Le recours à la langue locale garantit la sauvegarde de la culture authentique de l’élève ainsi qu’une meilleure compréhension de la matière enseignée
Dans le cadre de la célébration de la Journée internationale de la langue maternelle, l’Académie malienne des langues (AMALAN) a organisé mardi une conférence-débats dans ses locaux. « Articulation langue nationale, français : cas des étudiants locuteurs tamasheq » et « Multilinguisme dans le système éducation en Afrique » étaient les deux thèmes de la rencontre animée par l’attaché de recherche à l’AMALAN, le Dr Ag Agouzoum Alou, et le chef de division langues nationales à la direction nationale de l’éducation non formelle, Fadiala Kamissoko.
L’événement, présidé par le ministre de l’Éducation nationale, Kénékouo dit Barthélémy Togo, a enregistré la présence de la directrice générale de l’AMALAN, Mme Coulibaly Mariam Koné, d’anciens ministres de l’Éducation et de nombre de responsables scolaires. L’ancien ministre de l’Éducation de base et ancien directeur exécutif de l’Académie africaine des langues (ACALAN), Adama Samassékou, était le modérateur des débats.
Dans sa communication, Ag Agouzoum Alou a noté que les interférences dans le français des étudiants ayant pour langue maternelle le tamasheq, posaient, avec une visée didactique, le problème de l’apprentissage de la langue cible. La présence répétitive d’erreurs dans les textes fournis par les différents sujets atteste, de son point de vue, d’égarements qui relèvent d’un transfert imparfait des connaissances et des stratégies, de copies erronées.
Ce résultat montre que l’articulation des langues nationales et du français est un phénomène qui mérite d’être analysé. Le Dr Ag Agouzoum Alou a soutenu que la politique linguistique nationale venait à point nommé pour donner plus d’assurance et de visibilité à l’utilisation des langues nationales dans les établissements scolaires, les structures administratives et les instances de la république.
Le deuxième conférencier a rappelé que l’Afrique a connu des empires et royaumes de renommée internationale. Ceux-ci ont fait leurs preuves d’une bonne organisation dans différents domaines administratif, politique, économique, militaire, avec comme principal moyen de communication les langues locales. Fadiala Kamissoko a déploré le fait que, pendant la période coloniale, les langues locales ont d’Afrique été foulées aux pieds au profit d’autres dites « langues civilisatrices » dans plusieurs pays.
Pour certains colonisateurs, la transformation des peuples africains ne pouvait être accomplie que lorsque la substitution de la langue et des institutions était réalisée, a indiqué Fadiala Kamissoko. Il a rappelé qu’à la Conférence d’Addis-Abeba, les chefs d’Etat se sont déterminés à adapter les systèmes éducatifs pour atteindre, au bout d’une décennie, la scolarisation universelle en se fondant sur la valorisation des langues et des cultures africaines.
Aux sommets de Nairobi et de Harare, les ministres de l’Éducation ont réitéré leur engagement de rénover les systèmes éducatifs, de les démocratiser afin de permettre à tous les citoyens d’exercer pleinement leur droit à l’Éducation. Cela grâce à la scolarisation universelle, avec possibilité d’introduction des langues nationales dans les systèmes éducatifs. Fadiala Kamissoko a rappelé à ce propos que l’enseignement bilingue a couvert 108 écoles de 1979 à 1986 en bambara, peul, songhoy et tamasheq. De 2005 à nos jours, il se fait avec un curriculum basé sur les compétences.
L’enseignement multilingue donne la chance à tous les citoyens d’exprimer aisément et librement leurs idées et leurs connaissances, de s’éduquer et de se former dans leur langue maternelle. Il garantit aussi la démocratie, prépare les esprits à la tolérance et à l’acceptation de l’autre, crée un cadre de cohabitation pacifique des jeunes, des hommes et des femmes de différentes souches culturelles, constate le chercheur.
Fadiala Kamissoko recommande, par conséquent, de préserver la diversité linguistique et culturelle par des textes législatifs et réglementaires et des actes concrets, d’assurer l’instrumentation approfondie de toutes les langues attestées nationales pour permettre aux communautés concernées d’en jouir librement pour s’éduquer, se former et de mutualiser les expériences en matière d’ éducation en mettant un accent particulier sur l’enseignement bilingue et la valorisation des compétences pour acquérir des attitudes et des comportements positifs.
Tout ce qui contribue à promouvoir la diffusion des langues maternelles sert à encourager la diversité linguistique et l’éducation multilingue. La promotion des langues maternelles constitue le socle de la compréhension, du dialogue, de la solidarité et de la tolérance entre les cultures, soutient pour sa part le représentant résident de l’UNESCO.
La sauvegarde des langues étant une tâche cruciale pour préserver la diversité culturelle dans le monde, Lazare Eloundou a jugé que la promotion des langues passe nécessairement par l’utilisation des nouvelles technologies de l’information et de la communication. C’est pourquoi la problématique de la promotion de la langue maternelle constitue une des priorités de l’UNESCO.
Rappelant que les systèmes éducatifs ont pour objectifs de transmettre aux enfants et aux adolescents des connaissances, des savoirs et une culture universelle, le secrétaire exécutif par intérim de l’ACALAN, le Dr Damphan Lang Fafa, pose qu’une éducation de qualité est essentielle pour garantir la sécurité humaine, le développement communautaire et le progrès national. L’enseignement en langues africaines assure la transmission et l’assimilation aisées car le maitre et l’élève sont censés avoir tous deux la maitrise de la langue. Le recours à la langue locale garantit la sauvegarde de la culture authentique de l’élève ainsi qu’une meilleure compréhension de la matière enseignée, estime-t-il. Il y a donc lieu de donner à l’élève une formation solide et d’attendre de lui une bonne progression dans son processus de préparation aux responsabilités futures.
L’un des rôles de l’ACALAN était de coordonner le plan d’action linguistique pour l’Afrique. Ce plan linguistique est destiné à servir de guide pour la mise en oeuvre d’une politique linguistique continentale, axée sur le développement et la promotion des langues africaines au statut de langues officielles et de travail. « L’ACALAN remercie le gouvernement du Mali pour l’adoption en Conseil des ministres le 3 décembre 2014 du document de politique nationale linguistique. Elle exhorte les autres pays membres de l’Union africaine qui ne l’ont pas encore fait à suivre l’exemple du Mali, car aucun pays ne peut se développer sans le développement de ses langues », a indiqué Damphan Lang Fafa.
S. Y. WAGUE