Les exploitants invoquent plusieurs raisons pour justifier le non paiement de la redevance eau. Mais ils continuent d’approvisionner la capitale en produits frais
« Le paiement de la redevance eau commence dès la signature du contrat. Le tarif de l’eau de 0 à 62 m3 est de 5000 Fcfa par mois (forfait minimum). Au-delà de 62 m3 par mois, le prix est basé sur la consommation réelle affichée au compteur. Le tarif actuel est de 80 Fcfa par m3. Trente minutes d’arrosage équivalent à 1 m3. Le prix de l’eau couvre les frais d’énergie du pompage, les frais fixés de fonctionnement, le renouvellement et l’entretien. La consommation augmente si toutes les parcelles sont occupées et si les maraîchers sont actifs à 100%…» Ce message de sensibilisation clairement lisible sur les affiches devant le bureau du coordinateur du projet en charge de la gestion du périmètre maraîcher de Samanko, donne des indications sur le paiement de la redevance eau aux exploitants. Mais cet effort d’explication de la Société coopérative des exploitants de parcelles aménagés de Samanko (CSEPAPS) n’empêche pas les problèmes.
Le coût jugé élevé du m3 d’eau, l’abondance de la pluviométrie pendant la dernière saison de pluie, les coupures de courant pendant les heures de travail cinq mois durant en raison des travaux d’aménagement de nouveaux périmètres à Farabana, l’assèchement prématuré du bras de fleuve qui alimente le périmètre en eau, etc. : autant de raisons invoquées par les exploitants pour justifier le non paiement de la redevance. Les impayés se sont ainsi accumulés jusqu’à atteindre 8 millions de Fcfa, amenant la Société énergie du Mali (EDM-SA) à arrêter l’alimentation des motopompes qui permettent d’arroser le périmètre.
Du coup, l’ambitieux projet de développement de l’agriculture périurbaine à Bamako a du plomb dans l’aile. Pour débloquer la situation, de nombreuses rencontres ont réuni les deux parties avec la facilitation de la direction nationale de l’agriculture et la Chambre régionale de l’agriculture et ont abouti à un moratoire de paiement accordé à la CSEPAPS par EDM-SA.
La société d’électricité a ainsi accepté un paiement échelonné jusqu’à l’épuisement de la dette avant la fin de ce mois de février. Selon le vice-président de la coopérative, Noumoutié Sangaré, les exploitants ont commencé à s’acquitter de leurs dettes. Déjà, la coopérative a effectué un premier versement de 3 millions de Fcfa à EDM. Un deuxième versement d’un montant de 1 800 000 Fcfa sera effectif sous peu, assure Noumoutié Sangaré qui promet que la totalité de la dette sera épongée avant l’échéance fixée.
Pour nous rencontrer, Noumoutié Sangaré s’est entouré du secrétaire administratif, Alassane Thianzié Berthé, du président du comité de surveillance, Abdoulaye Konaté, du responsable du système d’irrigation, Daouda Coulibaly. Il explique que les difficultés actuelles découlent des conditions d’installation des exploitants dès le début du projet. C’est précisément en octobre 2012, indique-t-il, que des parcelles totalement vierges leur ont été attribuées. A l’époque, il était question de leur trouver des financements sous forme de crédits auprès des institutions bancaires, pour accompagner leur installation. Le montant convenu par individu s’élevait à 800 000 Fcfa pour une population de 332 exploitants, soit environ 300 millions de Fcfa à mobiliser.
Malheureusement, le démarrage des activités sur le périmètre a coïncidé avec l’éclatement de la crise de 2012. Dans cette conjoncture tendue et au regard du nombre élevé des bénéficiaires, aucune banque n’a accepté de s’engager. C’est en désespoir de cause que les exploitants se sont tournés vers une structure de microfinance, PIYELI en l’occurrence, qui accepta d’injecter seulement 12 millions dans l’entreprise. Cette petite enveloppe ne pouvait bénéficier qu’à une poignée d’exploitants.
« Le démarrage a été très éprouvant pour nous », se souvient notre interlocuteur, avant d’ajouter que les difficultés actuelles étaient prévisibles car, selon lui, une nouvelle terre ne peut être rentable qu’après deux à trois ans d’exploitation. Il faut enrichir le sol avec des fertilisants à la fois naturels (organismes biologiques) et chimiques (les engrais). Ce qui nécessite des investissements importants.
SITUATION DE DEFICIT.
L’accompagnement bancaire ayant fait défaut, les facteurs conjoncturels de l’année dernière ont contribué à enfoncer les exploitants. Peu d’entre eux ont été en mesure de s’acquitter de leur devoir. Or les statuts de la coopérative prévoient la résiliation en cas de non paiement de la redevance eau. La mise en demeure n’excède pas 15 jours. Mais eu égard aux difficultés conjoncturelles, la coopérative a accepté d’accorder un moratoire à ses membres.
Noumoutié Sangaré révèle que le périmètre maraîcher de Samanko couvre une superficie totale de 100 ha dont 83 sont réellement aménagés. Chacun des 332 exploitants possède 0,5 ha. Les bénéficiaires sont en majorité des maraîchers déguerpis des six communes du district de Bamako, auxquels s’ajoutent ceux de la commune du Mandé. La plupart des exploitants sont donc installés dans la capitale. Les frais de transport alourdissent les charges d’exploitation et, du coup, beaucoup sont dans une situation de déficit. C’est pour cette raison que la coopérative s’est montrée flexible à l’égard de exploitants en difficulté.
Noumoutié Sangaré reconnaît aussi que tous les mauvais payeurs ne sont pas en difficulté. « Certains sont de mauvaise foi. Et chaque fois qu’il a été établi que quelqu’un refuse de payer non pas par manque de moyens mais de volonté, la coopérative prend ses responsabilités en lui retirant purement et simplement sa parcelle », jure notre interlocuteur. Il ajoute que parfois, les retraits provoquent de graves problèmes mais le président de la coopérative, Bocar Ouédraogo, reste intransigeant sur l’application des textes qui régissent le périmètre. Il a même été trainé en justice pour avoir retiré des parcelles à des mauvais payeurs.
En plus de ces problèmes, la coopérative est confrontée à un manque d’eau, souligne le vice-président de la coopérative, Noumoutié Sangaré, qui précise que les 332 exploitations sont alimentées par 4 motopompes, installées sur un bras du fleuve qui commence à manquer d’eau à partir de la fin du mois de février. Régulièrement, la direction nationale de l’agriculture demande à la direction du barrage à Sélingué de procéder à des lâchers d’eau pour remplir ce bras du fleuve. Les exploitants se sont organisés pour ériger des barrages afin de retenir l’eau pendant le reste de la saison. Ils sont donc obligés de gérer cette eau avec parcimonie pendant la saison sèche.
Notre interlocuteur explique qu’une exploitation de maraîchage doit tourner durant toute l’année pour être rentable. Le travail de maraîchage tourne autour de quatre grands calendriers : l’hivernage, la période du froid, la pré saison sèche et la période sèche qui se prolonge vers le pré hivernage. Aussi, durant les travaux d’aménagement du périmètre de Farabana, pendant cinq mois, le périmètre de Samanko était privé de courant. Alors que les exploitants n’avaient pas été avertis à l’avance.
En dépit des difficultés, le périmètre maraîcher de Samanko continue d’approvisionner les marchés de la capitale en produits frais grâce à un circuit commercial bien rodé et organisé autour d’intermédiaires dont la plupart sont des femmes. Celles-ci achètent en gros auprès des producteurs pour fournir les demi-grossistes et les détaillants des marchés de Médine et de Wonida à Bozola.
A. O. DIALLO