Le samedi 20 février 2016, le Collectif des femmes de la région de Kidal a organisé un grand forum dans la ville de Kidal. Les travaux qui ont duré une journée, se sont déroulés dans la salle de réunion de la Chambre de commerce de Kidal. Plusieurs femmes ont participé à cette journée qui a porté sur le vivre-ensemble, la cohésion sociale et la mise en œuvre de l’accord d’Alger. La rencontre a été marquée par deux panels, suivis d’échanges d’avis et de propositions de femmes qui sont venues des quatre cercles de la région de Kidal.
À l’ouverture des travaux, c’est la présidente du Collectif des femmes de la région de Kidal, Mme Ongoïba Tagharor Walet Idal, qui a souhaité la bienvenue à toutes les femmes et aux autres participantes venues de Bamako. Dans son intervention, elle a invité toutes les femmes, sans distinction et toutes tendances politiques confondues, à faire leurs les concepts de paix, de cohésion sociale, conformément à l'esprit des accords respectivement signés à Alger entre le gouvernement du Mali et les groupes armés (Cma, Plate-forme), et entre la Cma et la Plate-forme à Anéfis.
Le président du Forum n’est autre que Eghles Ag Foni, ex-gouverneur de la région de Kidal. Il a fait la genèse de l'évolution du conflit depuis 2012 à nos jours. Il a rappelé et insisté sur l'importance des accords signés depuis Ouagadougou jusqu'à Anéfis, avant d'inviter les femmes à user de toutes les stratégies dont elles détiennent le secret, afin que cette page sombre de notre histoire soit tournée pour réécrire une autre plus reluisante et plus joyeuse. Il a ensuite rappelé l'importance de la culture, de notre culture qui fut tout le temps le rempart qui nous a permis de traverser de multiples difficultés.
Après les deux discours, il y a eu le développement du premier thème : «Paix, cohésion sociale et résolution des conflits». Il a été présenté par Rhissa Ag Ratbou. Ce thème était axé sur les points suivants : «Les manifestations et les conséquences des conflits 2012-2015» ; «Les mécanismes de présentation et résolution des conflits» ; «L’impact des accords signés sur la cohésion sociale» ; «Les préalables pour éviter les conflits à l'avenir».
Trois phrases symboliques ont été présentées aux participantes en guise d'introduction : ''Les communautés les plus nobles sont celles qui tendent une main amicale et affectueuse aux autres'' ; ''Les communautés les plus faibles sont celles qui refusent la main tendue. Celles-là méritent d'être aidées pour se relever'' ; «Le Prophète disait : ''Le plus brave d'entre vous n'est pas celui qui terrasse son adversaire, mais bien celui qui domine sa colère».
Il est évident que les communautés qui tendent la main, le font parce qu'elles ont su et pu dominer les passions ; su sacrifier leurs ambitions pour l'intérêt général, c'est-à-dire la paix. Par contre, les communautés qui refusent la main tendue, sont celles qu'il faut aider à comprendre afin de se départir de leur passion inutile. C'est parce que les communautés de Kidal se réclament toutes du Prophète de l'Islam, que ces paroles, dans les conditions normales doivent faire réfléchir chacun. Le conflit de 2012-2015 a mis dos à dos des personnes d'une même famille ; des familles d'un même campement ; des campements d'une même fraction.
Le tissu social est presque entièrement déchiré. Tout ce que, des années de voisinage ont construit, a été défait. Les mécanismes traditionnels qui étaient efficaces ne s'adaptent plus aux types des conflits politiques, religieux. Le mécanisme jusqu'ici mis en œuvre consiste à l'organisation de rencontres intercommunautaires. Il est efficace et inclusif et doit être multiplié. Pour éviter les conflits à l'avenir, il faut éviter l'exclusion d'un groupe par un autre groupe, la répartition sélective des ressources communes, la mauvaise gouvernance. Il faut plutôt construire une gouvernance bâtie sur la justice sociale, un développement qui tienne compte des vrais besoins de citoyens.
Le deuxième intitulé a été présenté par Ambeiry Ag Rhissa. Il a essentiellement mis en exergue les points saillants de l'accord, à savoir les thématiques sur lequel il repose : les questions politiques et institutionnelles, la sécurité, la réconciliation, la gouvernance. L'accord, selon le présentateur, confère multiples avantages aux populations, notamment le développement à travers des projets structurants.
L'élément le plus important, c'est que le président du Conseil régional qui est désormais le chef de l'Exécutif régional, sera désormais élu au suffrage universel direct, comme d'ailleurs le maire et le président du Conseil de cercle. Quant à la sécurité, elle sera assurée par une armée désormais reconstituée et composée à 50% des jeunes du Nord.
Après la présentation des deux thèmes, les femmes ont posé beaucoup de questions, mais ont aussi fait assez de commentaires. Si certaines se posent les questions de savoir le niveau de la mise en œuvre de l'accord, le statut de l'Azawad, la justification des dernières violences dans le Gourma par l'armée du Mali, d'autres se réjouissent du Forum, de son organisation, et soutiennent l'accord dont elles souhaitent la mise en œuvre effective. Il ressort des différents débats que les femmes de la région de Kidal sont acquises à la paix et la réconciliation, sans oublier leur préoccupation majeure : celle relative à la prise en charge de leurs aspirations matérielles et financières.
À treize heures, une suspension est intervenue pour permettre aux participants, dont 90% de femmes, de prendre le déjeuner et d’accomplir les prières. À la reprise, c'est en plénière que des consignes portant sur les accords d'Alger, d'Anéfis, la sécurité, le développement, le rôle des femmes et des jeunes ont débouché sur les recommandations.
Recommandations
Considérant que l'accord d'Alger constitue une opportunité à saisir pour renouer avec le vivre-ensemble et enclencher le développement au Nord du Mali (Azawad) ; Considérant que l'accord d'Anéfif entre la Cma et la Plate-forme consolide l'accord d'Alger et fait taire les querelles internes des communautés ; Considérant que le développement, la justice sociale, la bonne gouvernance sont des préalables à toute stabilité durable, recommande :
Que chacun joue son rôle pour aboutir à la réconciliation, d’instaurer une culture de paix, de tolérance et d'ouverture ; une meilleure répartition des ressources qui pourraient être octroyées aux populations ; la mise en place des activités génératrices de revenus au profit des femmes et des jeunes ; la mise en œuvre intégrale de l'accord d'Alger. Sans oublier la création d'un Fonds de soutien aux rencontres intercommunautaires mixtes et des femmes dans la région. Le tout, pour aboutir à une lutte implacable contre la pauvreté. Toute chose qui favorise les conflits et fait perdurer l'instabilité.
En outre, le Forum décide de s'approprier l'accord d'Alger et celui issu des concertations des groupes armés à Anéfif ; s'engage et invite les femmes à se mobiliser pour réussir la paix, la cohésion sociale et la réconciliation ; invite toutes les femmes à s'investir dans la scolarisation des enfants dans la région. Il remercie aussi toutes celles et tous ceux qui ont, d'une manière ou d'une autre, permis la tenue d'une telle rencontre ; se réjouit de l'accompagnement de la communauté internationale et lui demande encore d'autres sacrifices afin que les populations aient un cadre de vie plus décent. Le Forum exhorte les populations à éviter tous les propos qui pourraient toucher à l'amour-propre des autres.
La cérémonie de clôture du forum
Elle est intervenue à 16 heures, le même samedi 20 février 2016, et a été marquée par trois interventions. Il s’agit d’abord de celle de la représentante des femmes participant au Forum, dans laquelle, elle s'est réjouie des recommandations faites. Elle a réitéré son souhait de voir toutes les femmes de la région, la main dans la main, pour consolider la paix. Puis, celle de la présidente du Collectif des femmes de la région de Kidal, qui s'est félicitée des résultats auxquels le Forum a abouti, malgré les difficultés.
Elle a surtout remercié les femmes venues d'Algérie, du Niger, du Burkina, de Bamako pour leur courage et le sacrifice qu'elles ont consenti pour être là. Enfin, il y a eu l’intervention du président du Forum, M. Eghles. Ce dernier a insisté sur l'impérieuse nécessité pour les femmes d'envoyer leurs enfants à l'école. Il a rappelé que tous les remèdes contre les épreuves que nous traversons actuellement sont à chercher dans le trousseau de notre culture. Il a ensuite mis en exergue la nécessité de soutenir l'élan général des communautés pour converger vers la cohésion sociale.
B. SIDIBE