Un rapport de l’Institut d’Etudes de Sécurité (IES) intitulé « points de vue de la population sur la criminalité organisée en Afrique l’Ouest et au sahel » place les villes de Bissau, Kidal, Gao et Agadez au cœur de l’économie du trafic régional.
Le rapport de l’IES qui date d’avril 2014 reste encore d’actualité surtout au Mali qui s’est engagé dans la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation. Selon le document, l’un des rares à donner la parole à la population, cinq menaces, « l’instabilité politique, les crises humanitaires, les conflits, la criminalité organisée et le terrorisme, ont entraîné la détérioration de la sécurité humaine et du statut de l’État dans la région…. La criminalité organisée, le trafic illicite et le trafic de migrants sont devenus des forces négatives de plus en plus puissantes dans toute l’Afrique de l’Ouest. Alors que les élites régionales considèrent généralement qu’il s’agit d’une menace extérieure puisque ces marchandises illicites proviennent d’autres régions, les évaluations de la menace et les comptes-rendus des renseignements ont relevé que la population d’Afrique de l’Ouest elle-même joue un rôle de plus en plus actif au sein des maillons de l’économie criminelle, et que la région en soit à l’origine ou ne soit qu’une zone de passage. Les communautés installées le long de ces routes construisent leur vie et leurs moyens de subsistance autour de ces flux illicites », nous apprend le rapport de l’IES.
En dix ans, l’Afrique de l’Ouest et le Sahel sont devenus des plaques tournantes pour le transit et le reconditionnement de la cocaïne et du hachisch en provenance respectivement d’Amérique Latine et du Maroc vers les marchés de l’Europe. « De plus, avec la complicité accrue des institutions de l’État, les produits et activités criminels ont progressé et se sont diversifiés : les drogues allant du haschich, de la méthamphétamine et des précurseurs chimiques, de la cocaïne et de l’héroïne, ont toutes fait l’objet de saisies au cours de ces dernières années », renseigne l’étude. Le trafic de drogue, précise le document de 20 pages, « favorise la terreur, corrompt les gouvernements et les fonctionnaires et modifie la dynamique du pouvoir local ». Trois pays se trouvent sur les principales routes de ce trafic. Il s’agit de la Guinée-Bissau, du Mali et du Niger. Au cœur de l’économie du trafic de drogue, il y a les villes de Bissau, Kidal, Gao et Agadez. Si le transit illicite de marchandises contourne souvent ce périmètre, le rapport note que « l’argent provenant de ces activités y est investi et l’impact du trafic est davantage susceptible d’être ressenti par les habitants qui vivent là-bas ». A Gao, un quartier est appelé Cocaïne-bougou ou le village de la cocaïne.
Corruption des secteurs vitaux de l’Etat, banalisation du crime !
L’argent de la drogue a franchi les portes de la politique, de la justice, de la sécurité et des renseignements. « Les officiers militaires, les membres des services des renseignements, les députés, les maires, les gouverneurs et toutes les personnes d’influence sont abordées. Les pots-de-vin ne sont pas payés pour un contrat lié à un service rendu. La plupart du temps, il s’agit d’un cadeau offert avec l’obligation sous-entendue et bien connue des populations africaines, de rendre une faveur à une date ultérieure, c’est-à-dire qu’il s’agira, pour un agent des douanes, de laisser passer un convoi ; pour une patrouille militaire, d’ouvrir le passage pour un convoi sur une route donnée, ou même d’éliminer temporairement les réseaux de trafic concurrents d’une région afin de faciliter le passage », détaille le rapport. « Les riches arabes, qui sont supposés être des trafiquants, financent les candidats qui briguent une place aux élections municipales, ou un siège à l’Assemblée Nationale, ou se présentent eux-mêmes aux élections », poursuit le texte de l’Institut d’Etudes de Sécurité.
Il ressort des discussions communautaires menées par les enquêteurs de l’IES que « la richesse acquise grâce au trafic était largement considérée comme un signe de réussite, non comme un crime ». Le rapport note clairement que le « trafic de drogue et la contrebande ont été banalisés par les communautés dont les revenus en dépendent ». Les conducteurs des convois qui traversent le désert reçoivent de grosses sommes en liquide. Pour les cigarettes, ils peuvent recevoir 6 000 dollars soit plus de 3 millions de FCFA Contre 14 000 dollars soit plus 8 millions de FCFA pour le hachisch ou la cocaïne. « Avec le haut niveau de complicité des agents du gouvernement, toute tentative visant à s’attaquer au trafic illicite ou à la contrebande sur le terrain paraît hypocrite », apprend-t-on dans ce document.
Dans tous les pays d’Afrique de l’Ouest, « la corruption touche désormais les plus hautes sphères du gouvernement, de l’État et du secteur privé et se répand à tous les niveaux des institutions étatiques et du tissu sociétal ».
Chiaka Doumbia