Réalisée en 2014, «Yèrèdon Bougou» est une série de 64 épisodes, qui décrit de manière caricaturale l’univers et la vie d’un groupe de femmes et d’hommes installés dans le village Yèrèdon Bougou. Ainsi, les difficultés de la vie, la recherche du bonheur et du bien-être matériel poussent certains personnages à occuper des situations critiques ou comiques dans un village où la tradition, l’Islam et les acteurs de l’administration ont un poids particulier. Nous vous proposons l’entretien que nous avons eu avec le réalisateur et les réactions de certains acteurs principaux de cette série sur leur rôle comme le Commandant Makan, Issa, l’idiot, Farima, l’intolérante, et Oumou Sarama, la folle.
Nous avons la série télévisée «Yèrèdon Bougou» sur l’Ortm. Dites-nous, quelles sont les raisons qui vous ont motivé à réaliser ce film?
Boubacar Sidibé : Nous essayons de faire des séries, et à partir de «Dou», nous avons pu réaliser 45 épisodes. Ensuite, nous nous sommes lancés dans une série historique qu’est : «Les rois de Ségou», dont il y a eu une première et une deuxième Saisons. L’idée de faire une série urbaine nous a traversée l’esprit, ce qui a donné naissance à «Dougouba Sigui». C’est une façon pour nous de traiter des problèmes de la vie dans les villes, tout comme dans les campagnes. Après «Dougouba Sigui», l’Ortm nous a proposé de réaliser une autre série ; ce qui a été pour nous une opportunité, puisque nous avions déjà la série «Yèrèdon Bougou» qui veut dire «Connais-toi toi-même».
Nous avons donc essayé de mettre sur scène un maître coranique et ses élèves pour véhiculer le message. Ainsi qu’un chef de village et ses conseillers, un forgeron et sa femme, une famille où il y a un problème d’éducation avec un fils, un problème entre éleveurs et agriculteurs ; sans oublier l’administration représentée par le Commandant. C’est tout ce monde de comédiens que nous avons rassemblé pour faire passer notre message. Le maître coranique a des Talibés intelligents et d’autres moins intelligents, mais donne la leçon de bonne conduite et du respect pour son maître. Une discipline dont les élèves de tous bords ont besoin pour tirer profit des connaissances acquises. Les élèves arrogants et irrespectueux seront toujours victimes de leurs comportements tout au long de leur existence.
À travers l’administration, nous avons voulu dire que : quand on se comporte bien avec la population, on en tire toujours profit. Pour une collaboration harmonieuse avec la population locale, elle doit certes appliquer les textes, mais doit aussi veiller au respect des traditions du village où elle est installée. Dans ce film, le premier Commandant avait su voir au-delà des textes pour gérer les populations en les menant à bon port. Et quand il partait, tout le village était attristé, mais son successeur, quant à lui, a mis de côté les réalités du milieu. Il sera sauvé de justesse par le Commandant précédent qui s’entendait bien avec la population de Yèrèdon Bougou. Son cas a servi donc de leçon pour son successeur. Pour dire la vérité, il est un peu difficile pour les hommes normaux de faire face à leurs semblables pour leur dire la vérité, sans les vexer ; raison pour laquelle, nous avons fait intervenir la Folle et l’Idiot du village.
À travers ce film, quel message voulez-vous transmettre aux téléspectateurs ?
Le message clé que nous avons voulu véhiculer dans ce film, c’est «Connais-toi toi-même». C’est là où réside la clé du savoir. Le générique qui accompagne le film chante bien ce passage et quand on écoute ce chant, du début à la fin, le film est déjà compris. La vie est tellement courte que le vivre ensemble est très important. Ce à quoi les gens s’accrochent pour crier que les temps sont si insignifiants qu’il faut privilégier le quotidien. L’argent, le pouvoir et même le vivre ensemble sont éphémères. Il est cependant de notre devoir de faire savoir à nos enfants que peu importe ce qu’on a, si nous ne sommes pas en bon terme avec nos proches, nous sommes comme de la farine exposée au vent. Si vous écoutez le générique de la fin, la chanson dit ceci : «Nous, ici à Yèrèdon Bougou, c’est notre façon de vivre et nous allons transmettre cela à nos enfants. À Yèrèdon Bougou, nous savons que l’argent, le pouvoir sont éphémères et le vivre ensemble qui l’est aussi, nous le voulons le plus harmonieusement possible».
Nous constatons également dans ce film une forte présence de l’Islam, des valeurs sociétales et de pires traditions africaines. Pourquoi ce mélange de civilisations ?
De plus en plus, nous essayons de montrer que le Mali est pluriel ; qu’ensemble, depuis des millénaires, nous avons cette mission de cultiver la réconciliation. N’oublions pas qu’il y a beaucoup de faux problèmes que les politiciens, pour leurs intérêts sordides, essaient de diviser les gens. J’ai moi-même fait l’école des Blancs et pendant les vacances, mon père m’envoyait apprendre le Coran chez un maître coranique. Maintenant, beaucoup d’intérêts étant en jeu, les gens refusent de faire la même chose, surtout avec les images qui nous viennent d’ailleurs, ils ne savent plus sur quel pied danser. Notre mission, en tant que cinéaste, est d’essayer de modeler l’homme de demain pour qu’ils puissent résister à ces influences ; d’attirer l’attention des gens sur les choses qui existaient dans notre société, qui n’étaient pas mauvaises et qu’il faut donc préserver ; mais aussi, de tirer la sonnette d’alarme sur des nouvelles malsaines que nous devons combattre.
Nous sommes en démocratie. Pourquoi dans le film «Yèrèdon Bougou», ce sont les rôles interprétés par une Folle et un Idiot qui semblent porter la liberté d’expression ?
Dans ce village, nous avons mis un Monsieur dont tout le monde dit qu’il est fou, alors qu’il est victime de la société. Je prends le cas d’Issa Naloma. Il a subi des traumatismes dans son enfance. Dans le film, nous l’avons mis pour lui faire porter des valeurs. Souvent, nous avons peur de dire certains propos au chef du village ou au Commandant, mais lui, il vient et il le dit à notre place, parce qu’une personne ordinaire aurait honte de le lui dire ou aurait peur des conséquences néfastes. Quand on est détenteur d’un certain pouvoir, il est difficile qu’on puisse vous dire certaines vérités toutes crues. C’est pourquoi, nous avons fait le choix de ces personnages.
Pourquoi les noms Kouroungo et Nadjè, quasiment traditionnels dans «Les rois de Ségou», reviennent dans «Yèrèdon Bougou» ?
Kouroungo est un forgeron de Bougouni avec qui je collabore depuis l’écriture des «rois de Ségou» ; il vient régulièrement chez moi. J’ai eu le goût des terroirs pendant que je sillonnais le pays derrière ma caméra. Je suis né et j’ai grandi à Bamako ; je ne connaissais pas le Mali en tant que tel. Incérer ces noms de terroirs dans le film, contribue à la connaissance de ces noms typiquement africains, voire maliens. Le film ayant été tourné dans un village, ces noms qu’on y rencontre fréquemment semblent avoir tout leur sens.
Qu’est-ce qui a motivé le choix d’acteurs connus dans le cinéma ? Est-ce un manque de jeunes acteurs compétents ?
Quand j’ai essayé de faire ce film sur le plateau, j’avais des acteurs qui étaient en même temps en formation avec moi. Ce sont des jeunes qui ont beaucoup de talent, mais qui ont des aptitudes à devenir des réalisateurs. Comme nous pouvons le constater, dans beaucoup de pays la plupart des grands réalisateurs étaient des comédiens. J’ai donc demandé à ces jeunes s’ils acceptaient de jouer, ils ont répondu oui. La priorité est donnée à d’autres comédiens, parce qu’on ne peut être derrière la caméra et être en même temps un acteur à plein temps. C’est quand on a beaucoup de rôles à distribuer, qu’ils interviennent. Mais je les associe à l’écrit des scénarii, où chacun pourra se focaliser sur ce qui le passionne le plus dans le cinéma.
Après «Yèrèdon Bougou», qu’est-ce qui est dans le viseur de Boubacar Sidibé ?
Même étant actuellement avec «Yèrèdon Bougou», nous travaillons déjà sur la réconciliation nationale. Il s’agira pour nous de montrer à la face du monde qu’il y a certes de l’insécurité au Mali, mais que nous ne sommes pas comme beaucoup d’autres pays. Que Dieu nous en préserve ! Ajoutons aussi que la réalisatrice Aminata a une série télé intitulée : «Les idiots du village», dont nous avons déjà une partie du financement et cherchons de l’aide pour parvenir à sa réalisation.
Gabriel TIENOU/Stagiaire
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Les acteurs parlent d’eux-mêmes
Fatoumata Coulibaly, Journaliste-réalisatrice, comédienne : «Je crois fermement que dans ce film, j’ai joué un grand rôle…»
C’est un hasard qui m’a emmenée dans le cinéma. Mon souhait, c’était de devenir chanteuse, pas parce que je suis d’une famille de griots, mais nous venons de la région de Sikasso. Dans le temps, ma grand-mère et ma tante chantaient et animaient les séances culturelles. Bien que je n’aie pas d’album de musique, je véhicule autrement des messages. J’ai longtemps animé à la radio avant d’aller à la télévision. À travers mes reportages, mes animations à la radio et à la télé, j’ai eu pas mal d’expériences.
Dans «Yèrèdon Bougou», j’ai joué le rôle d’Oumou Sarama (la Folle). À vrai dire, je ne m’attendais pas à jouer ce rôle d’une folle. C’est le réalisateur Boubacar qui est un collègue et ami à moi, me connaissant et me respectant, qui a choisi ce rôle pour moi. Par respect, il n’a pas voulu me le dire ouvertement et il est passé par le canal des jeunes qu’il forme ici. Lesquels sont venus me dire «Tanti, tu vas jouer le rôle de ‘’Oumou Sarama, la Folle’’».
Ce rôle, je l’ai accepté et joué avec plaisir. J’ai avant tout accepté pour montrer aux jeunes que peu importe l’âge ; quand on veut quelque chose, on doit bien le faire. J’ai voulu aussi dire à tout le monde qu’une femme folle - surtout que je ne suis pas une folle, sale qui raconte des bêtises- est un exemple parmi tant d’autres. Ce sont ces femmes belles comme moi, qui, dans le temps, avaient de l’argent et quand la maladie les a attrapées, elles ont été abandonnées par les parents et cela a contribué à aggraver leur folie. Je sais qu’il y a cette idée cachée derrière dans le jeu.
Quand vous avez un membre de votre famille qui devient fou ou folle, ne le laissez pas seul ; prenez soin de lui et il/elle pourra se ressaisir. Surtout, pour ce qui est du cas des femmes, certains cas de folie viennent de la déception amoureuse ou familiale. Acceptons-nous, restons ensemble et unissons-nous. Cette folle, la dame Oumou Sarama, dit des choses réelles. Elle n’est pas une folle. Elle est dans le film pour dire la vérité non seulement au Commandant, mais aussi au chef du village et à la population.
Elle voit les choses qui se passent dans le village. C’est pourquoi, de par sa folie, elle se permet de dévoiler tout ça dans la rue. Elle donne l’acte de naissance des enfants du village et même aussi de mariage. C’est pour dire aux gens qu’il faut approcher ces personnes dites malades mentales, car elles peuvent nous être utiles dans la société. Je crois fermement que dans ce film, j’ai joué un grand rôle. Je suis fière de ça aujourd’hui et je dis chapeau à monsieur Boubacar.
Abdoulaye Dagnoko dit Commandant Makan : «J’ai accepté la collaboration avec M. Sidibé, pas en tant qu’acteur, mais assistant cinéaste»
C’est la passion qui m’a emmené au cinéma. Je suis un sortant de l’IPR, diplômé en Bâtiment, génie rural. Cependant, lors des Semaines artistiques interscolaires, j’ai eu à jouer beaucoup de numéros dans de différents rôles. J’ai été acteur dans le sketch, ballet, le chœur jusqu’à la Biennale, dont ma dernière participation a été celle du Cinquantenaire en 2010 à Sikasso.
Bien avant cela, j’ai été formé à Acte Sept en jeu d’acteur. C’est après tout cela que M. Sidibé m’a appelé pour m’attribuer mon premier rôle dans le film «Dougouba Sigui», où je joue le rôle d’un «Soulard» avec le nom Samba Galadjo. Ma prestation lui a plu et c’est pourquoi, il m’a confié le rôle du Commandant Makan dans «Yèrèdon Bougou». J’ai surtout accepté sa collaboration, pas en tant qu’acteur, mais assistant cinéaste.
Dans «Yèrèdon Bougou», le Commandant Makan critique beaucoup et en même temps donne conseils aux administrateurs, où qu’ils soient, sur le territoire national. C’est aussi un conseil aux hommes actuels au pouvoir. Commandant Makan met les lois et ses propres aspirations au-dessus des traditions. Il conseille que quel que soit le problème, il faut toujours s’asseoir pour trouver une solution.
Mais ils (le chef de village et ses conseillers) ont juste pensé à stopper Commandant Makan en le rendant fou. Quand Commandant Makan est devenu fou, il a posé la question à son garde rapproché à savoir : «Qui est l’ennemi N°1 de l’homme : celui du pouvoir ou de la loi ? Il (le garde) répond que c’est celui qui ne respecte pas le pouvoir ou la loi. Le Commandant lui dit : «Non, c’est l’homme du pouvoir lui-même». Que c’est fabuleux comme réponse !
Djakaridja Doumbia : «J’ai eu peur quand on m’a confié ce rôle qui était capital»
Sortant de l’INA, j’ai aimé le cinéma depuis que je faisais le Primaire. Après l’INA, le premier film dans lequel j’ai joué fut «Les Rois de Ségou» ; ensuite, «Dougouba Sigui». Et comme vous avez pu le constater, dans «Yèrèdon Bougou», je joue le rôle d’Issa, l’Idiot du village. J’ai eu peur quand on m’a confié ce rôle qui était capital. Je remercie par la même occasion Commandant Makan qui m’a beaucoup aidé à façonner le personnage recherché en moi.
L’intérêt d’interpréter le personnage d’Issa l’Idiot est de faire comprendre avant tout que ce ne sont pas des gens à mettre de côté. Mais pour aussi dire qu’ils sont parfois les seuls à dire certaines vérités, sans vraiment avoir à craindre les sanctions qui peuvent advenir. Si les téléspectateurs parvenaient à comprendre cet état de fait, notre société y gagnera. Disons que bien avant que je ne me retrouve à interpréter le rôle d’Issa l’Idiot, j’ai eu la patience de collaborer avec des personnes souffrant de déséquilibre comportemental. Et cela surprenait même certaines personnes. Sachons que personne ne décide de lui-même pour être ainsi et si par malchance, on en a dans la société, nous devons apprendre à vivre avec elles.
Mme Touré Aminata Doumbia : «Les Maliens sont gentils, mais ils aiment et détestent à la fois les artistes»
Je suis une débutante artiste comédienne et maintenant réalisatrice de cinéma. Je suis venue dans le milieu artistique en 2005 grâce à Bouna Fofana, président de Ciné-club. Etant en train de réaliser une série policière dénommée «Commissaire Balla», il m’a invitée à faire pour la première fois le casting et par la suite, j’ai été retenue comme actrice principale.
C’est ainsi que j’ai commencé à jouer dans les films d’autres réalisateurs. J’ai alors joué dans «Yèrèdon Bougou», en interprétant le rôle d’une femme au foyer du nom de Farima. La Bonne dame Farima, je ne dirais pas qu’elle est méchante, mais n’était pas tolérante vis-à-vis de sa coépouse. Tout le temps, elle critiquait cette dernière, la dénigrant, puisqu’elle n’avait pas d’enfant.
Le message que porte ce rôle, c’est que le Mali est un pays laïc, mais avec une prédominance de la religion musulmane, notamment dans le cadre du mariage où le couple a le choix entre la monogamie ou la polygamie, contrairement au régime monogamique chrétien. En tout cas, quand une femme vit avec un homme polygame, elle doit respecter sa coépouse. Si une des femmes n’arrive pas à enfanter, celle qui en a eu la chance, doit aider sa coépouse à supporter le fardeau qu’elle porte.
Mon message principal pour les téléspectateurs en général, et pour les Maliens en particulier, c’est d’aimer le cinéma en changeant leur vision de cet art. Le cinéma est très mal compris au Mali. Les acteurs du cinéma sont très mal perçus en raison de leur rôle dans certains films.
Par exemple, Awa, après sa prestation dans «Walaha», pouvait à peine sortir de chez elle, parce qu’elle a joué un «mauvais rôle». Mais, chez nous les cinéastes et comédiens, il n’y a pas de mauvais rôle. On ne choisit pas son rôle, il est attribué et on l’exécute. Je pense que si l’acteur est critiqué pour son rôle, c’est qu’il l’a bien interprété.
Dans la sous-région, quand on sort pour les Festivals, on n’a pas de problème. Mais, au Mali, les gens trouvent que le personnage reflète la personne qui l’interprète dans la vie réelle. Je demande aux Maliens d’avoir plus d’imagination et de compréhension. Les Maliens sont gentils, mais ils aiment et détestent à la fois les artistes.
Propos recueillis par Gabriel TIENOU/Stagiaire