BAMAKO - L`offensive vers le sud des islamistes armés au Mali, arrêtée par l`armée française, visait à renverser le régime, torpiller
les négociations, piller ce qui pouvait l`être et semer le chaos, estiment des sources concordantes à Bamako et Paris.
Si, avec quelques milliers de combattants et quelques centaines de pick-up, les groupes radicaux ne pouvaient espérer conquérir le pays ou contrôler sa capitale, ils pouvaient profiter de la désintégration avancée de l`armée malienne pour pousser le plus au sud possible et faire plonger le pays dans un état d`anarchie d`où il aurait été long et difficile de l`en sortir, ajoutent-elles.
"Même s`ils n`avaient pas poussé jusqu`à Bamako, s`ils s`étaient par
exemple arrêtés à Mopti (centre), l`onde de choc aurait été telle, avec la disparition de l`armée, que des bouleversements radicaux seraient intervenus ici", assure, à Bamako, un diplomate occidental.
"Ce qui est certain c`est que la pression aurait été telle qu`un autre
pouvoir, qui leur aurait été plus favorable, aurait été instauré ici",
ajoute-t-il.
Sous l`égide du Burkina Fasso d`un côté et de l`Algérie de l`autre, des tractations étaient en cours pour tenter de faire revenir à la table de négociations certains mouvements touareg maliens et les inciter à rompre avec les forces les plus radicales, notamment Al Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi)
"Le but de cette offensive était de contrecarrer sur le terrain cet agenda de négociations", estime un observateur avisé de la situation à Bamako, qui demande un strict anonymat.
"Les Algériens, qui croyaient tenir en laisse (le mouvement touareg) Ansar Dine (Défenseurs de l`islam) l`ont vu briser sa chaîne et venir mordre. Ils sont furieux. Ils ont dit: +Ils vont le payer cher+", ajoute cette source, qui voit là la raison pour laquelle Alger a permis aux avions français de traverser son espace aérien pour bombarder les positions intégristes.
Logique de la razzia
"Un autre motif, sans doute le plus puissant, de leur attaque vers le Sud est la faim", ajoute cet observateur. "Les barbus ne sont pas des
gestionnaires. Il n`y a plus rien dans le Nord, plus de troupeaux, pas assez de céréales. L`argent des rançons contre des otages ne rentre plus. C`est la logique de la razzia, des prédateurs du désert: ils espéraient voler du bétail, des Toyota, piller des villes, des banques, pourquoi pas l`or de la banque centrale si personne ne les avait arrêtés avant Bamako".
"Ils n`auraient jamais pu tenir la ville ou le pays, n`en avaient pas
l`intention, mais ils auraient semé un indescriptible chaos. Il aurait fallu des mois, sans doute des années pour reconstruire l`Etat. Et cela aurait été autant de temps gagné pour eux. Les Français ont réagi de la seule façon possible pour les arrêter. Cela s`est joué à une demi-journée près".
Leur premier objectif, la prise de l`aéroport de Sévaré (630 km au nord-est de Bamako), seule piste assez longue pour accueillir de gros porteurs dans le centre du Mali, aurait rendu beaucoup plus délicate toute opération internationale d`envergure contre eux.
C`est d`ailleurs l`explication donnée par le groupe islamiste Ansar Dine, dans un communiqué publié dimanche: "Nous avons décidé d`attaquer des villes comme Konna pour faire échouer un plan français en préparation qui consistait à occuper des points stratégiques du territoire en préparation du lancement de la guerre contre nous".
Jean-Pierre Filiu, spécialiste de l`islam radical, professeur à Sciences-Po Paris et auteur notamment du "Nouveau Moyen-Orient", est persuadé, comme les deux autres sources, que les islamistes "ont sans doute sous-estimé la rapidité et la brutalité de la réaction française".
"Cela dit, une fois le premier choc encaissé (...), ils nous attendent
maintenant sur un terrain qu`ils maîtrisent parfaitement, où ils peuvent théâtraliser la confrontation avec la France +infidèle+", ajoute-t-il.