A. et C. avaient de très bonnes raisons de fêter le 31. Mais pas l’un avec l’autre
Ce qui s’est passé dans la nuit du réveillon 2013 restera certainement et pour toujours un sujet tabou dans le jeune ménage dont nous vous contons aujourd’hui la peu habituelle destinée. Ce qui s’est passé cette fameuse nuit et qui aurait pu faire basculer le destin de ces deux personnes n’a duré qu’une trentaine de secondes tout au plus.
En l’occurrence, ce fut le temps que prit un feu tricolore pour passer du rouge au vert. Mais pendant ces trente secondes, le temps a paru interminablement suspendu pour nos deux protagonistes, chacun se demandant ce que ferait l’autre. Jusqu’aujourd’hui, la question n’est pas tranchée. Il est donc impossible de dire avec une absolue assurance si l’événement a eu un impact positif ou négatif sur le couple. Mais que les amateurs de fin heureuse se rassurent : le tandem fonctionne à merveille et attend même avec impatience la prochaine arrivée d’un bébé dans son foyer.
Pour la bonne compréhension de l’événement dont le récit va vous être proposé, il importe de mieux vous faire connaitre notre jeune couple. A. était à l’époque des faits un jeune homme de 23 ans issu d’une « grande famille » à Hamdallaye où l’ambiance principalement querelleuse mettait, à ses yeux, ses projets d’étude en question.
Titulaire d’un baccalauréat littéraire, il aimait les livres sans vraiment les lire. Il appréciait les jolies filles sans vraiment le dire. En parlant de sa famille à ses autres cousins nés et grandis dans des foyers aisés, A. traitait celle-ci de « vivier de malades mentaux », tant il était constamment importuné par les monologues tapageurs de son oncle et de sa cousine, tous deux atteints dans leurs facultés mentales.
A. affichait un singulier manque d’assurance devant les filles. Cela avait pour cause une rhinite d’une persistance anormale et qui lui encombrait les sinus au point qu’à chaque expiration, une odeur repoussante émanait de ses narines. Ses camarades de classe l’avaient, en secret, surnommé « A. le morveux », en hommage moqueur à l’abondance de l’écoulement nasal. A. avait passé son début de jeunesse dans des conditions plutôt inconfortables.
Il avait dormi pendant des années dans le petit salon de ses parents, pauvrement meublé. Il avait partagé cet espace avec l’ensemble de ses frères et sœurs (quatre au total). Le jugeant désormais trop grand pour endurer une telle promiscuité, sa mère obtint pour lui l’hospitalité d’une de ses tantes qui vivait dans une jolie villa à Doumanzanan . A. y avait désormais droit à une chambre meublée, avec télé personnel, lit individuel et ventilateur .
PAS DE TEMPS À PERDRE.
Le changement d’environnement eut des effets plus que miraculeux sur le jeune homme. Il fut délivré au bout de quelques années de sa rhinite et en même que ce handicap, il avait abandonné son humeur morose. Devenu jovial, il fit une maîtrise en droit à l’université de Bamako et par la suite décrocha rapidement un job. Complètement décomplexé, il devint un grand séducteur. Vers le début de l’année 2013, son succès auprès de la gent féminine était tel que sa bienfaitrice de tante jugea utile de l’assagir et se proposa de lui trouver une fiancée. Chose à laquelle le jeune homme ne s’opposa point. Mais pendant que sa tante cherchait, A. qui n’était pas homme à perdre son temps continuait à enchainer les succès auprès des filles auxquelles il faisait la cour.
Cette période faste prit fin pour le butineur en même temps que l’an 2013. Le projet de fiançailles poussé par les efforts de la tante prit corps et figure avec C. La jeune fille de 21 ans était une de ces jolies fleurs bamakoises rompues aux tours et aux détours des garçons de l’époque. Elle avait, comme on le dit, fréquenter l’école, mais avait abandonné celle-ci, une fois son DEF obtenu. Elle avait ouvert un magasin d’alimentation et se consacrait entièrement à le tenir.
La charmante fille avait un léger trouble de la parole qui s’accentuait pendant ses moments de nervosité. Mais cela n’enlevait rien à son pouvoir de séduction. Et pour qui connaissait les mœurs bamakoises, il était peu vraisemblable qu’elle n’eut pas des admirateurs et même un amoureux au moment de ses fiançailles. Mais la tante avait tellement accéléré la cadence pour réussir son projet que les deux jeunes personnes se virent promises l’une à l’autre sans avoir vraiment eu le temps de larguer les amarres avec leur partenaire du moment. Noël arriva sur ces entrefaites, puis la nuit du 31 se rapprocha. Bizarrement, aucun des deux fiancés n’évoquait la possibilité de passer le réveillon ensemble. Dans l’esprit de A., les choses étaient claires.
C était désormais sa fiancée et ils étaient destinés à passer de nombreux réveillons ensemble. Donc rien ne les pressait à commencer par celui-ci. Le jeune homme n’avait qu’un souci, convaincre sa promise de remettre leur première fête en tant que fiancés à une autre date. Ils auraient d’autres occasions de mieux se connaître, eux qui ne s’étaient vus que deux fois depuis que la tante les avait présentés l’un à l’autre. A force d’esquiver le sujet, le 31 vint prendre notre couple par surprise. Cette nuit là, aux environs de 21 heures, A. arriva chez sa promise. Tous deux s’installèrent dans la cour. Habillé d’une tenue d’intérieur, feignant une mauvaise mine , le jeune homme développa une brillante démonstration sur la réputation surfaite du réveillon, qui était à ses yeux le jour plus ordinaire de l’année.
LA PLUS JOLIE FILLE DE BAMAKO.
C. hochait la tête d’un air approbateur en écoutant son fiancé pérorer. Aucun d’eux n’évoquait la possibilité de sortir ensemble. Après avoir tenu le crachoir pendant plus d’une heure et avoir aligné quelques-unes des pires banalités de l’année, A se plaignit de violents maux de tête qui ne lui laissaient aucun repos et qui paraissaient annoncer un début de paludisme. C., compatissante, lui conseilla de filer au lit. Elle lui recommanda de prendre garde à la traditionnelle baisse de température du 31 qui risquait d’aggraver son paludisme. Et pour faire bonne mesure, elle indiqua que la route était extrêmement périlleuse pendant ce jour particulier. Ce fut la seule et très courte allusion qui fut faite à la Saint Sylvestre.
Sûr d’avoir mené son projet à bon port, A se retira, en assurant sa fiancée qu’il suivrait scrupuleusement ses conseils et qu’il repartait se coucher très vite avant d’attraper froid. Aucun autre fait à part celui qui vous sera conté dans le prochain paragraphe ne pourra, au monde, traduire avec tant de fidélité le sens de l’expression « au mauvais moment, au mauvais endroit, avec la mauvaise personne ».
A peine A. eut-il tourné les talons que C., sa fiancée , prit son portable, composa à la hâte un numéro. Voici ce qu’elle dit à la personne au bout du fil : « Allô, nous allons fêter ce soir pour la dernière fois. Profitons-en, je serai prête dans 30 minutes, trouve-moi à la maison ». A., de son côté, rentré chez lui, enfila son plus beau costume et fonça chez celle qui, selon lui, est la plus jolie fille de Bamako. Personne ne sait comment A. et C. fêtèrent chacun de son côté. Par contre, ce qu’on sait, c’est que vers 3 heures du matin sur le boulevard de l’Indépendance, un feu tricolore immobilisa un groupe de motocycliste. Parmi eux, se trouvait A. en compagnie de la « plus jolie fille de Bamako ».
Juste sur le flanc de l’engin du jeune homme, un couple en moto attendait lui aussi le changement de feu. C’était C. en compagnie d’un homme que A. ne connaissait pas. Par cette espèce d’intuition qui n’aide vraiment pas dans certaines situations, le regard de A. se porta sur ses voisins et rencontra celui de sa fiancée.
Avant qu’ils n’eurent le temps de réaliser la complexité de la situation, les deux jeunes qui venaient de se fiancer se saluèrent dans l’indifférence la plus totale. Et à la date d’aujourd’hui, bien que mari et femme depuis deux ans, A. et C. n’ont jamais eu de discussion au sujet de cette nuit. Qu’aurait fait l’un ou l’autre s’il avait vu et n’avait pas été vu ?
K. DIAKITÉ