La rumeur des avantages faramineux, accordés aux anciens Premiers ministres, fait débat et polémique, depuis la semaine dernière, au sein de l’opinion malienne. Vraie fausse affaire mise sur la place publique pour fustiger un système de rente viagère, indument octroyée ou canular insidieusement balancé pour ternir l’image des autorités nationales ?
Une sérieuse investigation permet de lever le voile sur l’intox et les dessous scabreux d’un grossier montage qui frise l’acharnement et le règlement de compte. De quoi s’agit-il ?
Comme tous ceux qui sont au service de l’État, le président de la République, le Premier ministre et les autres membres de l’exécutif sont rétribués sur une base légale. C’est la loi qui fixe au Mali les émoluments et les avantages accordés aux plus hautes autorités de la république et aux anciens dignitaires de l’État (anciens présidents de la République, anciens Premiers ministres et anciens ministres).
Depuis l’avènement de la démocratie, dans notre pays, cette base de traitement a presque suivi une évolution décennale :
1991 : l’Ordonnance n° 91-018/P-CTSP du 21 juin 1991 modifié par l’ordonnance n° 026050/P-RM du 04 juin 2002 fixant le régime des émoluments et des indemnités du Premier ministre ;
2002 : l’Ordonnance n° 02-051/P-RM du 04 juin 2002 fixant le régime des émoluments et indemnités accordés aux membres du gouvernement.
2012 : la loi n° 2012-0011 du 24 février 2012 fixant les émoluments et autres avantages accordés au président de la République et la loi n° 2012-0012 du 24 février 2012 relative à la pension et aux autres avantages accordés aux anciens présidents de la République.
Comme on peut s’en rendre compte, les lois de 2012, qui sont relatives aux avantages accordés au président et anciens présidents de la République, n’ont pas actualisé les traitements des autres membres et des anciens membres de l’exécutif (Premiers ministres et anciens Premiers ministres, ministres et anciens ministres).
Après une décennie d’application, il était juste de songer à aligner le traitement de ces serviteurs de l’État sur l’évolution du coût réel de la vie et à des réajustements dont ont bénéficié les membres d’autres organismes publics.
Il était par ailleurs normal de mettre les traitements de ces hauts serviteurs de l’État en adéquation avec l’évolution des traitements des fonctionnaires. Notamment au regard de la rémunération et des avantages accordés aux agents des autres institutions, aux autorités nouvelles (comme celles de la régulation), aux Directeurs généraux d’EPA ou d’EPIC… qui varient entre 2 à 5 millions de FCFA par mois.
Enfin, l’amélioration de la situation matérielle des anciens serviteurs de l’État afin de les placer à hauteur de mission, à l’image de leurs homologues de la sous-région n’est pas aussi étrangère à la préoccupation.
De ce qui précède et surtout en vue de compléter et d’harmoniser l’arsenal juridique en la matière, une réflexion a été engagée sur le sujet. En novembre dernier, des projets de textes, en vue de l’harmonisation et de l’adaptation au coût de la vie, la rémunération des membres et anciens membres de l’exécutif a été soumise au conseil de cabinet. Lesdits projets de textes, soumis par le ministère des Finances (et non la Primature ou la présidence de la république), ont été examinés et approuvés sous forte réserve de l’actuel Premier ministre par le Conseil de cabinet, du 18 décembre 2015.
Que prévoyaient ces projets de textes ?
Contrairement aux sommes astronomiques, insidieusement balancées, par des sources occultes, l’incidence financière du projet était estimée à : pour le Premier ministre, 57 120 000 F CFA par an ; pour les ministres et assimilés, à 1 617 000 000 F CFA par an ; pour les anciens Premiers ministres, 1 200 000 FCFA par mois et par personne ; pour les anciens ministres, 500 000 F CFA par mois et par personne.
Sur quelle base les avantages proposés l’ont été ?
Des investigations que nous avons effectuées, les projets de textes, soumis par le ministère des Finances, ont suivi la même logique adoptée par les lois fixant les avantages accordés au président de la République et aux anciens présidents de la République. Elle est formulée de la manière suivante :
-« le Président de la République perçoit un traitement hors échelle d’un montant égal à dix (10) fois la moyenne des traitements bruts les plus élevés des fonctionnaires de catégorie A, tous corps confondus » (Article 2 de la loi n° 2012-011 du 24 février 2012) ;
– « les anciens Présidents de la République bénéficient d’une pension dont le montant est égal à sept (07) fois la moyenne des traitements bruts les plus élevés des fonctionnaires de catégorie A, tous corps confondus » ;
Aussi, le projet proposait-il :
-Pour le Premier ministre, « un traitement hors échelle d’un montant égal à sept (07) fois la moyenne des traite-ments bruts les plus élevés des fonctionnaires de catégo-rie A, tous corps confondus » ;
-Pour les ministres, « un traitement hors échelle d’un montant égal à cinq (05) fois la moyenne des traitements bruts les plus élevés des fonctionnaires de catégorie A, tous corps confondus » ;
-Pour les anciens Premiers ministres et ‘’sans aucun rap-pel’’ : les 2/3 de la rémunération brute du Premier mi-nistre en fonction, soit 1 200 000 F CFA.
-Pour les anciens ministres, une indemnité de sortie, une indemnité forfaitaire de logement de 950 000 FCFA, un re-classement au plafond indiciaire de leur catégorie, la nomination d’office au poste de chargé de mission de leur ancien département en cas de non-emploi.
D’où vient cette initiative ?
De nos investigations, il ressort qu’aucun ancien Premier ministre n’a suggéré ou plaidé encore moins exigé l’amélioration de sa situation personnelle. Plus soucieux de la situation de leur pays, que de l’amélioration de la leur propre niveau de vie, les anciens Premiers ministres, comme ledit Zou, n’ont « rien demandé et, surtout, n’ont rien reçu de ces sommes faramineuses » qu’aucune loi ne permet d’ailleurs d’accorder. Simplement parce que d’essence la loi n’est pas rétroactive. Elle est faite pour l’avenir et non pour gérer des situations antérieures.
L’État est une continuité, la formule est bien connue. La réforme dont il s’agit, à savoir l’amélioration des conditions de vie des grands serviteurs de l’État, est bel et bien l’œuvre de l’État. Mais en aucun moment, Ibrahim Boubacar Keita (ancien Premier ministre), aujourd’hui président de la République n’est intervenu dans le cours de la procédure d’élaboration et d’examen de cette réforme. Et l’objectivité impose qu’à César, il faut rendre ce qui lui est dû. En effet, selon nos investigations, c’est à l’initiative, et sous l’impulsion du chef du gouvernement, Modibo Keita, que les projets de textes ont été retirés par le conseil des ministres. Et cela, en raison, dit-on, des énormes difficultés que traverse notre pays.
Alors la question reste entière : qui veut créer la confusion ? À qui profitent l’intox et la manipulation ? Qui a intérêt à trainer dans la boue les anciens Premiers ministres du Mali qui n’ont rien demandé et qui supportent dignement leur situation ?
Le mobile, comme on le dit, est l’anse par laquelle on saisit le criminel. Mais « Calomniez, calomniez, il restera toujours quelque chose ».
Par Sékouba Samaké