La baisse du chiffre d’affaires des industries minières entraine des pertes fiscales. Sans compter les licenciements massifs par les sous-traitants
Après une longue période haussière, le cours de l’once d’or se déprécie depuis quelque temps (1238,17 dollars le 12 février dernier contre 1788 dollars en 2012). L’économie nationale, qui amorce une reprise encourageante, ne va-t-elle pas pâtir des conséquences néfastes de cette dévaluation du prix du métal jaune ? Notre pays pointe à la 4è place des producteurs d’or sur le continent et à la 17è au niveau mondial.
Du fait de la conjoncture actuelle, des sociétés ferment, d’autres licencient de nombreux travailleurs. Il y a cependant des industries minières qui se vantent de leur bonne santé financière, en dépit de la conjoncture défavorable. « Des sociétés minières ferment. De nombreux travailleurs sont licenciés. Des industriels ont contracté des dettes colossales qu’ils peinent à rembourser. Mais Randgold se porte bien. Elle n’a aucune dette » : ce tableau contrasté a été dépeint par le président directeur général de Randgold, Mark Bristow, lors du dernier conseil d’administration de son entreprise à l’usine de Loulo. Sans donner de chiffres, ni préciser les mécanismes qui lui permettent de faire des résultats, il a assuré que sa production dépassera les 21 tonnes cette année.
Les bons résultats de Randgold ne surprennent guère certains acteurs du secteur qui minimisent l’impact de la baisse du cours de l’or sur les sociétés minières. Belco Tamboura, le directeur de la communication et des relations publiques de la Chambre des mines, soutient que « même si les sociétés minières vendaient l’once d’or à 700 dollars, elles sont sûres d’amortir les investissements ». Il fait remarquer que la baisse du cours du baril de pétrole profite aussi aux industries minières, en plus des exonérations sur l’importation des hydrocarbures qui leur sont accordées. En appui à son analyse, Belco Tamboura souligne que les dépenses énergétiques oscillent entre 30 et 45% des charges des sociétés minières.
Conseil fiscal et ancien ministre, Abou Bakar Traoré explique que le prix de vente résulte souvent de contrats conclus avant la livraison effective du produit. Il faut alors considérer le prix négocié du contrat et le prix du jour de la livraison. « Le prix à la date de la livraison peut être inférieur au prix à terme négocié. Le fournisseur réalise alors un gain de couverture, qui doit être compris dans le résultat comptable taxable à l’IS, mais pas dans la base de la redevance.
Si le cours est supérieur au prix à terme négocié, la perte réalisée dans ce cas, est supposée provenir d’une opération de spéculation et n’est généralement pas admise en déduction du résultat d’exploitation », détaille le spécialiste qui confirme une baisse régulière du cours de l’or depuis 2012. Il explique que le cours de l’or a chuté à 1.050 dollars suite à l’annonce de la Réserve fédérale américaine en décembre 2015 qu’elle augmentait ses taux d’intérêt.
Selon notre interlocuteur, des acteurs du marché de l’or estiment que la hausse des taux d’intérêt américains signifie un prix de l’or à la baisse. Aussi, des rendements plus élevés font monter les coûts d’opportunité de la détention de l’or parce que le métal jaune ne fournit pas de revenus. Cela renforce également la valeur du dollar qui pousse vers le bas le prix de l’or. Il faut noter une remontée du cours de l’or depuis le début de ce mois, pour se situer ce jour à 1.217,30 dollars, signale-t-il.
MOINS DE RECETTES FISCALES. Selon Abou Bakar Traoré, on peut mesurer l’impact de la baisse du cours de l’or sur notre pays à travers les résultats des compagnies minières (chiffre d’affaires, bénéfices) et les impôts et taxes subséquents acquittés auprès du Trésor public et les revenus domaniaux (dividendes et redevances) tirés de l’exploitation minière. Le spécialiste révèle à ce propos que l’apport du secteur minier aux ressources budgétaires a évolué de 98,3 milliards en Fcfa en 2008 à 192 milliards de Fcfa en 2009, 197,6 milliards en Fcfa en 2010, 204,3 milliards Fcfa en 2011 pour atteindre en 2012 le pic de 228,1 milliards de Fcfa soit plus de 28% d’augmentation.
Et sa contribution dans les recettes d’exportation (balance des paiements) a évolué de 645 milliards en 2008 pour atteindre le pic de 1.065 milliards en 2012. « Aujourd’hui, avec la baisse amorcée du cours de l’or, la contribution de l’industrie aurifère s’est située à 964,4 milliards Fcfa en 2013 et 917,7 milliards de Fcfa en 2014. De ce fait, le secteur minier constitue toujours le 2è contributeur à la croissance économique de notre pays après le secteur agricole », confirme-t-il.
Pour l’économiste Etienne Fakaba Sissoko, la baisse du cours de l’or se ressent surtout sur les entreprises minières et les entreprises de sous-traitance qui sont obligées de revoir leurs contrats sur différents axes.
Etienne Fakaba Sissoko explique que la baisse du cours de l’or s’accompagne d’une conjoncture défavorable due à la crise sécuritaire dans notre pays à cause de laquelle le Mali attire moins d’investisseurs. Une situation qui serait à la base d’une absence de concurrence dans le secteur minier. «Or, moins les entreprises se bousculent, plus l’État est en position de faiblesse», déduit-il. Dans ces conditions, estime-t-il, l’État aura du mal à obliger les entreprises minières présentes à investir considérablement dans le développement local. L’or étant le deuxième pourvoyeur de ressources de notre pays, après l’agriculture, une baisse de son cours, ajoutée à la perte de valeur du dollar (monnaie sur laquelle les prix sont indexés) peut avoir des conséquences fâcheuses sur la croissance économique de notre pays.
L’économiste rappelle aussi que notre pays exporte de l’or brut qui a moins de valeur que la matière raffinée et n’a aucune emprise sur son prix. Le Mali est donc contraint de se conformer au prix fixé à l’international. Conclusion de notre expert : lorsqu’un secteur porteur de croissance est en crise, tous les autres démembrements en ressentent les effets.
Selon Etienne Fakaba Sissoko, dans ce contexte de baisse du cours, deux solutions sont envisageables pour les sociétés minières. La première est de refuser de vendre leurs produits et d’entrainer la surproduction. Dans ce cas, ils ne pourront pas honorer leurs engagements vis-à-vis de l’État. La seconde solution consiste à vendre à perte en acceptant une baisse du chiffre d’affaire et des manques à gagner pour l’assiette fiscale.
De son côté, Me Alifa Habib Koné, avocat et professeur de fiscalité minière à l’École nationale d’administration (ENA), situe « la conséquence principale de la chute du cours de l’or sur les sociétés minières dans la baisse de leur chiffre d’affaire ». Les impôts qui sont calculés suivant le chiffre d’affaire connaîtront mécaniquement une baisse. L’État, lui, prélève l’impôt spécial sur l’or ou sur les sociétés (code de 1999). Cet impôt est prélevé sur les bénéfices réalisés par les sociétés.
« Afin de réduire les charges et continuer à tourner, la réduction de la main d’œuvre salariale apparait comme une solution inévitable aux yeux des industriels », analyse Me Alifa Habib Koné qui ajoute que les sociétés de sous-traitance qui interviennent dans l’extraction du minerai ou la restauration peuvent subir durement les conséquences parce que les sociétés minières sont tentées de résilier les contrats. Ce cas de figure peut entrainer des licenciements massifs. Des sources chiffrent à plus de 1000 le nombre de travailleurs licenciés par ces entreprises de sous-traitance, de 2012 à nos jours. Ce qui entraine des manques à gagner pour le Trésor public, souligne notre fiscaliste qui précise que l’État ne percevra plus les impôts qui étaient prélevés sur les salaires distribués aux employés licenciés.
Ces licenciements massifs constituent une source d’inquiétude à la Chambre consulaire des miniers. Belco Tamboura prévient que la chambre sera obligée de tirer sur la sonnette d’alarme si la tendance ne s’inverse pas. « L’État semble laisser faire les entreprises », juge-t-il. Afin d’encourager les investisseurs, précise-t-il, l’État a fait le choix de la flexibilité en donnant la possibilité aux entreprises d’appliquer l’un des trois codes en vigueur (1991, 1999 et 2012), selon la réalité du terrain.
Belco Tamboura rappelle aussi que des conventions liant l’État aux sociétés minières exigent que celles-ci financent des programmes de développement économique, social et culturel dans les communes d’implantation. La baisse du cours de l’or, avertit-il, ne doit pas être un prétexte pour manquer à ces engagements.
Sur le plan macro-économique, Me Alifa Habib Koné rappelle que l’or constitue 65 à 75% de nos exportations. Donc, la baisse du cours de l’or provoque une réduction de la valeur de ces exportations. Le produit intérieur brut baisse ainsi que de la valeur ajoutée de l’économie. « Conséquence, notre économie serait moins compétitive », prévient-il.
Me Alifa Habib Koné est d’avis que les sociétés minières peuvent trouver des solutions préventives pour faire face à la chute du cours de l’or. Il cite à ce sujet les contrats de vente à terme évoqués plus haut par Abou-Bakar Traoré. Par exemple, l’industriel minier convient avec l’acheteur qui s’engage à prendre l’once d’or à 1.200 dollars pendant une période donnée. Ce prix d’achat demeure invariable pendant toute la durée du contrat. Que le cours monte ou qu’il baisse, précise-t-il. L’autre stratégie, indique Me Koné, est que les sociétés contractent des assurances compensant le déficit en cas de baisse préjudiciable. « Mais des primes d’assurances sont payées gratuitement si le cours reste stable », souligne le spécialiste.
D. DJIRÉ
C. M. TRAORÉ
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