La Compagnie australienne Resolute Mining Limited a pris les rennes de la Somisy à partir de 2003. Depuis, dans ce village de la commune de Fourou, située à 400 km au sud de Bamako, à proximité de la frontière avec la Côte d’Ivoire, l’or et la pauvreté riment ensemble. Le contraste saute aux yeux : d’un côté la mine d’où la société australienne a extrait plus de 165 000 onces d’or en 2014, et son imposant circuit de concassage surplombant le lac ; de l’autre, une population qui semble n’en avoir touché aucun dividende. À Syama, quatre personnes sur cinq disposent de moins de 300 francs Cfa par jour pour vivre — à peine 45 centimes d’euro. Les communautés, tout comme les employés maliens ne bénéficient guère de la politique de surexploitation dans la mine. Ce scénario saurait-il continuer pendant encore une décennie ? L’exploitation est prévue pour durer jusqu’en 2024, date à laquelle la société australienne Resolute devrait plier bagages.
UN GROUPE ELECTROGENE POUR L’HOPITAL ET PUIS C’EST FINI ?
En ce sens, la Somisy se distingue des autres sociétés minières travaillant dans le pays. Alors que celles-ci se sont engagées à faire des investissements directs au profit des populations riveraines, la Somisy préfère passer par le canal de la mairie de Fourou. Une municipalité déjà montrée du doigt par les habitants. En effet, ici une personne sur dix croit dur comme fer que les autorités municipales et les responsables de la mine fument la même pipe. Selon Moussa Coulibaly, un représentant de la jeunesse de Fourou, appuyé par le porte-parole du chef de village, « des pots de vin sont versés aux élus afin de permettre à la mine de se dérober de ses engagements ». « Hormis la fourniture d’un groupe électrogène à l’hôpital de Fourou, la Somisy n’a posé aucune action tangible au bénéfice des populations », s’indigne M. Coulibaly, par ailleurs point focal de plusieurs médias maliens.
Ainsi, en dépit de toute cette activité minière, la localité reste privée d’infrastructures scolaires, sanitaires et routières. L’eau potable promise n’est toujours pas arrivée. Conséquence, certaines localités des 23 villages triment pour avoir l’eau de boisson. C’est le cas des villages de Banasso et Tiembleni, pour ne citer que ceux-ci, où les femmes parcourent de longues distances, jusqu’à 3 km parfois, pour tirer l’eau des puits à grand diamètre réalisés depuis Mathusalem. Dans la commune de Fourou, selon les chiffres de la Direction nationale de la statistique et de l’informatique (Dnsi), le taux de mortalité néo-natale dépasse les 75 pour mille. Aussi, 130 pour mille d’enfants de moins d’un an décèdent tous les ans.
Yacouba Sogodogo, notabilité de la ville et, par ailleurs, porte-parole du chef du village de Fourou, explique que « la mine a pris une kyrielle d’engagements qu’elle peine à concrétiser ». Parmi ceux-ci, la construction de salles de classes pour éviter aux enfants de parcourir de longues distances. L’école fondamentale de Fourou constitue un passage obligé pour les enfants scolarisés des vingt-trois villages, condamnés à parcourir plusieurs kilomètres à pied chaque matin. La mine était aussi attendue sur le chantier de la construction de centres de santé. Surtout que les cas de maladies sévères ne sont pris en charge qu’à l’hôpital régional de Sikasso, à 150 km environ, voire à Bamako. Hélas ! À force de promesses trahies, la population excédée fait entendre sa colère.
À son arrivée la compagnie australienne a pourtant hérité d’une situation relativement calme.
FINANCEMENTS CONTROVERSES, RECRUTEMENTS TRONQUES
Selon un employé de la mine qui tient à garder l’anonymat, Somisy verserait annuellement plusieurs dizaines de millions de francs Cfa à la commune de Fourou dans le cadre de l’appui au développement communautaire. Faux, rétorque le maire, Salif Diarra, qui assure pour sa part que la Somisy ne verse aucun centime dans les caisses de la municipalité. Sans pour autant apporter de chiffre, l’élu indique néanmoins que la Somisy contribue tout de même à la réalisation de certaines activités du Programme de développement économique, social et culturel (Pdesc). « La mine nous aide beaucoup ! Certaines collectivités du Mali n’ont pas ça. »
Ce que confirme le Directeur des ressources humaines de la mine, Balla Mourou Diarra : le programme de développement communautaire de la mine existe bien, et tourne toute l’année. « Il consiste à porter assistance aux populations de Fourou, en particulier, via plusieurs secteurs de la vie socio-économique. Cela est rendu possible selon l’enveloppe dont nous disposons », indique-t-il. Pourtant, ces actions restent tout de même invisibles et les populations constatent amèrement que le cahier des charges n’a pas été respecté.
Autre pomme de discorde : la mine s’était engagée par écrit, dans l’accord d’implantation, à fournir de l’emploi localement ; les habitants des 23 villages de Fourou devaient ainsi être prioritaires en matière de recrutement, à hauteur de 70 % du personnel résident de la mine, soit environ 960 employés sur les 1372 que comptait la société en 2014. Mais, alors que la réserve de main d’œuvre locale est immense, la mine continue à procéder à des recrutements ailleurs. Amadou Dembélé, ancien conseiller de la mairie de Fourou, explique : « Des cadres véreux de la mine recrutent sur recommandation, ou recrutent leurs parents ; d’autres vendent simplement le poste contre espèces sonnantes et trébuchantes. »
Régulièrement soulevé depuis vingt ans que la société minière opère, ce problème n’a jamais été résolu. C’est la source principale des frustrations d’une population à qui la mine avait été présentée comme une chance de sortie de la pauvreté. À Fourou, d’où sont extraites tant de richesses, le chômage continue de hanter les habitants. Plusieurs jeunes rencontrés à Syama et dans la ville de Fourou, pour ne citer que ceux-ci, ont exprimé leur désolation. Selon eux, la stratégie de recrutement au sein de la mine repose sur le copinage. « D’ailleurs, ceux qui y travaillent ne sont guère rassurés. Ils ne dorment que d’un œil, car à la moindre erreur, vous êtes viré», indique M. Coulibaly.
Même s’ils n’en tirent aucun bénéfice, les habitants subissent les revers calamiteux de l’exploitation minière sur l’environnement. Mine d’or à ciel ouvert, Syama occupe une superficie sans cesse croissante - actuellement 1,4 km de longueur, 1 km de largeur et 440 mètres de profondeur - et il devient difficile de trouver des surfaces cultivables. Salif Berthé, un éleveur de Syama, ne retient pas son amertume : « Tous les jours que Dieu fait, nos animaux tombent dans les tranchées creusées par la mine. »
Les enjeux fonciers de l’exploitation minière à Fourou sont énormes et empreints de litiges à n’en pas finir. Les agriculteurs se sentent dépossédés de leurs terres, et considèrent qu’elles ont été bradées à la Somisy.
Dans sa quête d’une nouvelle mine, la Somisy s’est heurtée en mai 2014 à la résistance de trois paysans dans le village de Banasso. De connivence avec les autorités locales — la préfecture de Kadiolo et la mairie de Fourou -, la mine se prévaut d’un permis exclusif d’exploitation d’or et de substances connexes sur une superficie de 200,6 km2. Les trois paysans, qui disposent chacun d’une dizaine d’hectares dans la zone, n’ont pas accepté la compensation qui leur était offerte de 200 000 F CFA par hectare (soit 300 euros). Faisant fi des avertissements et mises en garde tous azimuts, ils ont décidé de continuer à cultiver leurs champs.
Faut-il souligner que l’exploitation d’or à Syama soulève des problèmes environnementaux, liés à l’utilisation de produits toxiques comme le cyanure pour le traitement de l’or. À cela s’ajoutent le bruit assourdissant des machines, la production de déchets hautement toxiques, la pollution de l’air au cours de l’excavation et du transport, la pollution de l’eau, la déforestation, et la destruction des espèces sensibles et des terres cultivables…
UNE PRESENCE QUI AURAIT PU APPORTER BEAUCOUP MIEUX, MAIS HELAS…
L’État malien pour sa part ne récolte que des miettes. Le Mali est pourtant le troisième pays producteur aurifère d’Afrique, avec une production annuelle variant entre 40 à 45 tonnes (chiffres officiels). Mais les contrats miniers signés avec les sociétés étrangères leur laissent quasiment tous les bénéfices. L’actuel ministre des Mines, Boubou Cissé, a confié devoir s’atteler au chantier de la révision de ces contrats léonins. « Le Mali offre des avantages faramineux aux sociétés minières étrangères en terme de fiscalité », indique le ministre. Et d’ajouter que ces dernières sont exemptes de la Tva et de la Taxe sur les prestations de service pendant les cinq premières années de leur exploitation. M. Cissé dit vouloir faire en sorte que l’exploitation minière profite mieux aux Maliens. Il y a du travail : quand bien même l’or représente pour le pays 15 % du produit intérieur brut, et 70 % des recettes d’exportation, l’industrie extractive ne fournit que 20 % du budget national.
REVOLTE ET REPRESSION
On se rappelle le vaste soulèvement, le 11 novembre 2012, des communautés locales de Syama. D’une ampleur jamais connue par la mine, cette révolte a paralysé le travail pendant plusieurs heures. Habitants de Fourou, Billa, Syama, Tiembleni, Banasso, Piama, N’golopéné,… tous étaient sortis ce jour pour crier leur colère. Les forces de l’ordre ont ouvert le feu. Bilan : deux personnes tuées par balles et quatorze blessées. Les souvenirs sont encore vivaces. Les victimes ont été : M. Sogodogo de la famille de l’Imam du village de Banasso, et M. Dagnoko, le fils du chef de village de Balla. Leur seul crime est d’avoir manifesté contre la politique « injuste et arbitraire » de la mine.
À l’époque, le gouvernement avait émis un communiqué, lu à la télévision nationale, pour disculper l’autorité centrale et rejeter la responsabilité des affrontements sur les manifestants. Une version que conteste formellement le député Oumar Mariko, du parti d’opposition Sadi, en ces termes : « Ce communiqué est la preuve tangible d’un gouvernement irresponsable en déphasage avec les intérêts des populations rurales notamment. »
En 2015, la population s’est à nouveau soulevée. La dernière semaine du mois de mai 2015, les femmes de la mine se sont révoltées contre la mauvaise volonté clairement affichée des responsables de Somisy. Manifestant notamment contre l’absence d’une volonté réelle de doter les populations en eau potable, elles sont parvenues à bloquer tous les accès à la mine, paralysant le travail pendant deux jours.
Ni le directeur général de Somisy, Adama Bagayoko, ni le responsable du développement communautaire de la mine, Lamine Sarré, n’ont daigné répondre à nos questions. Nous avons dû les contourner en prenant de court le Directeur des ressources humaines de la mine, Balla Mourou Diarra. Pour lui, seule la municipalité est responsable de la situation. « Peut-être la mairie ne s’est pas exécutée conformément au cahier de charge. Nous [la mine] faisons dix fois plus que ce qui est consigné dans le cahier des charges », se défend Diarra, contre toute évidence.
À la question de savoir s’il existe un véritable cadre de concertation entre les responsables de la mairie et la direction de Somisy, dans le cadre de la politique de développement communautaire, le directeur des ressources humaines a répondu par l’affirmative.
Antécédents judiciaires
Suite aux événements de 2012, la Commission Mine de l’Assemblée nationale du Mali (ancienne législature) s’était déplacée sur le site de Syama. La visite avait été couronnée par la formulation d’un chapelet de recommandations pour une sortie de crise. Mais il semble que celles-ci ont été rangées dans les tiroirs. Car, bien curieusement, l’actuelle Commission Mine, issue des législatives de 2013, prétend ne pas être au courant du dossier. Son président Bakary Fomba, député élu à Dioila, affirme ne pas être au parfum de l’affaire Syama. Toutefois, il nie l’existence d’un rapport parlementaire dans ce sens.
Par ailleurs, en 2013, la Somisy avait été poursuivie en justice par l’Institut national de prévoyance sociale pour non versement de la cotisation sociale des travailleurs pendant une longue période, occasionnant un manque à gagner abyssal de plus de 3 milliards de francs Cfa (4,5 millions d’euros). Mais, au tribunal de Sikasso, le dossier semble enterré sous les sables. Impossible malgré notre enquête de savoir ce qu’il est advenu de cette bataille judiciaire.
Les organisations de la société civile et les autres acteurs du développement exigent de la Somisy l’application de la responsabilité sociétale, conformément au cahier des charges. Pour sa part, le président de l’association Publiez ce que vous payez exhorte le ministère des Mines à s’impliquer dans le dénouement de ce malentendu qui n’a que trop duré. Pour lui, les structures comme l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives devrait désormais s’atteler à l’instauration de la transparence dans les rapports entre la Somisy et les communautés.