LYON - La région Rhône-Alpes a démarré en 2008, en coopération avec le Mali, un important projet de numérisation des manuscrits de Tombouctou dont les plus anciens datent du XIIe siècle, mais interrompu en raison de la guerre et des assauts des islamistes.
"Tombouctou a été une cité d`un rayonnement exceptionnel à la fin du Moyen-Age et à la Renaissance, il faut continuer ce travail de numérisation qui est un rempart contre lobscurantisme", a fait valoir vendredi Jean-Jack Queyranne, président de la Région-Rhône-Alpes, lors d`une présentation du projet.
La région a accordé une aide de 300.000 euros à l`Insa (Institut national des sciences appliquées de Lyon) pour ce projet.
"Nous avions installé un équipement de numérisation à l`Assemblée régionale de Tombouctou et formé un technicien. Le matériel a servi de septembre 2009 à mars 2010", a expliqué Jean-Pierre Chante, professeur émérite à l`Insa.
A ce jour, seulement une centaine de manuscrits appartenant à un détenteur privé ont été numérisés à Tombouctou, puis avec l`explosion de la guerre au Mali, la sauvegarde des précieux ouvrages s`est arrêtée.
"Mais on continue de former des gens sur place", précise M. Chante.
Les chercheurs de l`Insa et de l`Ecole normale Supérieure de Lyon (ENS), partenaires, ont aussi souligné la réticence des Maliens à voir leurs manuscrits être "copiés", redoutant notamment que ceux-ci perdent de leur valeur.
Depuis le redoublement du conflit avec l`offensive française contre les islamistes au Mali, l`inquiétude grandit pour ces biens inestimables et difficilement quantifiables, classés au patrimoine mondial.
La directrice générale de l`Unesco Irina Bokova a appelé mardi les forces militaires maliennes et françaises à protéger le patrimoine culturel du Mali, déjà gravement endommagé à Tombouctou.
"Une partie de ces manuscrits sont partis clandestinement à Bamako, ils sont cachés et une partie est à Paris", a pour sa part indiqué Jean-Michel Djian, journaliste, directeur du master "coopération artistique internationale" à Paris VIII et coordinateur d`un ouvrage récent sur le sujet:
"Manuscrits de Tombouctou. Secrets, mythes et réalités" (JC Lattès).
Omoplates de chameaux
Les chercheurs ont recensé entre 100.000 et 900.000 manuscrits à Tombouctou et ses environs, des experts estimant que les bibliothèques de Mauritanie possèdent pas moins de 250.000 manuscrits.
"Quand on sort de Tombouctou, on découvre des caisses contenant des manuscrits dans un état déplorable", indique M. Chante, qui insiste pour la création d`un site géré par les Maliens qui établirait un catalogue, pour éviter la spéculation et le pillage.
Possession des grandes lignées de la ville, ces manuscrits dont les plus anciens remontent au XIIe siècle, sont conservés comme des trésors de famille dans le secret des maisons, des bibliothèques privées, sous la surveillance des anciens et d`érudits religieux.
Fondé à Tombouctou en 1973, le Cedrab, dénommé ensuite Institut des hautes études et de recherches islamiques Ahmed Baba, abrite par exemple entre 60.000 et 100.000 manuscrits, selon le ministère malien de la Culture.
Ils sont pour la plupart écrits en arabe ou en peul, par des savants originaires de l`ancien empire du Mali. Ces textes parlent d`islam, mais aussi d`histoire, d`astronomie, de musique, de botanique, de généalogie, d`anatomie...
"La plupart de ces écrits ont pour support du papier d`Orient ou d`Italie, mais j`ai découvert des écrits sur des omoplates de chameau ou des peaux de mouton", a relaté Jean-Michel Djian, qui a aussi lancé l`Université ouverte des Cinq continents à Tombouctou.
Il a rappelé que "l`oralité est devenue l`image de marque de l`Afrique mais c`est faux, la tradition écrite est plus importante qu`on l`imagine".