectivité quelconque de citoyens à des fins de propagande pouvant influencer ou tenter d’influencer le vote sont interdits quatre-vingt-dix jours avant tout scrutin».
Qui pourrait objectivement s’offusquer de cette interdiction dont l’objectif ultime et légitime est bien de garantir aux campagnes électorales leur éthique de confrontation d’idées et de programmes de développement? Mais en même temps qui pourrait ne pas sourire de voir la classe politique servir sous emballage de nouveauté et de renouveau, ce qui existe depuis plus d’une décennie dans toutes les moutures de lois électorales de notre pays? Il suffit pour s’en convaincre de se reporter à l’article 72 de la loi électorale qui dispose que « Les pratiques publicitaires à caractère commercial, les dons et libéralités en argent ou en nature à des fins de propagande pour influencer ou tenter d’influencer le vote durant la campagne électorale sont interdits….». Il faut également se rappeler de l’article 128(L 2011-085 ainsi libellé : « Quiconque par des dons ou libéralités en argent ou en nature, par des promesses de libéralités, de faveurs, d’emplois publics ou privés ou d’autres avantages, par l’utilisation des biens d’une personne morale publique, d’une institution ou d’un organisme public, aura influencé ou tenté d’influencer le vote d’un ou plusieurs électeurs, soit directement, soit par l’entremise, d’un tiers, quiconque par les mêmes moyens aura déterminé ou tenté de déterminer un ou plusieurs électeurs à s’abstenir, sera puni d’un an à cinq ans d’emprisonnement et d’une amende de 100.000 à 1.000.000 francs. Seront punis des mêmes peines ceux qui auront agréé ou sollicité les mêmes dons, libéralités ou promesses».
Il paraît difficile dans ces conditions de voir dans la proposition sur « l’interdiction des pratiques à caractère politico-commercial » une véritable innovation, d’autant que sur la question, il n’existe pas de vide juridique au niveau de la législation électorale.
La réalité est que dans cette matière, nous sommes loin du cas de figure d’un vide juridique au niveau de la législation électorale qu’il s’agirait de combler. Nous sommes plutôt en face d’une disposition en vigueur depuis fort longtemps, mais tombée en désuétude par manque de volonté des acteurs politiques et du monde judiciaire de lui assurer une effectivité. L’énumération par la loi électorale des pratiques de corruption lors des campagnes électorales avec les sanctions applicables en cas de violations est restée sans effet. Le mécanisme de la répression n’a jamais fonctionné comme si le bon vouloir de la classe politique devait naturellement conduire à la victoire de l’éthique sur la corruption.
On ne peut croire un seul instant que la question des pratiques de corruption liées aux campagnes électorales va se régler en se contentant de reformuler simplement une interdiction en vigueur depuis plus d’une décennie et qui n’a jamais reçu d’application. S’est-on jamais interrogé sur les raisons profondes pour lesquelles l’article 128(L 2011-085) de la loi électorale a toujours été foulé au pied par les partis politiques et les candidats?
Au demeurant, les gadgets et autres pagnes- la partie visible de l’iceberg- auxquels on voudrait s’attaquer ne constituent que la manifestation de pratiques corruptives plus graves qui en constituent les sources de financement et qui mériteraient les sanctions les plus sévères. D’où provient l‘argent utilisé par les milieux politiques pour financer notamment les campagnes électorales?
Nous estimons qu’il est vain de prétendre limiter ou plafonner les dépenses de campagnes électorales sans avoir au préalable mis à nu, dans un système de transparence républicain, les sources de financement de cette campagne et même des partis politiques de façon générale.
L’ORGANISATION D’UN DEBAT CONTRADICTOIRE ENTRE LES CANDIDATS A L’ELECTION PRESIDENTIELLE LORS DES DEUX TOURS DU SCRUTIN
Encore une autre proposition qui, a priori, paraît digne d’intérêt en donnant l’occasion aux électeurs de voter en toute connaissance de cause sur la base d’un choix objectif opéré à partir des différentes offres des candidats en termes de programmes et de projets de société. Il faudrait cependant se demander quel peut être l’impact réel de l’exigence de débats contradictoires surtout au premier tour avec la pléthore des candidatures présidentielles que nous connaissons.
Si de tels débats peuvent à la rigueur se comprendre au second tour, leur imprimer en revanche un caractère obligatoire paraît totalement insensé. On ne saurait de notre point e vue obliger un candidat à débattre avec son concurrent.
LA SUPPLEANCE DES DEPUTES
Il faut d’abord rappeler que l’introduction de la suppléance dans notre législation électorale est une problématique qui date de 2000. A l’époque le gouvernement l’avait initié dans le projet de loi organique sur les députés voté par l’Assemblée nationale dans la formulation suivante (article 10) : « Le député élu au scrutin majoritaire dont le siège devient vacant pour tout autre motif qu’une invalidation, est remplacé selon le cas soit par son suppléant, soit par le candidat placé en tête de la liste des suppléants dans laquelle s’est produite la vacance. Le député élu au scrutin de liste nationale dont le siège devient vacant pour tout autre motif qu’une invalidation est remplacé par le candidat non élu placé en tête de la liste dans laquelle s’est produite la vacance. Après épuisement de la liste des suppléants, il est procédé dans les deux cas à une élection partielle dans les trois mois de la vacance. Toutefois, il n’est pas procédé à des élections partielles dans les douze mois précédant le renouvellement général de l’Assemblée nationale ».
Ce mécanisme de suppléance de 2000 était fonction des deux scrutins majoritaire et proportionnel prévus dans le cadre du scrutin mixte proposé à l’époque pour les élections législatives.
Ainsi dans le cadre du scrutin majoritaire, le remplacement était assuré par le suppléant dans les circonscriptions à un siège, ou par le candidat placé en tête d’une liste de suppléants dans laquelle s‘est produite la vacance dans les circonscriptions de plus d’un siège. En ce qui concerne le scrutin proportionnel, le remplacement se faisait par le candidat non élu placé en tête de la liste dans laquelle s’est produite la vacance.
Cependant, cette première tentative d’introduction de la suppléance va connaître un échec consécutif à l’Arrêt CC-000-121 de la Cour constitutionnelle en date du 6 octobre 2000 ayant déclaré contraire à la constitution l’essentiel des dispositions de la loi organique fixant le nombre, les conditions d’éligibilité, le régime des inéligibilités et des incompatibilités, les conditions de remplacement des membres de l’Assemblée nationale en cas de vacance de siège, leurs indemnités et déterminant les conditions de la délégation de vote. L’analyse de cet Arrêt montre bien que pour l’essentiel la suppléance n’aura été en fait que la victime collatérale de l’inconstitutionnalité du scrutin mixte qui avait été proposé.
En tout état de cause, le dispositif de 2000 n’avait aucunement pour effet de créer des « députés suppléants » qui viendraient ainsi gonfler les effectifs de l’Assemblée nationale, mais plutôt d’organiser un « cadre de suppléance pour lesdits députés ». Le suppléant se définissant comme celui qui remplace quelqu’un d’autre dans ses fonctions, le suppléant du député n’est élu en même temps que lui que dans le seul but de le remplacer. Il en résulte que seul le député qui exerce son mandat peut se réclamer du titre de député à l’exclusion du suppléant.
Les experts du Département de l’Administration Territoriale ne semblent toutefois pas être de cet avis. Comme cela ressort de la réunion du Cadre de concertation tenue le 24 novembre 2015, le modèle de suppléance dévoilé par le Département aura pour effet d’instituer ce qu’il faut bien appeler des «députés suppléants» qui bénéficieront d’office « d’indemnités annuelles forfaitaires de représentativité » avec comme conséquence de « doubler le nombre de députés en le portant de 147 à 294 ».
Nous estimons qu’une telle approche de la suppléance des députés ne doit pas prévaloir dans un contexte de réformes justifiées par les coûts des élections partielles où l’on cherche avant tout à réaliser des économies budgétaires. La suppléance ne devrait en aucun cas impacter sur le nombre des députés et la personne qui assure la suppléance ne devrait bénéficier d’aucune indemnité jusqu’à ce qu’elle occupe effectivement la fonction de député. Vouloir allouer des indemnités annuelles de représentation à des personnes qui n’assurent pas de fonctions effectives de représentation ne peut qu’apporter de l’eau au moulin de ceux des citoyens qui dénoncent à juste titre cette tendance de l’élite politique dirigeante à user et abuser des fonds publics. La tendance de cette élite malienne à se goinfrer d’avantages superflus de toutes sortes est une indécence d’autant plus choquante qu’elle profite généralement à des détenteurs de mandats électoraux sensé se sacrifier au service du peuple plutôt que se servir eux-mêmes. La proposition incompréhensible d’indemnités annuelles forfaitaires de représentativité aux suppléants des députés ne participe que de ce réflexe de prédation de la part de l’élite politique.
L’ELECTION DES DEPUTES AU SCRUTIN MIXTE
Cette proposition qui implique une modification directe de la loi électorale n’aurait pas dû en principe avoir un impact sur la Constitution. En effet, non seulement celle-ci dispose à son article 70 que « … la loi détermine le régime électoral….», mais en plus en ce qui concerne les élections législatives, elle apporte la précision suivante à son article 61: « Les députés sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct. Une loi fixe les modalités de cette élection ».
Néanmoins l’introduction du scrutin mixte aux élections législatives ne peut aujourd’hui être directement prise en compte par la loi électorale sans passer par une modification de la Constitution du fait de la Cour constitutionnelle dans ses Arrêts 96-003 du 25 octobre 1996 sur la loi électorale de 1996 et CC-000-121 du 06 octobre 2000 sur la loi organique sur les députés.
C’est ainsi que tirant les enseignements de cette jurisprudence, le législateur avait été envisagé de mentionner dans le cadre d’une procédure de révision constitutionnelle la possibilité de recours au scrutin mixte pour les élections législatives à travers la modification suivante de son article 61 : « Les députés sont élus pour cinq ans au suffrage universel direct. La loi détermine le mode d’élection des députés. L’élection a lieu au scrutin majoritaire ou à la représentation proportionnelle ou selon un système mixte combinant le scrutin majoritaire et la représentation proportionnelle ».
Même cette prise en charge constitutionnelle du scrutin mixte ne semble pas emporter l’adhésion de la Cour constitutionnelle comme en témoigne son Avis n°01-001/Référendum rendu dans le cadre d’une procédure consultative sur du projet de loi constitutionnelle sous le Président Alpha.
En substance, la Cour constitutionnelle a affirmé dans cet Avis que le scrutin mixte proposé au niveau de l’article 61(Nouveau) rompt le principe d’égalité consacré par l’article 2 de la Constitution. Ce qui revient de sa part à considérer que l’article 2 de la Constitution qui consacre le principe d’égalité est d’une valeur juridique supérieure à celle de l’article 61(Nouveau) de la même Constitution.
C’est pourquoi cet Avis laisse planer quelque doute quant à l’introduction du scrutin mixte dans le droit électoral malien, y compris au travers d’une révision constitutionnelle, à moins d’un revirement de jurisprudence de la part de la Cour constitutionnelle.
L’AUTORITE INDEPENDANTE DE GESTION DES ELECTIONS
L’idée d’une structure pérenne indépendante d’organisation et de gestion des élections n’est pas en soi une mauvaise chose. Bien au contraire ! Depuis que des voix ont commencé à dénoncer les limites de l’attelage MAT-CENI-DGE, le Mali s’est engagé dans la réflexion sur un nouveau cadre institutionnel d’organisation et de gestion des élections.
A titre de rappel, l’étape cruciale de cette réflexion fut l’organisation les 14 et 15 juillet 2005 au Palais des Congrès par le ministère de l’Administration Territoriale et des Collectivités Locales avec l’appui de l’Ambassade du Canada, de l’Atelier de réflexion sur la création d’une structure pérenne d’organisation et de gestion des élections au Mali.
A la suite de ces débats, deux propositions de structure de gestion et d’organisation des élections avaient finalement été retenues. La première vite oubliée par la suite qui consistait à créer un service administratif classique sans personnalité juridique rattaché au Ministère chargé de l’Administration Territoriale avec une CENI aux attributions renforcées.
La deuxième proposition autour de laquelle se focalisent actuellement les réflexions, portait sur la création d’une structure unique autonome pérenne dotée des attributions du ministère chargé de l’Administrations territoriale, de la CENI et de la DGE.
La création de la structure pérenne d’organisation et de gestion des élections au Mali suscite entre autres les problématiques suivante : la nature juridique de la structure qui doit être examinée en liaison avec les objectifs fondamentaux de crédibilité, de transparence et de maîtrise technique que l’on recherche dans le processus électoral; le devenir de la CENI actuelle ; la composition de la structure(qualité des membres) ; l’envergure de la structure( opérer seulement au niveau central à Bamako ou se déployer sur l’ensemble du territoire national) ; les pouvoirs de la structure.
Depuis l’Atelier organisé par le ministère chargé de l’Administration Territoriale les 14 et 15 juillet 2005, on peut dire que la seule réflexion élaborée sur la structure pérenne d’organisation et de gestion des élections au Mali a été celle du Comité DABA qui aura au moins eu le mérite d’avoir pour la première fois, dessiné les contours détaillée de cet édifice institutionnel électoral. Il est vrai cependant que le modèle proposé par le Comité DABA est loin d’être exempt de critiques (voir notre contribution sur la question « L’Agence Générale des Elections est mal partie»).
LA PERTE DE MANDAT POUR L’ELU DEMISSIONNAIRE DE SON PARTI OU L’INTERDICTION DU NOMADISME OU TRANSHUMANCE POLITIQUE
Il s’agit d’une proposition qui concerne tout député, conseiller national, membre de conseil régionale ou du District, conseiller de cercle, conseiller communal qui viendrait à quitter son parti en cours de mandat.
Il n’est pas faux dans le principe, comme le disait le Comité DABA dans son rapport, que « le vagabondage politique constitutif de cette culture nomade des élus pose avant tout un problème moral ».
Le nomadisme ou transhumance politique que d’aucun assimilent à de la « prostitution politique », pose en effet aujourd’hui un problème éthique à l’expérience démocratique malienne notamment dans la vie parlementaire. A cause de la transhumance politique, l’Assemblée nationale de notre pays est constituée aujourd’hui de deux types de députés : les députés élus et les députés achetés. Aux députés élus, s’ajoutent désormais cette seconde catégorie constituée de députés achetés généralement à coup de millions grâce notamment à des fonds occultes ou des fonds politiques alloués aux patrons de certaines institutions de la république, dans le but de fabriquer de toute pièce des majorités alimentaires mécaniques.
Rappelons que le Comité DABA qui a examiné la question avait qualifié le nomadisme politique de « changement d’étiquette politique en cours de mandat » avec à la clé la sanction « d’inéligibilité pour les deux plus prochaines élections générales (législatives et municipales)».
Le Rapport précise ainsi : « Aussi, tout en sauvegardant les principes de base du régime représentatif et de la liberté de toute personne d’adhérer au parti de son choix, donc de changer aussi ce choix, le Comité propose que les textes concernés soient relus pour frapper d’inéligibilité pour les deux plus prochaines élections générales (législatives et municipales) tout député, conseiller national, membre d’assemblée régionale ou de conseil de cercle, tout conseiller communal qui changerait d’étiquette politique en cours de mandat ».
On constate que la sanction d’inéligibilité pour les deux plus prochaines élections générales proposée par le Comité DABA va largement au-delà de la simple perte de mandat souhaitée par le Cadre de concertation.
En tout état de cause, l’interdiction du nomadisme politique soulève de nombreuses interrogations. Que faudrait-il entendre par « quitter son parti » ou « changer d’étiquette politique? S’agit-il de cas de démissions, d’exclusion du parti, d’indiscipline de vote, de fusion ou de scission du parti, etc…? Quid du cas d’un indépendant qui aurait adhéré à un parti politique en cours de mandat? Une autre problématique importante de l’interdiction nous paraît liée à son fondement juridique. Quel en sera le support juridique: constitution, loi organique ou loi ordinaire? Nous estimons à cet égard que la procédure d’interdiction du nomadisme politique par la voie législative aura toutes les allures d’un saut d’obstacles quasi infranchissables. Il va falloir accorder l’interdiction avec la Charte des partis politiques qui précise à son article 13 que « tout citoyen jouissant de ses droits civiques et politiques est libre d’adhérer au parti politique de son choix ». Cette liberté est-elle compatible avec un « assujettissement» du citoyen élu en cours de mandat à l’état-major de son parti politique? La liberté d’adhésion ne confère-t-elle pas à l’adhérent la liberté de quitter y compris lorsqu’il est élu?
Il va falloir également affronter des obstacles constitutionnels. Car a priori, il pourrait y avoir quelques incompatibilités entre cette interdiction et un certain nombre de principes constitutionnels.
En particulier, on perçoit bien la tendance du glissement d’un régime constitutionnel de mandat représentatif vers un régime de mandat impératif qui plus est, administré en quelque sorte par des partis politiques. La sanction frappant le nomadisme politique paraît heurter quelque peu le principe constitutionnel d’interdiction du mandat impératif prescrit à l’alinéa 1er de l’article 64 de la Constitution qui prohibe tout mandat impératif. Le corollaire de ce principe est celui du mandat libre et indépendant de l’élu qui s’accommode difficilement de sa dépendante totale vis-à-vis d’un parti politique. C’est pourquoi il est également précisé à l’alinéa 2 de l’article 64 évoqué ci-dessus que « le droit de vote des membres de l’assemblée nationale est personnel ».
Dans ces conditions, c’est la voie de la révision constitutionnelle qui semble offrir le meilleur parcours juridique menant à l’interdiction du nomadisme politique au Mali.
Dr Brahima FOMBA
Chargé de Cours à la Faculté de Droit