Prise en conseils des ministres, la décision du Président de la République d’octroyer, aux anciens Premiers ministres, des indemnités de 4 milliards CFA pour, dit-il, « services rendus » à la nation, a soulevé un concert d’indignation au sein des populations. Qui s’opposent, ouvertement, à cette décision rejetée, aussi, par les organisations syndicales.
« Si on me disait qu’IBK se comporterait un jour de cette façon, surtout après tout le mal que les Maliens se sont donnés pour le porter au pouvoir, je ne l’aurai pas cru ».
Les gestes hauts et forts et la voix nouée par la colère, un vieil enseignant, rencontré en milieu de semaine dernière, devant la Grande Poste de Bamako, résume ainsi sa déception face au régime IBK. Et d’ajouter, le doigt pointé vers le ciel : « Jamais nous ne nous laisserons abusés encore par un autre politicien, surtout quand il s’appelle IBK, qui envisagerait de se présenter pour un second mandat. Du moins, tant que cette situation perdure ».
Une décision rejetée par les Maliens
La réaction du vieil enseignant, qui dit ne plus rien à attendre de ce régime, semble traduire l’avis de l’assistance. Qui acquiesce par des haussements de tête et des applaudissements nourris. Et, par ricochet, celui de l’écrasante majorité des Maliens.
« Ces Premiers ministres étaient bien payés quand ils étaient en fonction. Ils disposaient même, chacun, d’une caisse noire de plusieurs dizaines millions de nos francs. Alors, pourquoi leur accorder ces indemnités de 4 milliards CFA et, pire, avec effet rétroactif ? », s’interroge un autre, un carton sous le bras.
La décision d’accorder ces 4 milliards CFA d’indemnités aux ex-chefs du gouvernement n’a fait, pour l’heure, que l’objet d’une communication verbale d’IBK en conseil des ministres. C’était-il y a, environ un mois et demi. Mais les ministres qui s’y étaient opposés, notamment Bocari Tréta, ministre du Développement Rural, et Mamadou Igor Diarra, ministre de l’Economie et des finances, ont été virés du gouvernement. Ce qui signifie, à s’y méprendre, que le président de la République tient à sa décision. Comme à la prunelle de ses yeux.
A l’origine de la colère de nos concitoyens, d’abord la décision du président de la République de mettre en œuvre ce projet de décret.
Envisagé sous la transition de 1992, il a été marginalisé par les présidents de la République se sont succédé à la tête de notre pays. Ni ATT, ni Alpha Oumar Konaré, encore moins Pr Dioncounda Traoré, sous la seconde transition qui a suivi le coup d’Etat de mars 2012, n’ont accepté de sortir ce projet de décret du tiroir. Mais sur simple communication verbale, lors d’un conseil des ministres datant d’il y a environ deux mois, qu’IBK envisage de mettre ce projet de décret en application.
Ensuite, parce que l’application de ce décret risque de brouiller notre pays avec ses partenaires techniques et financiers, notamment, le FMI et la Banque mondiale. Comme l’ont fait remarquer au président de la République, les désormais ex-ministres du Développement Rural et celui de l’Economie et des finances. Selon eux, la décision d’IBK aura, sur le budget national, une incidence financière de 4 milliards CFA. Ce que ces deux partenaires techniques et financiers verront d’un mauvais œil. Surtout, dans le contexte économique actuel, marqué par l’austérité.
Un exemple : selon la décision d’IBK, chaque ancien Premier devra toucher, par mois, un salaire de 2 millions CFA. Avec effet rétroactif.Dans un pays comme le nôtre où, les enseignants sont payés au lance-pierre, où les forces de sécurité manquent d’armes individuelles, où dans les commissariats ou brigades de gendarmerie il n’y a pas d’armes ou presque… comment peut-on faire passer un tel décret ou projet de décret ?
Comment peut-on prendre une telle décision dans un pays où, les commissariats de police et les brigades de gendarmerie manquent de véhicule et de carburant pour organiser des patrouilles pour assurer la sécurité des personnes et de leurs biens ? Comment peut-on rendre cette décision dans un pays où, les appareils de dialyse sont en panne ? Un pays où, 53 % de la population, notamment sa couche juvénile, végète dans le chômage ?
Autant de questions qui plaident en faveur de l’abrogation pure et simple de la décision du président de la République.
« S’il ne le fait pas, nous exigerons que toutes nos revendications, sans exception aucune, soient suivies d’effet. Immédiatement. Ou nous irons en grève, jusqu’à ce que cela soit ! », menace une source proche de l’UNTM.
Au sein même de la population, l’indignation le dispute à la colère. Partout, le même refrain : « nous ne sommes pas d’accord avec cette décision, dont le but est d’enrichir davantage les plus riches et d’appauvrir les plus pauvres ».
Certains ex-Premiers ministres renoncent à leurs parts
Face à l’indignation générale, certains ex-Premiers ministres auraient renoncé à leurs indemnités. Ouvertement. Il s’agit, entre autres, de Mr zoumana Sacko, Modibo Sidibé, Diango Sissoko et Moussa Mara.
Considéré, à la présidentielle de 2013, comme l’unique candidat à même de ramener la paix au nord du pays, à lutter contre la corruption et délinquance financière, à assurer la sécurité des personnes et de leurs biens, IBK a été élu à 77,3 % des voix au second tour, face à Soumaïla Cissé.
Deux ans et demi après, la promesse des fleurs n’a pas tenu celle des fruits.
Et la décision du président de la République de mettre en œuvre ce projet de décret, initié en 1992, risque de faire baisser, davantage, sa côte de popularité, déjà, en dégringolade au sein de l’opinion publique.
Oumar Babi