Excepté le fait de l’ancrage d’un conformisme de mauvais aloi, le Forum de Kidal pour la paix et la réconciliation, prévu du 27 au 30 mars prochain, s’annonce comme l’occasion idéale d’un parfait contrepied des recommandations jusque-là formulées et de la légitimation d’une tendance hérétique.
Pour l’événement devant se tenir à Kidal, un jeu de mots retient forcément l’attention. En effet, si pour Gao et Tombouctou, il a surtout été question de ‘’concertations régionales’’, pour la dernière région du Nord à prendre, le train de la marche vers la paix et de la réconciliation, on parle de ‘’Forum’’. A priori, les deux vocables recouvrent la même signification de réunion avec débat autour d’un thème devant permettre de soulever des préoccupations et d’aboutir à des recommandations.
La singularité
La principale singularité ici est que le Forum de Kidal participera du parachèvement du processus d’Anéfis, une initiative locale. Dans un communiqué conjoint Plateforme/CMA, en date du 6 février dernier, cette grande rencontre avait été annoncée. On pouvait y lire : « Les deux parties remercient la communauté internationale pour son accompagnement, depuis le début du processus et demandent instamment de le continuer, notamment par un appui à la prochaine grande rencontre Plateforme/CMA prévue à Kidal pour couronner la rencontre d’Anefis ». Mais une semaine après les arrangements locaux intervenus entre la CMA et la Plateforme et, 48 h après le passage à Kidal de M. Annadif, le 12 février, le camp de la MINUSMA à Kidal était la cible d’une attaque terroriste revendiquée par Ansar Eddine et dont le bilan était particulièrement lourd avec 7 morts et plus de 30 blessés. Le contingent guinéen de la MINUSMA a payé le plus lourd tribut. Dans ce contexte électrique où le Représentant spécial du Secrétaire général de l’ONU, Mahamat Saleh Annadif, tout comme les rescapés guinéens n’ont pas caché leur révolte, les groupes armés ont préféré laisser la tempête passer. La ‘’grande rencontre’’ qui était prévue dans les jours suivants a été reportée sine die.
C’est finalement, à l’issue d’une série de concertations tenues à Bamako du 19 au 26 février, sur la conjoncture actuelle qu’une date précise a été arrêté : du 27 au 30 mars prochain avec l’appellation de Forum pour la paix et la réconciliation. Ce qui représente une autre évolution puisqu’il n’était question que de ‘’grande rencontre’’ sans qualificatif. Désormais, il est officiellement établi que l’ordre du jour portera sur la paix et la réconciliation. Une clarification d’autant plus importante qu’elle pourrait traduire la détermination de la Plateforme et de la CMA à rattraper leur retard sur les autres régions qui ont terminé avec leurs concertations permettant une contribution de taille au processus de paix, dont l’épicentre était les pourparlers inclusifs d’Alger.
La finalité de ces concertations était donc la prise en compte des préoccupations de toutes les couches de la société à l’élaboration de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali signé le 15 mai et parachevé le 20 juin 2015.
L’équivoque
Mais l’équivoque apparaît quand il y a une substitution de moyen et d’objectif comme l’atteste ce point du communiqué conjoint Plateforme/CMA du 6 février dernier : « Les deux parties réaffirment leur indéfectible attachement à l’Accord d’Anefis qui est, aujourd’hui, le principal accord gage d’un retour à une paix et à une stabilité durables ». Dans la même veine, dans le communiqué conjoint Gouvernement/CMA/Plateforme, les mouvements armés voient dans le Forum de Kidal, ‘’la clôture du processus d’Anéfis’’. Ce, quand bien même la matrice de la paix et de la réconciliation est connue, à savoir l’Accord signé à Bamako sous les auspices de la communauté internationale. Il ne devrait, par conséquent, pas y avoir un autre accord qui soit le ‘’seul gage d’un retour de la paix et de la stabilité durables ». Mais à lire le communiqué conjoint final du 16 octobre 2015, l’on revient à la réalité des objectifs des mouvements armés : mise en place de neuf commissions intercommunautaires ; élaboration de la feuille de route par la CMA et la Plateforme ; mise en place d’une commission militaire pour les arrangements sécuritaires et la libre circulation des personnes et de leurs biens ; mise en place d’une commission d’organisation pour les caravanes de sensibilisation et d’information dans toutes les régions du nord Mali…
Dans la forme, il y a un doublon pouvant entraver le processus de paix et de réconciliation.
Dans le fond, nul ne saurait nier la pertinence d’une réconciliation aux niveaux intracommunautaire et intercommunautaire. De ce fait, le Forum de Kidal est amplement justifié.
Les appréhensions
La question qui se pose est de savoir ce qu’il apportera au débat national sur la paix et la réconciliation nationale. Et pour cause, les exercices antérieurs ont abouti sensiblement aux mêmes résultats. Qu’il s’agisse des États généraux de la décentralisation, des Assises nationales sur le Nord, des concertations régionales, dans le fonds, les recommandations n’ont pas varié.
Cependant, puisqu’il s’agit d’une paix locale à promouvoir, il y a lieu de craindre que ce Forum ne prenne le contrepied de toutes les précédentes recommandations. Il faut s’attendre à la mise à disposition des participants d’éléments de langage par les responsables politiques de l’ex-rébellion pour aboutir à des recommandations qui trancheraient nettement avec les précédentes. Des recommandations qui, de surcroît, seraient marquées du sceau de la légitimité. La plus parfaite illustration de cette tendance manipulatrice est la ‘’consultation de la base’’, par la CMA, lors de la signature du préaccord à Alger, et dont le résultat a été celui qui était exactement attendu. C’était la copie conforme des revendications de la CMA qui n’a fait que la légitimer, à travers un semblant de ‘’consultation’’. Va-t-on assister à un bis repetita lorsqu’on sait que les avis qui seront autorisés seront ceux qui feront la promotion de l’Azawad avec toutes les implications possibles ? Tout porte à le croire.
Par Bertin DAKOUO