Conformément aux dispositions de l’Accord-cadre passé entre la CEDEAO et la junte malienne, les députés maliens, en dépit d’un siège de l’institution par des partisans du CNRDRE, ont quand même délibéré sur la loi d’amnistie en faveur des putschistes du 22 Mars 2012 et associés. Perçue comme une étape déterminante dans le processus de normalisation institutionnelle et d’apaisement social, rien ne dit pourtant que la démarche va aboutir aux objectifs visés par les bénéficiaires. En l’occurrence le CNRDRE dont la responsabilité parait patente dans d’autres faits non couverts par la mesure.
Le texte de loi en question, le premier que le nouveau gouvernement, sous l’égide du Dr. Cheick Modibo Diarra, a acheminé à l’Assemblée Nationale assiégé depuis longtemps par des partisans de la junte, a été défendu par le jeune ministre de la Justice et Garde des Sceaux, M. Coulibaly, vendredi après-midi, au bout de débats houleux sur fond de règlements de compte entre parlementaires de diverses obédiences. Finalement adoptée à l’unanimité, la loi d’amnistie aura donné lieu, en effet, à des tirs à boulets rouges, car le désir ardent d’en découdre l’aura largement emporté sur le réel, le fond du sujet.
Il s’agissait, en clair, d’examiner les tenants et aboutissants de la mesure arrêtée de commun accord entre la CEDEAO et la junte, laquelle se résume à passer sous l’éponge (judiciairement parlant) sur un certain nombre de crimes et délits commis dans la foulée de la mutinerie ayant emporté le régime d’ATT. À en juger par l’énumération des actes par les initiateurs de la loi, on découvre un véritable aveu de culpabilité – dont le moins habile des juges peut se saisir comme pièces à conviction. Tout y passe : du vol organisé à l’atteinte à la sureté de l’Etat, de l’enlèvement de personnes à l’atteinte à la liberté de travail, de la destruction des édifices publics à l’atteinte aux biens publics, etc., avec notamment des forfaitures pour certaines passibles de la peine capitale, qui n’est du reste point abolie par les lois en vigueur au Mali.
Certes, les faits gravissimes concernés par la loi d’amnistie sont limités dans le temps et ne s’étendent qu’aux infractions commises entre le 21 Mars et le 12 Avril 2012, mais la mesure est un véritable chèque en blanc ni plus ni moins, voire une exonération de responsabilité pénale tel, qu’on est tenté de se demander si les auteurs de pareils horreurs sont vraiment dignes de faire faire un procès quelconque à celui qu’ils ont débarqué, en l’occurrence ATT.
Qu’à cela ne tienne, sur la question, les avis sont partagés, et pour cause. Par delà les divergences de principes davantage approfondies par la nouvelle donne, les différentes tendances politiques du Parlement s’accordent toutes sur l’impérieuse nécessité de transcender les incompatibilités, pourvu que le surpassement contribue à juguler les éprouvantes turbulences qui assaillent la nation, depuis la rupture de l’ordre constitutionnel, le 22 Mars dernier.
C’est du moins la tendance dominante qui a prévalu au choix des 122 parlementaires à l’Hémicycle, quoiqu’on ait noté d’illustres absents comme Ibrahim Boubacar Keïta du RPM ou encore Houseini Amion Guindo de CODEM.
-Passe d’armes entre pro et anti-putsch
L’unanimité autour de la loi d’amnistie tranche manifestement avec la foire d’empoignes ayant précédé la délibération, lors de la séance plénière du vendredi. Et si le vote du texte était motivé par une volonté d’apaisement, l’Assemblée Nationale en aura posé les conditions sans en montrer le premier exemple, à en juger par les passes d’armes, les agressions verbales et les échanges de propos peu amènes entre tendances favorables et défavorables aux putschistes. Outre donc les explications de vote sur la loi en question, les élus auront consacré du temps et de l’effort aux justifications personnelles, aux règlements de compte et jugements sur la responsabilité des uns et des autres dans les épreuves que traverse la nation.
La première véritable attaque est venue du député élu à Kati, Lancéni Balla Keïta. Toujours égal à lui-même, l’ancien ministre de l’Equipement et des Transports n’a pas fait dans la dentelle en s’en prenant à son collègue Oumar Mariko qu’il a publiquement assimilé à Satan, allusion faite au rôle qui lui est attribué dans la mauvaise presse que traine le Parlement. « Si vous allez à la Mecque et que vous ne réussissez pas à lapider Satan, revenez au Mali et cherchez Mariko », a ainsi schématisé le député Adema pour caricaturer la partition déstabilisatrice de son collègue dans la crise institutionnelle malienne.
Le député pro-junte et chef de file de l’opposition parlementaire ne s’en est pas laissé compter à son tour. Sans verser dans la réplique directe à son détracteur, il s’est livré à un réquisitoire sans ménagement contre la démocratie malienne et estime que la crise actuelle n’est imputable qu’à une vingtaine d’années de gestion boiteuse, allant d’une organisation mitigée des consultations électorales successives à la mauvaise approche du calvaire vécu par l’armée malienne dans le septentrion malien. Même son de cloche du côté de son fidèle compagnon du Parena, le député élu à Dioïla Koniba Sidibé, qui tient également ses collègues parlementaires de la majorité complices pour s’être retenus d’aller jusqu’au bout d’une logique de destitution du gouvernement.
Pour le député de la majorité et rapporteur de la Commission Loi, Me Kassoum Tapo, en revanche, si responsabilité il y a, elle est partagée par l’ensemble des tendances parlementaires car chacune, à un moment ou à un autre, a accepté d’être associée à la gestion d’ATT et d’y jouer une partition.
-L’amnistie en question
Mentionnée en bonne place dans l’accord-cadre passé entre les putschistes et la CEDEAO, la mesure d’amnistier les actes ayant abouti à la démission d’ATT devrait logiquement contribuer à désamorcer la crise et déboucher sur un retour effectif à l’ordre constitutionnel, selon le schéma préconisé par la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest. En vertu dudit schéma, en clair, l’amnistie constitue une étape déterminante de l’onction parlementaire aux démarches de stabilisation du pays par l’installation d’organes de transition. Force est de constater, aussi, que le vote de la loi d’amnistie a fait bouger les lignes de l’intransigeance qui a consisté jusque-là, pour la junte, à se cramponner sur une application rigoureuse du délai intérimaire et, pour la CEDEAO, de persister sur l’unique brèche constitutionnelle qu’est le maintien du président intérimaire pour la transition.
A vingt-quatre heures de la date fatidique – c’est-à-dire une journée après le vote de la loi d’amnistie – la question, au bout d’âpres négociations et d’ultimes tiraillements entre la junte de Kati et les médiateurs de la CEDEAO, n’est finalement plus à l’origine d’un blocage au processus de normalisation au Mali en cours depuis deux mois environ.
On peut dire, en définitive, que le vote de la loi d’amnistie aura été un déclic à la levée des obstacles au retour à l’ordre constitutionnel, si indispensable pour la reconquête de l’intégrité territoriale du pays, ainsi que la plénitude de la notoriété internationale de l’Etat.
De l’autre côté, la mesure de clémence, accordée par les parlementaires au nom de la stabilité et de l’apaisement, pourrait par ailleurs ne pas suffire pour exonérer totalement la junte malienne de responsabilité dans d’autres faits et agissements non couverts par la période. Il s’agit notamment des tueries et autres séquestration commises dans la foulée des affrontements entre unités de l’armée malienne, un épisode qui n’a pas encore révélé l’ensemble de ses contours et qui attire de plus en plus la curiosité des sentinelles internationales des crimes contre l’humanité.
En plus d’une amnistie à la dimension nationale, cette junte malienne pourrait avoir besoin une amnistie internationale, qui pourrait conditionner en même temps son retour effectif dans les caserne. Ce sera une autre paire de manche.