C’est au moment où l’on disait les relations entre Bamako et Paris battre de l’aile à cause de l’agacement exprimé par le peuple malien et son Président face à l’empêchement fait à l’armée régulière dans sa volonté de se redéployer dans les territoires libérés, que survint l’invitation de la visite d’Etat à Paris. Passés les moments d’émerveillement de ce voyage de tous les honneurs, une relecture de son opportunité et des ses conséquences, bien visibles aujourd’hui, nous commande d’affirmer qu’elle nous a fait plus de mal que de bien. Lisez plutôt !
S’il vous fallait une preuve de la sournoiserie de la politique diplomatique française, sa gestion de la crise malienne devrait amplement suffire. Venue à notre secours afin de nous aider à sortir des griffes des jihadistes rentrés de la Libye mutilée avec, dans leur gibecière, armes, argent et soif de sang et d’apocalypse, nous avons applaudi des pieds des mains, la France des valeurs de liberté et d’égalité.
Mais à l’image de l’indigent au sortir d’un rêve dans lequel il venait de déterrer le trésor qui allait changer sa vie, c’est avec un mélange de désenchantement et d’humiliation que nous avons accueilli la fin de non-recevoir, de la part du libérateur, de nous laisser prendre nos quartiers dans les zones libérées. On venait ainsi de comprendre que la réunion à l’Elysée entre le président Hollande et le haut commandement français, qui décida de l’entrée en guerre de la France à nos côtés, n’avait pas vraiment porté sur la libération de notre pays mais plutôt sur autre chose : une chose sûrement hideuse et immorale pour nous, puisqu’elle nous a été cachée.
Refusant de subir ce dictat dont le voile de dissimulation montrait bien plus qu’il ne pouvait cacher, le Président de la République monta au créneau pour exiger la normalisation de la situation, allant jusqu’à fouler aux pieds les aboulissantes règles de bienséance diplomatique. Ce qui ne va pas sans présenter de réels dangers pour le calme dont auraient besoin les inavoués desseins français.
La grande farce française
La force d’un Etat réside dans sa capacité à collecter, interpréter et exploiter les renseignements aussi bien sur ses ennemis, ses adversaires que ses amis. Afin d’empêcher la découverte du pot aux roses français, on s’échina de trouver un leurre imparable.
Sachant l’attachement des Africains aux honneurs publics, les stratèges français vont nous servir un impressionnant bouquet de merveilles, auxquelles seule une boule d’acier pouvait résister, pour détourner le regard de notre président vers un faux brillant : une visite d’Etat sélecte sur les bords de la Seine. Avec notre drapeau flottant sur les Champs Elysée et bien d’autres lieux de prestige de la France des jours durant.
Et surtout, sachant la très grande sensibilité émotionnelle de notre président (en attestent ses larmes de compassion pour nos deux confrères de RFI sauvagement assassinés par les Jihadistes), on va y greffer, pour notre président, une parade sur les Champs Elysée en command car escorté par l’impressionnante Cavalerie montée, diner royal, délivrance d’un cours magistral à la Sorbonne – la prestigieuse Université dans laquelle il a étudié –et la visite du Souvenir à Verdun qui, assurément, a fini par ôter en notre président tout résidu de ressentiment envers la colonisatrice que n’a jamais cessée d’être la France aux yeux des leaders de mouvements de jeunesse africains de l’époque, comme lui.
En réalité, cette visite, aussi fabuleuse fut-elle, ne signifie rien de plus de la part des pouvoirs publics français que de dire au peuple malien : « Votre Honneur d’occuper vos territoires libérés des Jihadistes, nous le substituons par quelques heures d’honneur d’occupation de nos lieux prestigieux». C’est la réalité dans son plus simple vêtement. Que le président IBK exprime son émotion en rendant hommage à Verdun à nos ancêtres tombés pour la libération de la France, cette fois-là, est très important pour nous, Africains, vu le respect que nous accordons à nos morts.
Mais ce qui nous révulse est qu’il puisse le faire à plusieurs milliers de kilomètres de Bamako et qu’il soit incapable, par les petits calculs de la France, de le faire à Kidal et à Tombouctou où sont tombés nos frères pour le Mali, cette fois-ci. Tous ces honneurs parisiens valent-ils le pesant de ce seul déshonneur parmi tant d’autres? La réponse ne saurait se prêter à équivoque.
Les œufs avariés pondus par la visite de Paris
L’une des conséquences de cette visite pour le Mali est le fait que notre président ait perdu le ton qu’il avait avant. Et pourtant la situation est bien plus dégradée et préoccupante aujourd’hui qu’elle ne l’était quand il tapait du point sur la table. Le ciel de nos espoirs de recouvrer notre souveraineté dans le Nord est des plus sombres et va en s’obscurcissant à n’en point finir.
Les Jihadistes autrefois dispersés dans le désert sont de retour dans nos cités et narguent, à l’envie, nos forces de défense et de sécurité, les forces onusiennes et nos populations civiles. Les attaques ont atteint Bamako. Pour montrer leur regain en puissance de nuisance, ils lancent des attaques simultanées à Kidal et Tombouctou faisant plusieurs victimes. Il nous faut retrouver notre Président d’avant la visite, du moins sur ce point précis.
Les germes de ce qu’il y a de pire pour l’avenir des accords durement obtenus sont en incubation dans les accords qui poussent ça et là entre les groupes armés du Nord sans le pouvoir central à Bamako, mais avec l’onction de nos secoureurs.
Enfin, il y a les fonds obtenus à Paris pour la reconstruction des territoires libérés dont la gestion, sur décision des Français, ne sera pas confiée à notre gouvernement, qui devra pourtant rembourser la partie prêtée. Lorsque l’on est sans oublier que le principal argument avancé par nos frères du Nord dans leur volonté d’autodétermination venait du fait qu’ils auraient été négligés par les pouvoirs successifs au niveau de Koulouba, il apparaît clairement que cette décision est contre-productive pour rétablir la confiance entre ces populations et le gouvernement. En l’état, elle renforce les nordistes dans l’idée que leur développement ne se ferait que par ce type de projets. Pourquoi devraient-ils donc se précipiter pour aller à une paix qui ferait passer les choses par Bamako?
La seule conséquence à la coloration positive est qu’il nous est revenu de Paris, un président IBK avec un capital de confiance bien plus soutenu. La preuve, il n’a pas hésité à sortir du gouvernement le Secrétaire général de son parti, BocaryTreta, avec tous les risques que cela comporterait, comme pour apposer sa marque de fabrique exclusive sur la gestion du pouvoir à la tête de notre pays. Il lui faut user de cette confiance renforcée pour forcer la France à suivre la volonté des Maliens car le peuple ne veut pas du contraire que nous vivons depuis la libération de notre septentrion.
Il est, plus que jamais, grand temps pour nous de cesser d’arborer ce sourire de satisfaction chaque fois que cette visite en France est évoquée car ni le peuple malien dans son ensemble ni son gouvernement, encore moins ses entreprises ne sont sortis grandis de ce voyage. Pour s’en convaincre, il faut arrêter d’adopter cette posture de l’autruche.
Les gagnants sont les autorités et les entreprises françaises qui se taillent bien plus que la part du lion en étant à la fois bailleurs et maîtres d’ouvrage. Bien sûr, nos frères des groupes armés du nord en auront les bras chargés de cadeaux car plus ils retarderont le processus de paix, moins Bamako pourrait demander des comptes sur ce qui se trame dans la région. Et cela ne mériterait-il pas salaire quand on sait que sous le sable de cette zone, il y a des richesses bien plus cotées pour eux, que la paix que nous recherchons, nous ?
Abdoulaye KONATE