Laminé par une vicieuse crise existentielle sur fond d’incertitudes sur son intégrité territoriale et sa souveraineté tout court, le Mali passe en outre pour un terreau propice au danger islamiste. Les expérimentations éprouvantes de l’intégrisme, sous ses traits les plus hideux dans le Nord pays, n’auront visiblement servi à aucun enseignement qui puisse défavoriser une nette suprématie de la religion dominante, qui bouleverse avec une allure dangereuse les normes régaliennes qu’on croyait suffisamment ancrées pour résister à la tentation intégriste.
La récente démonstration de l’irrésistible vague Ançar Dine -et de son gourou Ousmane Chérif Madani Haïdara- en est une parfaite illustration que confirme par ailleurs le développement d’un phénomène d’autant plus inquiétant qu’il pourrait tout aussi tenir les prémisses d’une arène confessionnelle. Il s’agit, en clair, d’une introduction très peu discrète de la pratique religieuse dans la tradition administrative.
L’observation des obligations religieuses au lieu de travail n’est pas nouvelle dans l’administration malienne. De confession musulmane, l’écrasante majorité des travailleurs maliens, dans la plupart des cas, a sollicité et obtenu qu’un endroit soit aménagé pour les prières dans la quasi totalité des bâtiments administratifs. Elle prend toutefois des proportions et des envols si intrigants. Car, une brèche semble ainsi ouverte à une malicieuse infiltration aux relents d’implantation de la religion dominante dans l’épine dorsale du système étatique que constituent les départements ministériels et les structures administratives rattachées.
Le pressentiment est d’autant justifié que certaines d’entre-elles ont pratiquement peu de choses à envier aux établissements confessionnels où, la pratique de la religion jouit des conditions lui permettant de s’installer confortablement dans la tradition. Et, pour cause, dans certains départements ministériels, par exemple, l’affinité religieuse entre les travailleurs se manifeste par une observation collective de leurs obligations pendant les heures de travail, occasionnant subséquemment une convergence spontanée de fidèles. Quand bien même, l’instant n’intervient jamais aux heures de la pause. Des habitués du rendez-vous ne manquent jamais la seule prière qu’ils ont l’occasion d’observer dans leur lieu de travail derrière leur imam tapi dans l’administration et qui, selon toute évidence, entretient discrètement la courroie de communion religieuse entre agents de l’administration.
Quid du confort des usagers des services publics ? La catégorie de travailleurs en question est si versée dans la religion qu’elle n’en a cure, pas plus qu’elle ne paraisse se soucier d’obstruer les couloirs des bâtiments administratifs inadaptés à l’aménagement d’un endroit isolé pour les prières. Au demeurant, les usagers qui pensent accéder aux services aussitôt après la pause se trompent lourdement. Car, en plus de s’arroger une pause collective différente des heures officiellement admises, les prières, dont il s’agit, s’accompagnent dans certains cas de prêches d’une vingtaine de minutes environ pendant lesquelles l’autorité religieuse de l’administration concernée distille ses préceptes et s’adonne à l’endoctrinement de ses collègues. Le visiteur inattentif se croirait même en pleine mosquée dans le bain des échos sonores qui retentissent bruyamment dans les couloirs.
Cette dérive anti-laïque n’a lieu pour l’heure que dans des structures administratives triées sur le volet. Mais, elle ne rencontrera aucun obstacle si elle venait à connaître un embrasement, au regard de l’indifférence affichée par les autorités devant les premières manifestations.
Au Mali, le débat sur la laïcité ainsi que l’attachement à ses principes sont devenues des questions sensibles depuis que la classe politique a reçu une raclée de l’irrésistible vague islamiste, dans la foulée de la polémique sur le Code des personnes et de la famille. L’épisode consacre non seulement une émergence du religieux sur la scène publique mais donne au monde musulman malien une sorte de sauf-conduit dû à sa capacité d’influer sur le jeu politique.
A mesure qu’elles en profitent pour consolider leurs assises structurelles et leur implantation, les associations islamiques vont difficilement se contenter de jouer le simple rôle d’ascenseur.
La Rédaction