PARIS - Pour le juge antiterroriste Marc Trévidic, l'attaque du site gazier en Algérie, préparée "depuis bien longtemps", traduit la volonté du chef islamiste Belmokhtar de "reprendre le leadership de la région". La guerre entre chefs islamistes, rend la situation "imprévisible"
faisant craindre une "multiplication des risques de dérives".
Q : Comment analysez-vous cette attaque ?
R : Belmokhtar fait cavalier seul. Depuis qu'il a fait scission avec
l'Aqmi, il veut prendre le leadership du jihad dans la région, montrer que le
vrai groupe historique salafiste, c'est lui. Mais cette internationalisation
du conflit n'est plus dans la ligne de l'Aqmi traditionnelle.
C'est une opération qui avait été préparée depuis bien longtemps.
Belmokhtar est passé à l'acte à un moment qu'il estimait favorable pour des
raisons stratégiques, pour universaliser le conflit et se placer à la tête du
jihad international.
Tout est imprévisible maintenant. Le front uni a bien éclaté. Ben Laden
pouvait fédérer des groupes, c'est ça qui a fait Al Qaïda. Aujourd'hui chacun
joue sa carte. C'est dangereux, ça multiplie les risques de dérives.
Abou Zeid (autre chef jihadiste ndlr) va peut-être faire quelque chose pour
montrer qu'il existe, c'est de la surenchère. Il s'agit aussi pour eux
d'attirer des recrues.
S'ils n'arrivent pas à s'unir, ça finira sans doute mal pour eux, mais en
attendant, on va prendre des coups.
Dans l'immédiat, les risques sont surtout plus élevés pour les Français
dans des zones sensibles. Pour ce qui est du risque sur le territoire
national, c'est très difficile à apprécier.
Q : Craignez-vous un afflux des candidats au jihad après l'intervention
française au Mali? Comment le combattre?
R : L'afflux dépend de leur capacité à aller dans la zone de jihad. Ils ont
pu y aller très facilement ces derniers mois, notamment au Mali. Il y a 10 à
15 Français ou résidents français qui sont partis, mais le décompte est
difficile. Il s'agit désormais d'une attirance pour les groupes locaux
beaucoup plus que pour l'Aqmi qui n'a pas fait beaucoup de recrues ces
dernières années.
Nos moyens sont inadaptés à ce nouveau phénomène. Avec l'aide des
Mauritaniens, Nigériens et Algériens, il faudrait arriver à fermer les
frontières des zones sensibles, créer une zone plus étanche pour empêcher les
candidats au jihad de rejoindre ces zones. On ne peut pas gérer cela seuls,
depuis Paris.
Q : Quels sont les moyens de la justice antiterroriste auxquels vous venez
de consacrer un livre ?
R : La justice antiterroriste est obligée d'avoir une action de prévention
précoce. Nous sommes là pour empêcher ceux qui veulent partir. Si on a des
preuves, les arrêter avant qu'ils partent. Et si on n'en a pas assez, les
arrêter quand ils reviennent.
La surveillance était facile quand il s'agissait de réseaux structurés.
Maintenant, il y a autant de petits réseaux dont on ne connaît pas la finalité.
La frontière est aussi devenue très mince entre les aspirations jihadistes
et le passage à l'acte, le basculement se fait beaucoup plus rapidement. De
deux à trois ans auparavant, on est passé à deux à trois mois, avec des gens
non préparés.
Au niveau des moyens, il faut essayer de voir si localement, dans les
villes de France importantes, on arrive à cibler la population à risque. Mais
il n'y a pas de recul suffisant pour savoir si c'est le cas ou pas.
(Marc Trévidic, "Terroristes, les 7 piliers de la déraison", ed. Lattès,
280pp, 18euros).