L’opinion attendait certainement plus, le dernier remaniement comporte pourtant quelques enseignements intéressants
On connaît la fameuse formule : une élection présidentielle est principalement la rencontre d’un homme et d’un peuple. En prolongeant cet axiome difficilement discutable, on pourrait définir le mandat présidentiel comme le dialogue au long cours entre un homme et un peuple. On pourrait aussi considérer que l’échange pour rester bénéfique à chacune des deux parties doit pouvoir très souvent s’extraire du formalisme imposé par le cérémonial institutionnel.
Chez nous, l’une des occasions pour le chef de l’Etat de prendre le pouls de la nation, de percevoir la respiration du pays profond est offerte par les cérémonies de présentation de vœux à l’occasion de l’année nouvelle. L’événement n’a certes pas la capacité de tendre au président de la République un tableau absolument exhaustif des attentes et des espoirs, mais aussi des inquiétudes, voire des griefs des citoyens. Mais pour peu que certains interlocuteurs s’autorisent un vrai effort de sincérité et sachent trouver les mots justes pour dire leurs vérités, la cérémonie peut prendre date dans le calendrier national.
Sans vouloir désobliger en aucune manière les intervenants actuels, nous nous permettrons de regretter que le vide laissé par la disparition de Mgr Luc Sangaré n’ait pas été entièrement comblé. Le défunt prélat avait le don d’allier dans ses adresses le diagnostic incisif, la formule chirurgicale et la métaphore définitive. Il affichait aussi l’impassibilité de celui qui s’investissait dans le devoir de transmettre des vérités indispensables dans une extrême courtoisie, mais sans déroger à la plus scrupuleuse netteté. A bien considérer les choses, on s’aperçoit qu’aucune personnalité n’a véritablement cherché à porter aussi haut le flambeau, comme si le passage à la démocratie avait rendu superflue la fonction de vigie morale. Rien de plus inexact, serions-nous tentés de dire. On a en effet vérifié à loisir les dégâts causés ces dernières années dans notre pays par l’unanimisme et par les discours euphorisants.
DANS LES CHOIX ESSENTIELS.
Depuis deux ans cependant, le président du Haut conseil islamique s’érige en héraut de la remontée des opinions populaires et de certains malaises sociaux. Dans cet exercice, il fait souvent mouche en usant de son réel franc-parler, mais de par la difficile fonction qu’il exerce, il lui reste encore à se tailler une stature inattaquable. A défaut de grande voix, l’indiscutable nouveauté a été apportée cette année par l’invitation de participation faite aux opposants par le président de la République. Il était donc intéressant d’observer aussi bien le ton que choisirait d’adopter Soumaïla Cissé, chef de file de l’opposition et procureur logique de la gouvernance actuelle, et la tonalité de la réponse du chef de l’Etat.
Le leader de l’URD fut dans le contenu de son intervention tel que l’on l’attendait : extrêmement sévère dans son diagnostic, implacable dans ses dénonciations et pressant dans ses appels au changement. Dans la forme, Soumaïla Cissé ne dérogea pas non plus au style qu’on lui connaît. Son intervention ne manquait ni de souffle, ni de piques, tout particulièrement en direction de ceux qui investissent l’essentiel de leur énergie dans le discrédit de l’opposition. A l’opposé, il tint à rendre hommage au « patriotisme parfois à fleur de peau » du chef de l’Etat, tout comme il insista sur le fait qu’avec ce dernier, il avait « en partage le pays, le Mali ».
La réponse du président de la République s’inscrivit, elle également, dans une double tonalité. Le ton fut tranchant et offensif pour rappeler que les difficultés qu’affronte actuellement le pays ne datent pas de 2013 et que beaucoup de ses critiques ont leur part de responsabilité dans la survenue de ce qui a tourné au désastre national ; pour aussi déplorer que certaines attaques supposées politiques ont en fait ciblé délibérément et sans raison son honneur et sa dignité ; et pour assurer enfin que le peuple malien n’étant « pas léger dans ses choix essentiels », il a, en tant que président élu et exerçant toutes ses responsabilités régaliennes, un « souci réel de corriger ce qui doit l’être ». Mais Ibrahim Boubacar Keïta, qui d’emblée avait souligné que notre démocratie n’était pas factice, s’est également posé en conciliateur en renouvelant et en précisant deux propositions déjà faites lors de sa tournée dans la Région de Ségou : celle d’une concertation plus poussée et systématique avec l’opposition sur les grands dossiers de la nation et celle d’un recours aux expertises disponibles sans considération d’appartenance partisane.
L’HALLALI MÉDIATIQUE
. Deux facteurs rendent aux yeux de Ibrahim Boubacar Keïta ces options incontournables. Tout d’abord, le devoir qu’il a en tant que président de la République de (selon sa propre formule) nécessairement « privilégier tout ce qui rassemble et qui unit ». Ensuite, la situation de post crise qu’affronte notre pays et qui exige « un effort collectif pour redresser l’autorité de l’Etat ». Le chef de l’Etat s’est toutefois voulu précis. Il s’agit pour lui non pas de préconiser une quelconque union sacrée, formule qui, à son entendement, s’appliquerait à une nation se trouvant dans une situation désespérée. Mais d’avancer avec « ceux qui croient dans le Mali ». A ses partisans de la majorité présidentielle qui exprimaient le souhait d’être « un peu plus écoutés », Ibrahim Boubacar Keïta a renouvelé sa reconnaissance aux compagnons qui avaient cru en lui au moment où sa victoire à la présidentielle relevait de l’improbable perspective. Mais il n’a pas manqué de renouveler sa déception d’avoir été dans l’exercice de sa charge insuffisamment soutenu par son propre camp.
Faut-il inscrire le remaniement ministériel intervenu 72 heures après ces prises de positions dans la suite immédiate de celles-ci ? Pas tout à fait. Les changements survenus relèvent plutôt de la volonté présidentielle de procéder à une indispensable mise au net. En effet, les informations faisant état de l’octroi de logements sociaux à des proches du Premier ministre avaient accentué l’hallali médiatique contre le chef du gouvernement. Nous disons « accentuer », car plusieurs confrères avaient auparavant évoqué un supposé engagement de Modibo Keïta de se retirer à la fin de l’année 2015. Comme il fallait s’y attendre, les effets collatéraux de cette poussée de fièvre ne se sont pas fait attendre et les scénarios de succession à la tête du gouvernement ont naturellement prospéré.
Or, deux éléments méritaient d’être pris en considération pour comprendre la tournure prise finalement par les événements. Primo, sur le dossier des logements sociaux le Premier ministre s’était expliqué en toute franchise avec le président de la République. Il avait démontré la totale absence de son implication personnelle, mais avait tout de même présenté sa démission à Ibrahim B. Keïta. Une attitude dont le Président avait su gré à son interlocuteur. Secundo, des indices existaient effectivement qui laissaient présumer que le chef de l’Etat a entamé une réflexion sur les performances du gouvernement et sur les changements profonds à apporter au fonctionnement de l’Exécutif. Mais rien n’indiquait qu’il l’avait bouclée en intégrant notamment les modifications induites de la mise en application de l’Accord pour la paix. Par contre, connaissant le tempérament du président Keïta, on pouvait imaginer celui-ci prodigieusement agacé (pour ne pas dire plus) par tout le battage fait autour d’une succession « primatoriale » qu’il n’avait pas décidée et par la léthargie que l’incertitude engendrait dans l’Administration publique.
Le président de la République a donc opté pour un assainissement immédiat de l’atmosphère de travail gouvernemental. Il a tranché dans le vif en mettant à l’écart un poids lourd (Bocary Tréta) et une personnalité qui se positionnait en étoile montante (Mamadou Igor Diarra). L’ancien ministre du Développement rural paie pour plusieurs torts. D’abord, celui de n’avoir jamais fait mystère, ni de n’avoir jamais renoncé à son ambition de diriger l’équipe gouvernementale. Cela en excipant de sa qualité de Secrétaire général du RPM, parti au pouvoir. Or l’éventualité de sa nomination sur cet unique critère ne s’appuyait ni sur une prescription constitutionnelle, ni même sur une jurisprudence liées aux pratiques présidentielles antérieures. Elle contredisait donc d’une certaine manière la latitude qu’ont conservée depuis 1992 tous les présidents de la IIIème République de se donner le Premier ministre de leur choix et de leur convenance.
LE TIERS RECOMPOSÉ.
Bocary Tréta a aussi commis la maladresse de s’être laissé présenter en plusieurs circonstances comme le gardien du temple, garant d’un fonctionnement orthodoxe du parti des Tisserands face à des ingérences externes. L’ancien ministre paie enfin le traitement peu satisfaisant des polémiques nées des affaires embarrassantes qu’ont été celles de l’acquisition de lots d’engrais frelaté et de l’achat des tracteurs. Le président Ibrahim Boubacar Keïta a longtemps préféré ne pas créer de remous au sein de sa formation en sanctionnant l’un des barons de celle-ci. Mais la récurrence des ambitions « primatoriales » prêtées à son ministre a certainement lassé sa patience.
Cette même patience a été incontestablement éprouvée par ce qui s’assimilait à une intense campagne d’autopromotion lancée au cours des derniers mois par le ministre de l’Economie et des Finances. Cela alors même qu’au sein des différents services se faisaient entendre de plus en plus fort les récriminations contre le comportement à la hussarde du chef du Département et surtout son déni des difficultés qui s’accumulaient. Mamadou Igor Diarra donnait la sensation d’être sorti de son rôle de « ministre technique » et de se prédestiner explicitement à une fonction plus importante.
Le remaniement du 15 janvier dernier laissera certainement sur sa faim une bonne partie du grand public. En effet, ce dernier ne faisait pas mystère de son souhait d’un changement d’une plus grande ampleur. Il ne cachait pas non plus sa préférence pour une équipe plus réduite et plus homogène. Pourtant, les modifications survenues sont plus significatives que beaucoup ne le pensent et elles se reflètent tout particulièrement dans le nouvel ordre de préséance. Contrairement à une coutume établie, celui-ci ne s’est pas modifié cette fois-ci de manière mécanique par une montée en grade des ministres par ordre d’ancienneté. Dans son premier tiers recomposé, le nouvel Exécutif indique clairement les urgences de l’heure : la reconstruction du pays et singulièrement de notre Septentrion, le rétablissement de la sécurité sur tout le territoire national, la promotion de la réconciliation, l’accentuation du plaidoyer en direction de nos amis et partenaires de l’extérieur, la conduite des réformes induites dans l’Accord pour la paix, l’amélioration de la gouvernance économique, la lutte contre la corruption, la mobilisation de la diaspora malienne et la mise sur le secteur agricole.
L’accent mis sur ces objectifs a assuré une promotion fulgurante à certains départements qui font des gains de quatre à huit places par rapport à l’ordre de préséance établi dans le gouvernement du 24 septembre 2015. Les priorités ainsi affichées font écho au diagnostic dressé par le chef de l’Etat trois jours plus tôt et les avertissements lancés par lui. Des dangers extrêmes sur l’ampleur et la nature desquels il ne faut pas s’illusionner demandent à être combattus dans la plus grande détermination. De fortes espérances des populations quêtent toujours des réponses satisfaisantes et attendent qu’on s’attelle avec abnégation à les satisfaire. Face à de tels impératifs, les jeux d’ambition et de positionnement n’ont guère pesé.
G. DRABO
Source: Essor