Le début d’année 2016 aura été particulièrement amer pour le président Ibrahim Boubacar Kéïta, trimballé, comme dans un tourbillon, par les principaux leaders de l’opposition malienne à propos de sa gestion chaotique. Lors de la présentation des vœux au chef de l’Etat, et à la presse, Soumaïla Cissé de l’Urd et non moins chef de file de l’opposition politique, Tiébilé Dramé du Parena et Modibo Sidibé des Fare An ka Wuli ont étalé et décortiqué les multiples tares d’un régime qui étouffe son peuple.
Selon eux, en 2015 comme en 2014, la déception est grande pour notre peuple face aux promesses non tenues sur le plan de la sécurité, du retour de la paix, de l’amélioration des conditions de vie et de l’emploi des jeunes. 2015, ont-ils rappelé, fut une année difficile pour les populations, confrontées à différentes formes d’insécurité, de précarité, de mauvaise gouvernance et surtout de déficit d’Etat. Les épreuves endurées ont contribué à éroder le pouvoir d’achat des populations et créé un malaise dans les régions encore victimes des méfaits de l’occupation. Les opposants dénoncent une « action publique sans but, sans visibilité, un exercice du pouvoir qui tourne à vide… », l’absence de réformes et donc de direction. Ils s’interrogent sur le manque d’ambitions de la gouvernance actuelle ; sur l’Etat et ses démembrements (l’éducation, la santé, la justice, l’administration…), leurs capacités à délivrer les services de base ; sur les spoliations, les multiples tracasseries dont les Maliens font l’objet. Retour sur un chassé-croisé contre les dérives du régime IBK.
Pour une des rares fois, l’opposition malienne a comblé le cadre à lui offert pour s’exprimer librement sur la gestion du président IBK. En rang serré lors de la présentation des vœux au chef de l’Etat, et individuellement à l’occasion de leurs traditionnels vœux à la presse, les principaux leaders de l’opposition ont dit toutes les vérités, mêmes les plus drues, sur les dérives du régime d’Ibrahim Boubacar Kéïta et la gestion catastrophique du chef de l’Etat qui ont mis le peuple malien à terre.
Situation sécuritaire préoccupante-Accord caduque ( ?)
Par rapport à la situation sécuritaire, jamais le peuple et la nation n’ont été autant endurés qu’en 2015. Selon Tiébilé Dramé, plus de 400 personnes ont été tuées au Mali pendant les douze mois de l’année écoulée. La signature de l’Accord d’Alger a été une étape de la longue quête de paix et de stabilité au Mali, affirme le président du Parena, qui ajoute que, toutefois, la situation sécuritaire est très dégradée. Sur les 400 victimes de la crise, plus de 200 ont perdu la vie après la signature de l’Accord, révèle-t-il. L’instabilité s’est propagée. Elle confine à l’anarchie dans certaines zones. « Les témoignages concordent: à 10 kms de Tombouctou, il n’y a plus d’État, au-delà d’Almoustarat, il n’y a plus de Mali », regrette-t-il. Les routes ne sont plus sûres dans plusieurs régions. La multiplication des actions terroristes ou de banditisme donnent le frisson. Le processus de paix est enlisé, faute de vision et du fait de l’immobilisme du Gouvernement. L’amateurisme, les tâtonnements et les improvisations ont fini par exaspérer les signataires maliens et étrangers de l’Accord. La faiblesse de l’État, l’absence de stratégie et la recrudescence des activités des groupes jihadistes font peser de sérieuses menaces sur le Mali.
Soumaïla Cissé y va aussi de ses chiffres. Il rapporte que sur le plan sécuritaire en 2015, au moins 346 personnes ont été tuées au cours d’une centaine d’incidents. Depuis le 20 juin, date de signature de l’accord d’Alger, au moins 170 personnes sont mortes au cours de 44 affrontements armés. Du nord au sud de notre pays, l’insécurité s’est installée de façon presque permanente. Le président de l’Urd prend comme repère : « Le 20 novembre 2015, l’attaque de l’hôtel Radisson au cœur de Bamako, notre capitale, en plein jour, est venue brutalement mettre à nu notre vulnérabilité, par le laxisme dans la gestion sécuritaire et l’extrême dénuement de nos forces de défense et de sécurité ».
Par ailleurs, le chef de file de l’opposition rappelle avoir maintes fois attiré l’attention sur les dangers de la signature d’un accord dont l’application entrainerait le Mali vers une autre crise. Il reconnaît que nous ne sommes pas loin d’un tel scénario aujourd’hui dans la mesure où les formats et les calendriers ne sont pas tenus, la confiance se fait attendre et nous sommes devenus tributaires des évènements. « L’histoire nous donne malheureusement raison: le cantonnement n’est toujours pas effectif; le comité de suivi piétine; l’administration n’est toujours pas de retour; des milliers d’enfants sont privés d’école; les centres de santé ne fonctionnent pas; les réfugiés tardent à regagner leur foyer », se désole l’élu de Niafunké.
Autre leader, autres chiffres : Modibo Sidibé dira qu’en 2015, le Mali a payé un prix fort à l’insécurité en passe malheureusement de se généraliser sur toute l’étendue du territoire et marquée par un niveau jusque-là inédit d’attaques terroristes et d’attentats de tous ordres, dont les plus marquants ont incontestablement été celles contre le Restaurant « La Terrasse » à Bamako, l’Hôtel Byblos à Sévaré et l’Hôtel Radisson Blu de Bamako.
En effet, souffle-t-il, en 2015, ce sont au moins quelques 200 attaques et attentats d’ordre criminel qui ont été perpétrés un peu partout sur le territoire national contre les personnes et leurs biens, les symboles de l’Etat, les forces armées de défense et de sécurité ainsi que les forces internationales présentes au Mali dans le cadre de la mission de stabilisation sous mandat des Nations Unies. Ces actes criminels ont coûté la vie à plus de 300 personnes, sans compter leur impact sur l’image et la notoriété de notre pays, révèle le président du parti Fare.
Sur l’Accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, Modibo se dit nullement surpris des difficultés actuelles que connaît ce texte dans sa mise en œuvre. Car, les questions de fond, qui auraient dû mobiliser l’ensemble des Maliens autour de la refondation du pays et être la quintessence des discussions à Alger, n’ont pas reçu le traitement approprié. Pire, la Constitution, à laquelle s’adossent toutes les lois et tous textes de la République, y a été superbement contrainte. Pour lui, le tâtonnement observé dans la mise en œuvre de l’Accord, l’implosion des délais, les interprétations autour du dispositif institutionnel attestent à suffisance que l’ « on a mis la charrue avant les bœufs ».
« Néanmoins, la République s’est engagée à travers la signature du gouvernement par incapacité et sous la pression de la communauté internationale. Mais, il nous apparaît qu’une paix juste et durable ne peut résulter que d’un véritable dialogue inter-malien, seul porteur d’une vision partagée de ce que nous avons été, de ce que nous sommes et de ce que nous voulons devenir », avise Modibo Sidibé.
Mauvaise gouvernance et chaos social
Au-delà de l’insécurité, l’opposition a tiré sur IBK concernant sa gestion, qui a plombé les ailes du pays et plongé les Maliens dans un triple chaos économique, social et financier.
Donnant le ton, Tiébilé Dramé tape : « les 28 derniers mois ont été émaillés par des affaires qui ne sont pas honorables pour un pays qui sort du gouffre et qui a bénéficié d’une exceptionnelle solidarité de l’Afrique et du reste du monde. Des conditions d’acquisition et d’exploitation du 2ème avion présidentiel à la tentative de cession de la Place du cinquantenaire à des hommes d’affaires douteux en passant par les engrais sous-dosés, le marché des fournitures militaires, celui des tracteurs, les exonérations sur le riz, les surfacturations, rien n’a été épargné à notre peuple qui souffre tant ».
Que dire du train de vie de l’État, du budget de la présidence en augmentation continue (9,3 milliards de francs en 2014, 16 milliards en 2015, 19,3 milliards en 2016)? Que dire des voyages du Président à l’extérieur, de leurs coûts pour le contribuable malien?, s’interroge le président du parti du bélier blanc.
En 28 mois passés à la tête de l’État, poursuit-il, le président a parcouru 516 636 kms lors de 83 voyages à l’extérieur, soit trois voyages internationaux par mois. 516 636 kms représentent 13 fois le tour de la terre (40 075 kms) et 552 fois la distance séparant Bamako d’Abidjan.
Sur la même période de 28 mois, il s’est rendu à l’intérieur du pays 10 fois. (Markacoungo, Kayes, Mopti-Bandiagara, Ségou-Niono, Gao (après l’accident du vol d’Air Algérie), Kourémalé (Ebola), Gao (après la fusillade ayant impliqué des soldats de la Minusma), Koulikoro, Sikasso et Ségou). Que de révélations !
Soumaïla s’interroge lui aussi sur la gouvernance instaurée par IBK : « Nous continuons à dénoncer avec force : le pilotage à vue sans cap ni vision; les scandales financiers à répétition; l’impunité érigée en système; la politisation de l’administration; la caporalisation des médias d’Etat; le népotisme et la patrimonialisation des moyens de l’Etat; la gestion chaotique du drame de Mina ; les démolitions spectaculaires de maisons en plein hivernage; la gestion désastreuse des logements sociaux ».
Les grèves des banquiers, des travailleurs de l’Ortm et des enseignants illustrent, si besoin en était, un malaise social grandissant, enchaîne le président de l’Urd. Pour qui : « le Pays est malade, malade de sa gouvernance, toutes choses qui plongent notre économie dans une dangereuse léthargie ».
S’agissant du chômage des jeunes, Soumaïla Cissé rappelle que cette gangrène mortifère continue de ronger notre tissu social poussant nos jeunes à tenter l’aventure vers des horizons lointains qu’ils n’atteignent souvent jamais, emportés par les flots des océans hostiles.
Sur cette questions lancinante et plus que préoccupante de gouvernance, Modibo Sidibé dénonce l’absence de vision et de cap de la part de ceux qui ont en charge actuellement la gestion des affaires publiques. Une des illustrations de cela, poursuit-il, est le yoyo des élections locales et régionales tout le long de l’année 2015 pour finir par être remises aux calendes grecques.
Sur un autre plan, le président du parti Fare ne passe pas sous silence le déficit d’Etat, la cherté de la vie, la paupérisation constante des conditions de vie des populations et les scandales de tous ordres qui ont jalonné la vie de notre pays cette année écoulée.
Modibo parle aussi du contexte des récoltes : « les importantes productions céréalières dont le riz, 2 451 millions de tonnes faisant de notre pays le 2ème producteur de l’Afrique de l’ouest, s’inscrivent dans l’élan imprimé par l’Initiative riz. Initiative qui, en subventionnant les intrants, a boosté la production de plus de 50% lors de la campagne 2008/2009, de 1 082 384 tonnes à 1 624 246 tonnes, production qui avait atteint en 2010/2011, 2 308 233 tonnes. C’est dire que le dispositif de subvention des intrants était une action pertinente et structurelle ».
Modibo Sidibé souligne aussi que, malheureusement, la performance dans le domaine de l’agriculture n’a pas été reproduite en ce qui concerne les Mines où notre pays connait un recul, passant désormais de la troisième place au quatrième rang du classement en Afrique.
Que dire des incohérences du gouvernement dans la gestion des problèmes aussi importants que le foncier ? s’interroge-t-il. Avant de répondre : «Amateurisme, voies de fait, spectacle tiennent lieu de politique nationale du foncier dans une incohérence gouvernementale rarement égalée, et où les solidarités volent en éclats ».
Enfin, l’ancien Premier ministre, en terrain connu, met en garde : « Dans le domaine des équipements et des infrastructures, le manque de vision du gouvernement, en ce qui concerne les stratégies d’approvisionnement du pays dont illustration est donnée par la dégradation avancée et continue des infrastructures routières du pays, constitue une des menaces graves pour l’année 2016 ».
Au vu de toutes ces tares, Soumaïla, Tiébilé et Modibo conseillent le président Ibrahim Boubacar Kéïta en des termes durs mais clairs : « Depuis vingt- sept mois, notre peuple attend toujours que l’Etat affirme son autorité, qu’il prenne ses responsabilités, et d’abord ses responsabilités en matière de sécurité et de défense du territoire. Il réclame le respect des lois, une justice égale pour tous. Il souhaite que le pays connaisse la stabilité, que l’action des autorités publiques soit transparente et contrôlable. Il nous faut sortir de l’immobilisme actuel et redonner espoir à nos populations. Les maliens attendent un Etat fort, un Etat solide, stable et juste, un Etat stratège capable de donner une direction au pays. Ils veulent un Etat au service du développement et de l’économie, qui soutient les initiatives des citoyens pour le développement, garantit la création de richesses par le secteur privé, souhaitent une redistribution équitable des richesses, et une solidarité agissante avec les plus démunies. Un Etat qui saura unir la Nation et la protéger. Un État qui crée l’espoir ».
Sékou Tamboura