Accueil    MonKiosk.com    Sports    Business    News    Femmes    Pratiques    Le Mali    Publicité
aBamako.com NEWS
Comment

Accueil
News
Politique
Article
Politique

Soumeylou Boubèye Maïga, expert en sécurité : «Les groupes terroristes vont frapper partout où leurs actions leur garantissent une résonnance médiatique importante»
Publié le dimanche 31 janvier 2016  |  Le Reporter
Visite
© aBamako.com par A.S
Visite de Soumeylou Boubèye Maïga dans les garnisons
Bamako, le 13 mai 2014. KATI et base 101. Le ministre de la Défense et des Anciens combattants, Soumeylou Boubèye Maïga a visité hier dans ces garnisons,, et a pu vérifier ces évolutions positives.




Directeur des services de renseignement (DGSE), puis successivement ministre des Affaires étrangères et deux fois ministre de la Défense et des Anciens combattants, Soumeylou Boubèye Maïga est un expert avisé des questions de sécurité en Afrique. Aujourd’hui, il coordonne, pour l’Union africaine (UA), une équipe d’experts sur le terrorisme et l’extrémisme violent en Afrique. Récemment, la Rédaction de l’Agence ANADOLU (Turquie) a sollicité son éclairage sur les attentats de Ouagadougou et sur l’environnement même de la lutte contre le terrorisme en Afrique. Interview !
Après la prise d’otages du Radisson Blu de Bamako qui a fait 21 morts le 20 novembre 2015, c’est Ouagadougou qui a été touchée par des attaques terroristes. Est-ce que cela vous surprend ?
Soumeylou Boubèye Maïga : C’était prévisible pour deux raisons. D’une part, on constate une logique d’expansion territoriale des groupes qui veulent transporter la menace du Nord au Sud. Ils veulent progressivement quitter la zone traditionnelle, qui est le Sahel, et démontrer partout qu’ils conservent une capacité d’agir, quels que soient les coups reçus lors des opérations anti-terroristes. Il faut rappeler que déjà en 2013, juste deux jours après le début de l’opération Serval au Mali, Al Mourabitoune avait attaqué le bassin gazier d’In Amenas (une sanglante prise d’otages de quatre jours avait débuté le 16 janvier 2013 sur le complexe gazier de Tiguentourine, près d’In Amenas dans le Sud de l’Algérie, NDLR). Et cela, pour démontrer qu’il a une capacité opérationnelle transnationale. D’autre part, il y a une rivalité, une compétition, dont malheureusement les Etats et les sociétés sont les cibles, entre l’Etat islamique (E.I ou Daesh) et Al Qaeda. Chaque groupe voulant élargir sa base de recrutement et territoriale. Pour toutes ces raisons là, il est acquis aujourd’hui que nul n’est à l’abri d’une action terroriste. Et cela, d’autant plus qu’avec l’engagement international en Syrie, il est évident que ces groupes, qui ne sont pas aussi déconnectés qu’on le croit concernant certaines cibles, vont tenter d’attaquer les différents Etats partout où les cibles semblent plus faciles à atteindre.

Certains observateurs pensent que la situation politique actuelle a rendu le Burkina vulnérable au terrorisme. Autrement dit, que, du temps de Blaise Compaoré, un attentat était impossible en plein centre de Ouagadougou. Êtes-vous de cet avis ?
Ce qui est vrai, c’est qu’un pays en transition ou en consolidation démocratique est toujours instable. Le pays est d’autant plus faible que, malgré les discours de consensus, il y a encore une forte polarisation. Alors que dans une situation comme celle des menaces terroristes, il est bon qu’il y ait une sorte de front commun pour faire face à une telle menace, et ne pas toujours mettre l’accent sur les divisions et même indexé tel ou tel. Par contre, je pense que l’action qui a été menée au Burkina Faso s’inscrit dans la logique que je vous ai décrite plus haut, c’est-à-dire que les groupes vont frapper partout où les cibles semblent accessibles ; partout où leurs actions leur garantissent une résonnance médiatique importante ; et partout où ils peuvent toucher les intérêts des groupes qu’ils considèrent comme leurs adversaires.
Au Mali, la Terrasse, le Byblos de Sévaré et le Radisson Blu ont été attaqués. En Tunisie, un hôtel et un musée ont été ciblés. Deux hôtels et des Restaurants-Terrasses ont été visés à Ouagadougou. Est-ce toujours dans cette logique de changement de stratégie ?
De manière claire, les groupes terroristes sont dans une démarche d’asymétrie, c’est-à-dire qu’ils attaquent les cibles moins bien protégées. Ils ne s’attaquent plus frontalement aux forces gouvernementales, mais ce que nous appelons des cibles molles comme des populations désarmées, des localités moins bien protégées, des espaces publics comme les hôtels. Personne ne peut par exemple garantir pouvoir protéger sur son sol, les zones de tous les établissements hôteliers. Ce sont là autant de cibles relativement faciles pour eux. Maintenant, les Etats doivent revoir un certain nombre de normes, au moins pour renforcer la sécurité de ces lieux publics. Cela est valable pour les sites touristiques, pour les sites sensibles et c’est aussi valable pour les populations civiles elles-mêmes afin de les mettre, autant que possible, à l’abri de ces attaques. Cette menace va durablement structurer la vie quotidienne des personnes, des collectivités, de l’ensemble des acteurs sociaux et économiques. Elle nous impose donc de nouveaux comportements, la diffusion des reflexes de sécurité à tous les niveaux pour prévenir ou amoindrir l’impact de leurs actions.
Pour vous les spécialistes, les renseignements sont très importants dans cette lutte. Et il est question de la mutualisation des moyens au niveau du G5 Sahel (Burkina, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad). Est-ce une solution efficace ?
C’est souhaitable face à une telle menace. Je pense que, techniquement, la coopération doit pouvoir se mettre en place parce qu’il s’agit seulement de s’entendre sur un certain nombre d’éléments pour au moins mettre en commun les informations relatives aux acteurs, les modes opératoires, les itinéraires… Si vous prenez par exemple le Burkina, tout le Nord de ce pays fait frontière avec quatre régions du Mali et avec au moins trente à quarante points de passage entre les deux pays. En plus, vous pouvez passer de la zone de Ménaka, de Gao à l’Ouest du Niger et longer toute la frontière du Burkina avec le Mali. Et de là, on peut prolonger jusqu’au Nord de la Côte d’Ivoire, c’est-à-dire la zone de Misséni (Kadiolo) et de celle de Kolondiéba (qui ont été attaquées en juin dernier). Tout comme il est aussi possible de remonter par le Delta central du fleuve Niger jusqu’au Nord-Ouest de Tombouctou et joindre, par un autre axe, le Nord-Est du Mali, donc la région de Kidal… En réalité, nous sommes dans un espace en réseau où la notion de frontières au sens occidental est inopérante, car nous avons presque les mêmes populations. Il y a donc une continuité territoriale, de fait qu’on ne retrouve pas dans d’autres régions du monde. Il s’agit maintenant de s’entendre véritablement sur la caractérisation d’un certain nombre d’éléments, en particulier les personnes qui sont impliquées dans cette lutte, puis se documenter. Comme ce sont des gens dissimilés au sein des citoyens pour mener leur guerre, il est nécessaire que les différents gouvernements trouvent aussi des formules pour que les populations participent à la détection des vecteurs de ces menaces.
Si cela est possible techniquement, est-ce aussi le cas politiquement, d’autant plus qu’il y a beaucoup de soupçons entre les dirigeants ?
La Mauritanie est par exemple accusée d’être une base-arrière d’Al Mourabitoune qui a revendiqué des attaques au Mali et maintenant, au Burkina Faso. Dans les cas comme ça, il convient toujours de clarifier les choses dès le départ par un dialogue franc, une discussion franche avec des éléments à l’appui. Je ne pense pas que, volontairement, un Etat serve de base-arrière à des terroristes. C’est pourquoi je pense que le point le plus important est la caractérisation. Est-ce qu’on est d’accord tous que tel est dans la mouvance terroriste, que telle zone sert de base-arrière ? Rappelez-vous tout ce qui a été dit par rapport au Mali, dans le temps (du temps du président Amadou Toumani Touré, le Mali était indexé par des voisins comme le ventre mou de la lutte contre le terrorisme, NDLR). Aujourd’hui, c’est la même chose. Mais, actuellement, on doit tous évoluer vers la tolérance zéro envers tout comportement ou tout individu susceptible de transporter cette menace à travers le pays ou au-delà des frontières.

Certains observateurs pensent que la multiplication des actes terroristes en Afrique marque l’échec des opérations militaires comme Barkhane initiée par la France. Est-ce votre avis ?

Pas forcément ! Dans la lutte anti-terroriste, le volet militaire est évidemment primordial en ce qu’il permet de neutraliser le noyau dur de l’adversaire. Il permet aussi de faire le tri entre les acteurs ; de différencier les catégories d’adversaires qu’on a en face. Mais, si ce volet n’est pas prolongé par une action socio-politique qui crée un nouvel environnement permettant de faire émerger différents acteurs dans cette lutte, c’est évident que l’action prouve rapidement ses limites. Et surtout que nos forces font face à des menaces qui ne sont pas conventionnelles et qui imposent des exigences plus fortes sur le plan opérationnel, sur le plan des renseignements et de la logistique, sur le plan de la manœuvre. Dans le cas de Serval comme de Barkhane, on peut simplement regretter que, d’une part, Kidal ait été laissée dans les mains des groupes armés et qui, objectivement, servent d’alibi ou de couverture aux terroristes. Tant que ces mouvements restent armés, il y a un environnement propice au terrorisme. D’autre part, on peut aussi regretter que cette lutte anti-terroriste ne soit pas associée à la lutte contre toutes les formes de criminalités. On sait bien qu’il y a une interconnexion extrêmement forte entre l’économie criminelle et le terrorisme. Imaginons qu’on ait un jour un Sahel par lequel les drogues, les armes, les migrants irréguliers ne pourraient plus passer. Cela signifie que la mafia serait totalement en ruines. Or, aujourd’hui, l’Afrique de l’Ouest, particulièrement le Sahel, est devenue un espace stratégique important pour la criminalité transnationale. Quand vous regardez sur le plan géographique, toute la façade atlantique de l’Afrique de l’Ouest est à mi-chemin entre l’Europe et l’Amérique latine. Ce qui fait qu’une grande partie des drogues qui entrent en Europe, transitent par l’Afrique occidentale, par le Sahel. Jusqu’à 30 % de la cocaïne consommée en Europe passent par cette zone. L’UNODC (Office des Nations-Unies contre la drogue et le crime) avait évalué en 2012, que les réseaux mafieux avaient réalisé près de 900 millions d’euros de bénéfices, rien que sur la cocaïne, dont la moitié aurait été blanchie dans la zone ci-dessus mentionnée. À titre de comparaison, le budget de la Guinée Bissau fait 177 millions d’euros. Cette économie criminelle a fini par imbiber, si l’on peut le dire, toutes les sphères de la société sahélienne, de l’Afrique occidentale. Elle a donc fini par gangrener différents rouages et mécanismes, différentes capacités. Autant de problèmes auxquels il va devoir faire face avec lucidité, avec méthode et sur la durée.
N’est-il pas utopique de vouloir combattre le terrorisme en Afrique alors que la Libye demeure un no man’s land ?

La Libye reste un foyer de déstabilisation importante pour le Sahel et même pour l’Europe. Daesh occupe 20% du territoire libyen. Et il n’est pas exclu que Boko Haram ait fait allégeance à Daesh parce qu’il intègre ainsi toute la logistique de cette organisation, sa politique de communication. Ainsi, l’E.I peut prendre de revers le Tchad, le Niger. La Libye reste un arsenal à ciel ouvert pour de nombreux groupes terroristes. Beaucoup d’armes qui circulent dans notre région, proviennent de la Libye. Et aujourd’hui, on a une sorte de jonction pour tous ces espaces. Quand vous regardez Boko Haram, il a un rayonnement sur le Nigéria, le Niger, le Tchad et le Cameroun, qui ouvre un couloir vers l’Afrique centrale. À partir de la Centrafrique, s’ouvre un autre couloir jusqu’au Soudan. Et on sait que les pays du Sahel et de l’Afrique de l’Ouest sont tous connectés les uns aux autres. Nous avons donc une menace qui se métastase partout.
L’Union africaine (UA) vous a chargé de la coordination d’une équipe d’experts sur le terrorisme et l’extrémisme violent en Afrique. Que privilégiez-vous à ce niveau ?

Nous avons d’abord tenté d’établir un premier point de suggestion. Et il ressort de cela que les pays se dotent d’une politique anti-terroriste globale et institutionnelle. Or, on se rend compte que la plupart des pays n’ont pas encore ratifié les outils juridiques des Nations-Unies et de l’Union africaine. Ils n’ont donc pas encore de cadre législatif pour organiser la lutte anti-terroriste. Ce qui fait que nous sommes souvent dans des opérations ponctuelles, c’est-à-dire qu’il y a une situation, on lance une opération militaire sans lendemain. Ça ne peut pas marcher. Il faut une architecture institutionnelle évidente à tous, une chaîne de commandement assez claire avec une bonne répartition du rôle de chacun en fonction des différents niveaux de menace. Il faut aussi une politique qui mobilise l’ensemble de la population dans la lutte contre cet adversaire opposé à la cohésion sociale, à la stabilité des Etats. Une mobilisation qui se mène sur la durée. C’est une démarche fondamentale. Et il faut que nous ayons la lucidité de savoir qu’aujourd’hui, personne n’est à l’abri. Il s’agit simplement de se doter de l’architecture qu’il faut, de s’armer des instruments juridiques, administratifs, sécuritaires pour faire face. Et ne pas aussi oublier que c’est une politique qui doit s’inscrire dans la durée.
Propos recueillis par Moussa BOLLY
Pour l’Agence ANADOLU (Turquie)
Commentaires