Il suffit d’une balade dans la capitale malienne pour être immédiatement mis au parfum. Ici, c’est toujours l’attente. L’éternelle attente d’un Mali meilleur où il ferait bon vivre. Plus de deux ans après l’élection présidentielle qui a porté au pouvoir IBK, pour Brin, ce Bamakois à la soixantaine bien tassée, qui a tout vu, tout entendu et tout subi, c’est la déception : « En 2013, on était plein d’espoir. Mais ici, l’espoir ressemble à un horizon. Il recule au fur et à mesure qu’on avance ». Mauvaise foi ou réalité ? Force est de reconnaitre que depuis l’investiture du président, si la recréation est finie, les sempiternels problèmes demeurent: immobilisme du pouvoir, peu de congrès et peu d’explications.
Brin n’est pas le seul à se plaindre. Pour preuve. Dans ce restaurant coquet de Bamako-coura, les conversations vont bon train .La « clim » est à son maximum. Il fait frais, très frais même dans la salle. Pourtant le froid n’empêche pas les langues de se délier. «A part la fin du 1+3 (IBK+ses trois vice-présidents : Boubèye, Bathily, Tereta), que l’on détestait, rien n’a vraiment changé depuis les élections. Mais qu’est-ce qu’ils fabriquent ! », s’énerve ce client. Un habitué des lieux ironise sur les quatre chantiers prioritaires (sécurité, emploi, infrastructures et santé) énoncés par le candidat IBK; entre les deux tours de l’élection présidentielle : « Ils sont terminés, avant même d’avoir été entamés. C’est cela, le Mali démocratique ! » Dans la salle, le mécontentement est a son comble. « On ne s’attendait a voir le pays couvert de sécurité et de routes et les emplois se multiplier en l’espace de six mois .Mais tout de même ! D’accord, le Premier ministre, Modibo Kéita, a pris des mesures pour qu’on récupère les biens spoliés. D’accord, le ministre de l’Agriculture a été changé, des patrons suspendus .Mais les autres dirigeants corrompus sont toujours là. Notamment ceux qui ont magouillé dans les contrats d’achat de matériels militaires. On espère que la commission chargée de réviser les contrats publics va réellement faire quelque chose», espère cette dame. Un autre client renchérit: «pour que la population reprenne espoir, il faudrait que ceux qui ont volé sous Alpha et ATT soient sanctionnés et même sous IBK que la santé, les routes et salaires s’améliorent .Or, c’est loin d’être le cas. » Certains cadres profitent du laisser-aller général pour gagner quelques sous, raconte une demoiselle. Parfois, on arrête les coupables, mais ils sont rarement sanctionnés. Brusquement, comme pour donner raison aux clients, le climatiseur donne des signes de faiblesse. Tous les regards se tournent fébrilement vers l’appareil. Il crachote, siffle, éternue. Après avoir jeté un cri rauque, la clim rend l’âme. Rires. La patronne, elle, fulmine. Heureusement, le courant n’est pas complètement parti. Juste une grosse baisse de tension. Côté pouvoir, le mutisme ? Alors que la population désespère, cherchant des signes d’espoir, le pouvoir, lui, se tait de la part de Modibo Kéita, rien de surprenant. Il s’est toujours méfié des médias. On attend qu’il présente son projet de budget, mais il se fait attendre», confie Tom, jeune cadre dans une compagnie de téléphone mobile. Même mutisme du côté d’IBK. Toujours à l’étranger où chez lui à Sébénicoro. Il n’apparait pas, ou peu, en public. Depuis, pas de conférence de presse par lui-même et son Premier ministre fonctionne au ralenti et qui n’a pas l’expérience des institutions internationales. S’insurge Bill de passage. L’indécision ? D’aucuns pensent que le Gouvernement, mais également la Présidence, partagent la responsabilité des retards actuels. Force est de reconnaître qu’après l’investiture d’IBK, l’équipe présidentielle n’a guère bougé, malgré l’urgence de la situation. Mis également à l’index, le Premier ministre, accusé d’être un des éléments du blocage actuel.
Une critique que récusent les proches du Premier ministre. « Ici, l’administration ne fonctionne plus depuis des années. Il n’y a pas de continuité de l’Etat. La corruption et le laisser-aller sont devenus un fait de société. Nous sortons de plusieurs années de crise et d’une transition où tout le monde s’est servi.
L’ancien gouvernement n’a laissé ni matériel ni budget ni programme. Tout cela a retardé la mise en place du travail des équipes. Que pouvions-nous faire de plus », martèle ce cadre d’une banque et que tout le monde accable le gouvernement, l’opposition la première. On subit l’incurie du 1+3 (IBK+Boubèye, Bathily, Tréta) qui nous a laissés laminés. Le Mali se réveille lentement. Il faut lui donner du temps. Telle ne semble pas être la position du FMI, qui exige toujours l’élaboration d’un programme économique lisible. Comment faire face à la dette publique extérieure estimée à des sommes abyssales ? Et surtout comment « vendre un budget d’austérité » à une population qui souffre depuis des années ? Commente un homme politique secoué par une toux et qu’il est temps qu’IBK cesse de « vendre la cause » de son pays, car il est plus à l’aise pour défendre les challenges politiques que les dossiers économiques et financiers. Certains vont jusqu’à dire que la léthargie et les difficultés que connaît le gouvernement arrangeraient IBK. « Il laisse le doyen Modibo Kéita s’embourber. Ça le dédouane de ses responsabilités.
En outre, il n’a pas envie d’un Premier ministre fort, qui pourrait lui faire de l’ombre », confie cet observateur avisé, tirant sur une cigarette. Dans ce restaurant chic, on reproche à IBK d’avoir maintenu auprès de lui certaines personnalités qui n’ont que leurs bouches de lui faire croire à un électorat fictif. Certes, la tâche n’est pas facile, car il lui faut tenir compte de ceux qui l’ont « soutenu » et des équilibres régionaux. Un constat : une économie délabrée et des finances exsangues. Parmi les urgences : les salaires, la santé et surtout la réforme du système judiciaire, jugé partial et corrompu, pour sécuriser les investissements. Une population malienne perturbée, contestataire et aigrie, les investisseurs ne se bousculent pas au portillon.
Le doyen Modibo Kéita résistera-t-il aux critiques dont il est l’objet ? Certains réclamaient son départ. « Ce n’est pas la solution. De toute façon, n’importe quel Premier ministre sera confronté aux mêmes problèmes. Il devra gérer une sorte de mini-transition caractérisée par l’austérité », confie un diplomate à la retraite et fidèle client de ce restaurant. A l’évidence, si changement il doit y avoir, ce ne sera pas avant la fin du mandat. En outre et aujourd’hui, le président IBK doit plancher rapidement sur des projets de lois portant notamment sur la régionalisation, la réorganisation de la justice car la « plupart de ces lois auraient dû être adoptées avant les élections de 2013.
Mais rien n’a été fait pour préparer l’après-transition, précise un jeune proche de l’APM, à ses dires. Si la reconduction de Modibo Kéita a secoué la majorité politique malienne. Cette demoiselle- universitaire confirme que le doyen Modibo Kéita est connu pour être rigoureux et à l’abri du besoin, fut plusieurs fois ministre. La reconduction a été un véritable coup de massue pour la formation du chef de l’Etat qui ne s’y attendait pas. Cette reconduction du doyen prouve que le cercle rapproché d’IBK manque de stratégie politique et qu’il a mésestimé certains facteurs identitaires. « IBK devra éviter de relier l’opposition au seul destin personnel de Soumaila Cissé, c’est une garantie qu’il n’y aura pas de parti-Etat, et qu’un débat démocratique peut s’instaurer.
La pensée unique, c’est terminée. IBK devra focaliser le débat sur les vrais enjeux qui sont économiques », explique Ami, vendeuse ambulante, qu’elle est proche du Fare Anka Wili. Reste à savoir si l’opposition se comportera en républicaine. Certains sont sceptiques. « Il n’y a pas de tradition démocratique, et l’opposition n’est pas relayée par des syndicats puissants ni par une société civile forte. Les ONG sont tournées vers l’humanitaire et la recherche de financement », explique poliment cet expatrié sirotant du café.
Pour le régime, la partie s’annonce serrée, sinon difficile. La situation est d’autant plus complexe que les problèmes politico-économiques doublent d’une forte insécurité. Car les conflits perdurent dans le nord du pays, qui reste «un vrai chaudron, des pans entiers de la région échappent au contrôle de Bamako», explique un militaire avec sa barbe de plusieurs jours. Elmourabitoun et ses comparses sont toujours actifs. Le Gatia, longtemps utilisé par Bamako, repris langue avec son ennemi juré d’alors. En outre, symptomatique de l’insécurité et de la faiblesse en moyen aérien des FAMa, des revendications territoriales se font jour un peu partout : au Centre du pays entre Ségou, Tombouctou et Mopti, ce triangle est sous obédience d’un certain Amadou Koufa, les localités de Fakola et de Misséni sous le contrôle de Souleymane Kéita aux arrêts extrême-sud du Mali.
L’immense Mali reste un territoire convoité que certains aimeraient bien morceler pour mieux l’exploiter. Et la réforme de l’armée, la « grande muette », est une vraie gageure, d’autant plus que l’armée est considérée comme « un corps malade, rongé par les parasites que sont certains officiers qui détournent la solde ou les arriérés des subordonnés à leur profit, illustre la radiation de 800 gendarmes à cause de leurs arriérés en 1994. Les règlements de compte entre militaires issus d’unités différentes, qui ne se sont pas fait de cadeau pendant la transition, sont légion et que d’autres demandent justice ou réparation .Il faudrait une psychothérapie collective pour réconcilier tout le monde en dehors du champ politique », explique cet officier au visage poupin, raffolant une banane en dessert. A Bamako, dans la moiteur de ce sympathique restaurant, logé non- loin des bases militaires, les clients se délectent de viandes, du tô à la sauce gluante, de poisson et tant de victuailles. Ici, on semble loin des problèmes. Et pourtant, ils sont bien réels. Dans une parcelle voisine, des adeptes de l’islam de réveil prient avec force gémissement. Pour eux, la religion reste l’espoir. Un espoir bien tenu, toutefois, Matala, un journaliste, lui, ne désespère pas. Il n’a peut être pas tort. Car un des points positifs de ces problèmes est l’émergence d’une nouvelle génération d’hommes politiques, plutôt jeunes et pour certains compétents, dont quelques-uns seront forcement les leaders de demain. Du moins ce qu’on peut dire, le pays dont IBK hérite est divisé. D’autres hommes politiques ont des velléités d’émancipation auxquelles IBK s’attaquera et va-t-il résister ?
Par MatalaMouck : correspondance spéciale