De la mauvaise gouvernance, la corruption, la gestion clanique du pouvoir, la récente démission presque forcée du Procureur général près la cour d’appel de Bamako, Maitre Tapo sans détour, pointe du doigt les dérives du régime actuel et propose sa solution en citoyen observateur.
Brillant avocat, enseignant émérite, écrivain et politique, celui qui fut Ministre de la justice sous le régime d’ATT pendant 18 mois, sort de son mutisme.
On le croyait fini, anéanti à jamais, mais c’est oublier la détermination et la ténacité de l’homme. « Des hommes intègres et loyaux, le Mali en regorge. Ils sont malheureusement mis à coté soit parce qu’ils sont trop intègres, ou parce qu’ils dérangent beaucoup ». Ces mots sont de Maitre Aboulaye Garba Tapo que nous avons rencontré chez lui. Il n’a surtout pas manqué de nous partager sa vision de la politique malienne et les réalités actuelles.
Pour Maitre Tapo, la bonne gouvernance n’est rien d’autre que d’agir au non du peuple et pour le bien être du peuple ; faire en sorte que chaque citoyen, du moins la majorité bénéficie des biens ou des services de l’Etat. Il s’agit d’avoir une vision pour le pays afin qu’il soit parmi les meilleurs. Bref, il s’agit de faire de lui un pays où il fait bon vivre et où les gens se sentent en sécurité. (Jusqu’ici, la sécurité reste à désirer au Mali, NDLR). La bonne gouvernance implique un bon choix, le choix des personnes.
Abordant le sujet de la corruption, contrairement à ce que pensent la majorité des maliens, Maitre Tapo croit qu’elle n’est pas une fatalité encore moins un système difficile à déboulonner. Pour lui, c’est plutôt une question de volonté politique de la part des autorités. La question qui doit se poser à son entendement est : est-ce que le président de la république a la volonté de lutter contre la corruption du moment où le choix des hommes ne concorde pas avec son discours. La volonté politique c’est à tous les niveaux à commencer par le choix des hommes qui peut rassurer les partenaires a-t-il ajouté.
Il soutient que le mal du Mali n’est pas la corruption en tant que tel mais plutôt ce qui l’engendre. C’est toutes ces formes de népotisme qui font que le choix des hommes est désastreux à tous les niveaux par rapport aux responsabilités confiées. Maitre Tapo croit que si on veut réellement combattre la corruption, la meilleure des choses à faire est de choisir les hommes qui ont le profil idéal pour rassurer l’opinion ; donc les hommes intègres et ces hommes ne manquent pas aujourd’hui dans notre pays à t-il ajouté. Des hommes qui n’auront pas à décevoir par leur comportement. Mais malheureusement ce critère de l’intégrité ne semble pas être déterminant dans ce pays a t-il déploré. Maitre Tapo pense que tout se fait sur la base de la complaisance et du népotisme. Pour avoir le dessus sur la corruption, il faut choisir les hommes qu’il faut à tous les niveaux. Des hommes aux parcours intègres qui sauront insuffler une dynamique autour d’eux a-t-il insisté. Mettant en garde le régime, il dira : « mais si vous mettez des hommes au passé sulfureux, des personnes décriées ou même des repris de justice à des postes de responsabilité, ça n’incite pas les autres à bien faire au contraire ça crée des frustrations. Beaucoup de choses se passent dans l’administration et tout cela est lié au népotisme. Car il n’est un secret pour personne que ce ne sont pas les meilleures qui sont choisies. Et en choisissant des personnes qui ne sont pas à la hauteur, ils créent un vide autour d’elles. Des personnes condamnées par la justice qui assument des postes de responsabilité, comment voulez-vous rendre crédible votre discours sur la lutte contre la corruption s’interroge-t-il un peu déçu avant d’insister : « Le président a les moyens de lutter contre la corruption puisque le Mali a des cadres excellents dans tous les domaines. Des personnes qui ont fait de longues études et au parcours irréprochables mais qui sont malheureusement marginalisées. Je suis mieux placé pour dire que ça ne va pas aujourd’hui dans le pays. Pendant mon séjour au ministère de la justice, j’ai réellement essayé de me comporter en vrai ministre, mais cela m’a couté mon poste. Tous sont témoins de comment j’ai été humilié par le régime d’alors, mais je ne regrette rien ». Maitre Tapo dira par suite qu’IBK n’a fait que consolider l’ancien système. Je ne porte pas ATT dans mon cœur nous confie –t-il, mais on est presque tenté aujourd’hui de lui rendre justice sur certains points. Qu’on le veuille ou pas, il (ATT) a donné le meilleur de lui-même au départ même si par la suite il s’est laissé aller à certaines erreurs. Il s’est entouré de n’importe quels flatteurs et c’est ce qui a « foutu » son pouvoir en l’air. Sinon, s’il avait su s’entourer des hommes capables, il aurait eu un des meilleurs bilans dans l’histoire du Mali. Le malheur est que c’est la même situation qui est entrain de revenir aujourd’hui : le népotisme et le favoritisme. Pire, ce sont les personnes qui ont fait le malheur d’ATT qui règnent aujourd’hui avec IBK. Ça me fait mal de le dire puisque je l’ai connu (IBK) quant il était premier ministre, un vrai leader. Il m’a d’ailleurs beaucoup soutenu et jusqu’à ce jour, je garde cette affection de lui. Je m’attendais à beaucoup plus de résultats de sa part, car je voyais cet homme charismatique que j’avais connu et qui allait s’entourer de personnes capables pour sauver le Mali. Aussi longtemps qu’il s’entourera des personnes qui ont fait sombrer ATT, il ne tardera pas à finir comme ce dernier. Je souhaite de tout cœur que le Président réussisse dans sa mission car je me suis investi pour qu’il soit élu au deuxième tour à Mopti. Mais je ne peux pas le soutenir dans ce qui se passe aujourd’hui. Il connait ma personnalité et sait très bien que je n’aime pas jouer double jeu encore moins flatter qui que ce soit. C’est d’ailleurs ce qui a fait que j’ai été lâché par ATT en son temps.
S’agissant de la démission du Procureur général Daniel Tessougué, Maitre Tapo dira que Tessougué est un homme qu’il respecte beaucoup et qui est d’une intégrité et d’une moralité sans faille avant de nous confier : « Dès que j’ai été nommé Ministre de la justice, je l’ai tout de suite approché parce que je voulais apporter un changement dans ce domaine. J’avoue que je l’ai presque obligé à faire partir de mon équipe en tant que secrétaire général. Il ne voulait pas du tout mais je lui ai tordu la main (rire). En toute sincérité si j’ai réussi, c’est en grande parti à cause de lui. ». Je regrette la façon dont il a été remercié mais je m’attendais à ça, car il n’est pas un homme à se laisser manipuler. Je savais qu’il aurait beaucoup de mal à se faire accepter par le régime. Il est et reste cependant l’un des meilleurs magistrats au Mali et j’espère qu’il va vite revenir pour assumer d’autres fonctions plus grandes.
Pour finir Maitre Tapo dira que rien n’est encore perdu et que le Président peut toujours faire du ménage autour de lui (même si cela ne va pas sans grincements de dents, NDLR) pour sauver ce qui reste du régime. Tout compte fait, on tente encore de lui accorder un peu crédit.
A.S.