Depuis janvier 2012, différents groupes armés agissent dans le Nord du Mali. Mois après mois, année après année maintenant, les alliances se sont nouées au même rythme que les dissidences se sont déclarées. Une véritable danse de caméléons !
En effet, à partir de juillet 2014, le commun des mortels a peiné à identifier clairement les composantes des groupes venus s’asseoir autour de la table des «pourparlers d’Alger». Onze mois plus tard, le texte de l’accord pour la paix au Mali était signé par tous. La réalité sur le terrain demeure tout aussi complexe. Le 27 avril 2015, le Gatia, qualifié de groupe «pro-Mali», et même «pro-gouvernement», reprenait Ménaka des mains du groupe séparatiste Mnla, sous les applaudissements des habitants, et de la plupart des Maliens. Le 15 août 2015, ce fut le tour d’Anéfis.
Signer un accord ne voulait donc pas dire déposer les armes. Signer un accord ne voulait donc pas dire mettre un terme aux tensions inter-communautaires. À la surprise générale, les frères ennemis de la Cma et de la Plateforme se sont longuement rencontrés à Edjerer (près d’Anéfis) du 27 septembre au 16 octobre 2015 «en vue de régler définitivement et durablement tous les conflits, litiges et différends» qui les opposent. Le 16 octobre, ils publiaient un communiqué commun pour déclarer «la cessation des hostilités, la création de neuf Commissions inter-communautaires et d’une Commission militaire pour les arrangements sécuritaires et la libre circulation des personnes et de leurs biens». Une Commission politique allait veiller au suivi de la feuille de route commune que les groupes avaient élaborée.
«Des caravanes de sensibilisation et d’information allaient être organisées dans toutes les régions du Nord du Mali. Une rencontre était prévue à Abiyou dans le cercle de Tinessako ainsi qu’une cérémonie finale à Kidal». Dans ce communiqué d’octobre, la Cma et la Plateforme estimaient que tous les travaux accomplis à Anéfis consolideraient le processus de paix. Malgré l’étonnement face à ce soudain retournement de situation, on ne pouvait que se réjouir de constater que les frères ennemis avaient enfin fumé le calumet de la paix.
Le 21 octobre, le président du Mali, accompagné d’une très forte délégation, était reçu pour une visite d’Etat en France, par François Hollande. IBK reçut la promesse de l’octroi de 360 millions d’euros pour la relance économique du Mali. Des représentants des groupes signataires de l’accord pour la paix et de la rencontre d’Anéfis avaient, eux, aussi fait le déplacement jusqu’à Paris. Hasard du calendrier certainement !
Malgré ces accords, l’Etat ne s’est toujours pas réinstallé dans la région de Kidal ; l’insécurité continue à régner dans le septentrion ; des attentats revendiqués par d’autres groupes continuent de terroriser les Maliens. Le 2 février dernier, coup de tonnerre : forte tension à Kidal, la Plateforme entre dans la ville contrôlée par la Cma. Algahabass Ag Intallah, chef du Haut conseil pour l'unité de l'Azawad (Hcua), composante de la Cma, déclare que c’est «une violation de l’accord pour la paix et une remise en cause du compromis d’Anéfis», allant même jusqu’à dire que c’est «plutôt une annexion, une provocation, puisque la Plateforme est armée et qu’on ne peut pas considérer cela comme une visite à leurs parents».
Le samedi 6 février, la Cma et la Plateforme publient finalement un communiqué commun déclarant que «les deux parties resteront attachées à l’application de l’accord pour la paix et la réconciliation issu du processus d’Alger, et renforceront le processus de paix enclenché depuis la rencontre historique d’Anéfis». Dans ce communiqué, on comprend que, par la voie du dialogue, les affrontements ont été évités. On comprend que des éléments de la Plateforme vont bien être intégrés dans les Commissions prévues dans l’accord d’Anéfis. Cependant, on est surpris de lire qu’il existe des Commissions chargées de la gestion de la ville de Kidal. On est surpris de lire que la ville de Kidal est et, donc, sera probablement gérée, en dehors de tout contrôle de l’Etat.
«Les deux parties remercient la Communauté internationale pour son accompagnement depuis le début du processus et demandent instamment de le continuer, notamment par un appui à la prochaine grande rencontre Plateforme/CMA prévue à Kidal pour couronner la rencontre d’Anéfis». Ce qui surprend le plus dans ce communiqué, c’est qu’il n’est fait aucune mention du Mali. Doit-on en déduire que la Plateforme et la Cma n’envisagent pas le retour de l’autorité de l’Etat à Kidal ? Doit-on en déduire que cette ville est en passe de devenir une entité autonome, voire indépendante du pouvoir central ?
Ce communiqué conjoint Cma/Plateforme a été lu à l’antenne de l’Ortm le soir du 6 février 2016. Aucun responsable politique ne pourra donc prétendre qu’il ne savait pas. Les Maliens attendent une réaction de ceux qui ont la charge de veiller sur l’intégrité territoriale du pays, car ils ont peur de trop bien comprendre que ce qu’ils craignent depuis le début de la crise qui n’en finit pas de faire tanguer le Mali, est en train de se mettre en place, au vu et au su de tout le monde.
Françoise WASSERVOGEL