Le Procureur de la République près le Tribunal de Grande Instance de la Commune III du District de Bamako en charge du Pool économique et financier, Aliou Nampé, nous a accordé un entretien exclusif. C’était le 16 février dernier dans son bureau au TGI.
Le Magistrat en charge du Pool économique et financier de Bamako, Aliou Nampé, est l’une des pièces maitresses du dispositif judiciaire en matière de lutte contre la corruption et la délinquance financière au Mali. Le 16 février dernier, il nous a accordé un entretien exclusif dans son bureau au TGI sis au Centre commercial. Selon Aliou Nampé, les rapports transmis par la Cellule d’Appui aux Structures de Contrôle de l’Administration (CASCA) au Pool économique et financier de Bamako entre 2007 et 2014 sont au nombre de deux cent huit (208). Sur les 208 rapports, six (6) ont été transmis au Pool économique et financier de Kayes et douze (12) à celui de Mopti. Après enquêtes préliminaires, cent onze (111) rapports ont été classés sans suite. Trente huit (38) ont fait l’objet de procédure d’information judiciaire contre cent dix-huit (118) personnes. Sur ces trente huit (38) rapports, le Procureur de la République précise que certains ont été transmis au Procureur Général pour un jugement devant la Cour d’assises. Trois (3) rapports ont fait l’objet de procédure de citation directe contre 5 personnes. Vingt-un (21) rapports n’ont pas été retrouvés parce que leur arrivée a coïncidé avec la période de la crise de 2012. Présentement douze (12) rapports font l’objet d’enquête devant la brigade économique et financière. Cinq (5) rapports sont en cours de traitement après enquêtes préliminaires.
Enquête systématiquement ouverte
Quand un rapport arrive au Pool économique et financier, une enquête est systématiquement ouverte. Selon Aliou Nampé « C’est en ce moment que la brigade économique et financière entre en action pour interpeller les personnalités soupçonnées de détournements », a-t-il déclaré. Cette enquête est sanctionnée par un procès qui est transmis par au Procureur de la République. Trois possibilités s’offrent au Chef du Parquet. Il peut décider de l’ouverture d’une information judiciaire. Le dossier est envoyé dans ce cas devant un juge d’instruction. Aussi, il peut décider d’envoyer l’affaire devant le Tribunal correctionnel pour être jugé. La dernière possibilité est le classement sans suite. Dans ce dernier cas, Aliou Nampé rappelle que la loi fait obligation au Procureur de la République de notifier les raisons pour lesquelles il a classé et surtout d’indiquer la voie de procédure qui reste ouverte dans la même affaire.
Pour le Procureur Aliou Nampé, il n’y a pas de divergence entre la justice et les structures de contrôle. Notre matière première, explique-t-il, constitue les rapports des structures de contrôle. Une structure de contrôle fait des dénonciations. « À la sortie des vérifications, il y a des indices de détournement. Ces énonciations sont des présomptions, des indices et ne sont pas une vérité figée. Elles sont fondées non pas sur des preuves mais sur des indices», affirme-t-il. C’est au cours des investigations menées par la justice que « les indices se confortent et deviennent des éléments de preuve ou tombent ».Selon lui, il y a des cas où les indices de détournement se confirment totalement ou partiellement. Il y a aussi des cas où elles tombent au cours des investigations. Sans entrer dans les détails des dossiers (secret de l’instruction oblige), le Procureur de la République en charge du Pool économique et financier de Bamako affirme qu’il peut arriver que le rapport avance 50 millions de détournement et que les investigations trouvent 100 millions. Aussi, le rapport peut avancer 18 millions de fonds détournés mais les investigations ne trouvent rien. « Au cours des enquêtes, si l’intéressé amène des justifications authentiques, on est obligé de les prendre en compte », détaille-t-il.
Des indices, pas des preuves
Vous remettez en cause la qualité des rapports de contrôle ?
Non pas forcément, a-t-il souligné en insistant sur le fait que les rapporteurs parlent d’indices de corruption. « Si c’était des vérités établies, immuables, on n’aurait pas saisi la justice », précise Aliou Nampé. « Ce que les rapports de contrôle disent ne peuvent pas être des indicateurs de degré de corruption ».
Recevez-vous des instructions ?
Non, répond le Procureur de la République qui n’a pas manqué de rappeler son statut de Magistrat du Parquet.
Les dossiers traînent-ils au niveau du Pool ?
« Je ne pense pas qu’il y ait des dossiers en souffrance. Les procédures sont par définition assez complexes et nécessitent souvent des expertises autres que celles du Juge », répond le Procureur Nampé. Selon lui, il y a des rapports qui demandent des investigations au delà du Mali. Le Magistrat est obligé d’attendre les résultats de ces expertises. Compte tenu de la complexité des infractions à caractère économique et financier, note-t-il, le Juge peut ordonner des expertises et des contre-expertises.
Plus d’un milliard recouvré entre 2014 et 2015
Les services du Pool économique et financier de Bamako ont obtenu des résultats encourageants dans le recouvrement des sommes détournées. En 2014 et 2015, a souligné Aliou Nampé, le montant des recouvrements se chiffre respectivement à 778 019 927 et 533 434 278 de nos francs soit 1 311 554 205 FCFA. L’argent est payé au Trésor Public contre une quittance qui est versée dans le dossier. Selon Aliou Nampé, après vérifications sur le terrain, le Pool économique et financier de Bamako a traqué les opérateurs économiques indélicats. Ceux-ci s’étaient débrouillés à encaisser des fonds publics pour des travaux jamais exécutés sous le prétexte de la crise. « Au moment où je vous parle, je suis heureux d’annoncer que des travaux sont en train d’être achevés dans plusieurs contrées du pays sous l’impulsion du Pool », souligne-t-il. « Ou tu achèves les travaux ou tu verses l’argent au Trésor », ajoute Aliou Nampé.
Il s’est réjoui de quelques points gagnés par le Mali (115 en 2014 contre 95 en 2015) dans le classement de Transparency International. « Ce n’est pas satisfaisant mais ce résultat prouve que quelque chose est en train d’être fait. Ça nous fait dire que l’espoir est permis dans la lutte contre la corruption et la délinquance financière», explique le Magistrat anti-corruption qui demande à la presse, la société civile et les structures de contrôle de se donner la main pour engager le combat contre la corruption.
Chiaka Doumbia