Bamako - Avec ses cheveux couleur sable, son "entêtement" messianique et un côté "rebelle" affirmé, la Suissesse Béatrice Stockly, enlevée la semaine dernière pour la deuxième fois, est une figure connue de tous à Tombouctou, ville légendaire du nord-ouest du Mali.
Malgré les mises en garde des miliciens islamistes comme de sa famille, cette femme d’une quarantaine d’années, habillée à l’occidentale, refusait de quitter la "cité des 333 saints", haut lieu de l’islam dans un Mali très majoritairement musulman.
"Je suis arrivée à Tombouctou pour la première fois en 2001, avec André Yann, fondateur de la mission +Vie nouvelle+", d’obédience protestante, expliquait-elle à l’AFP lors d’un entretien il y a une dizaine d’années dans cette ville où chacun l’appelait par son prénom.
Mais, très rapidement, les relations entre le missionnaire allemand et la jeune Suissesse se sont dégradées, se souvient Mohamed Ag Mossa Yattara, pasteur de l’Eglise évangélique des Assemblées de Dieu de Tombouctou, également d’obédience protestante.
"Béatrice, tout le monde le sait à Tombouctou, a un côté rebelle. Elle s’est fâchée avec un missionnaire allemand (André Yann, NDLR) qui l’a introduite à Tombouctou, elle s’est fâchée également avec nous, parce qu’on lui donnait de bons conseils", raconte le pasteur.
Il cite ainsi un échange un peu rude au sujet de ses rentrées tardives le soir, dans une ville conservatrice où une femme "célibataire endurcie" détonne.
Elle était néanmoins plutôt bien accueillie par les populations locales, en particulier les enfants, qu’elle aimait beaucoup et couvrait de cadeaux.
"Nous l’avons acceptée malgré tout. Elle était curieuse, elle parlait avec tout le monde, elle était chez elle ici", commente Djibril Cissé, un guide de Tombouctou qui la connaît bien et relativise son action religieuse. "Elle +évangélisait+ les gens. Mais ce qu’elle nous disait sur le plan de la religion entrait par l’oreille droite et ressortait par l’oreille gauche".
- ’Mission de Dieu’ -
Inquiets pour elle, ses parents, originaires de Bâle (nord-ouest de la Suisse) s’étaient rendus à Tombouctou en 2003 pour la convaincre de quitter le nord du Mali.
Elle accepte de rentrer en Suisse, mais au bout de quelques semaines repart pour sa ville préférée, élisant domicile dans un quartier populaire, où elle créé une "librairie chrétienne" en 2004. Elle vendait également des fleurs pour joindre les deux bouts.
Un ancien policier malien en poste à Tombouctou se souvient qu’elle "n’avait pas froid aux yeux": on pouvait la voir débarquer dans un bureau, dans un commissariat, ou sur les berges du fleuve Niger pour "évangéliser" les habitants.
Lorsque la ville tombe aux mains des jihadistes en avril 2012, elle refuse de partir, malgré l’insistance de ses amis et du consulat suisse.
"Elle n’écoutait personne, n’en faisait qu’à sa tête", se souvient Abdoulaye Konaté, enseignant dans une école publique de Tombouctou.
Enlevée peu après par des islamistes armés, elle est relâchée au bout d’une dizaine de jours, grâce à une médiation burkinabè, par le groupe Ansar Dine, du Touareg malien Iyad Ag Ghaly, qui contrôle la cité historique.
Démentant les informations sur le versement d’une rançon, un porte-parole d’Ansar Dine à Tombouctou, Sanda Ould Boumama, affirmait à l’époque: "La seule condition que nous avons posée est qu’elle ne revienne plus chez nous. Elle profite de la pauvreté et de l’ignorance de nos enfants".
La Suissesse transite alors par le Burkina Faso, séjourne un moment au Sénégal. Et revient à Tombouctou en janvier 2013, peu après l’intervention de l’armée française pour chasser les jihadistes du nord du Mali.
Rencontrée une nouvelle fois par l’AFP à Tombouctou en 2014, entourée d’enfants dans une rue, elle confiait d’une voix calme être revenue "pour accomplir la mission confiée par Dieu".
"Pourquoi je dois avoir peur? Je n’ai pas peur. On me dit de ne pas venir ici, on me dit de partir d’ici, je ne partirai pas. Je suis en mission de Dieu".
"Quand j’ai appris que Béatrice a été enlevée pour la seconde fois, j’ai vraiment pensé à son entêtement. Elle est rebelle et têtue", soupire un des enquêteurs maliens chargés de retrouver sa trace.
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