Le Bloc d'intervention populaire et pacifique pour la réunification entière du Mali (Biprem), a porté plainte contre le président de la République Ibrahim Boubacar Keïta, pour haute trahison et gestion scandaleuse de l’argent public. L’annonce a été faite en début de ce mois de mars, par les responsables de l’association au cours d’une conférence de presse.
Est-ce que cette plainte a des chances d’aboutir ? Qu’est-ce que la haute trahison et quelles sont les sanctions prévues en cas de haute trahison ? Le Docteur Harouna Diallo, Enseignant en droit public à l’Université des sciences juridiques et politiques de Bamako et à l’Université catholique de Bamako, nous livre son point de vue.
Sahelien.com : Comment analysez-vous la plainte déposée contre le président de la République pour haute trahison ?
Docteur Harouna Diallo : Il se trouve que juridiquement, il y a peu de chance que cette plainte aboutisse à la condamnation du président de la République, parce qu’il y a toute une procédure pour que le président sois mis en accusation devant la Haute Cour de justice. La Constitution donne cette compétence au parlement. Il revient aux députés de mettre en cause la responsabilité pénale civile du président de la République. C’est après cette mise en cause de la responsabilité devant le parlement que la Haute Cour de justice prend le relais pour juger le président. Il se trouve que ceux qui ont déposé cette plainte-là, ne sont pas passés par la procédure. Il s’agit d’abord amener le parlement à mettre en cause la responsabilité pénale du président de la République et même lorsque vous venez devant l’Assemblée nationale, il est difficile tout de suite de mettre en cause cette responsabilité parce que la majorité requise à l’Assemblée nationale pour mettre en cause la responsabilité pénale du président de la République, c’est une majorité qualifiée des 2/3. Donc sur les 147 députés, il faut une majorité très renforcée pour pouvoir le faire. Je pense qu’en l’état actuel des choses, en l’état actuel des textes, des rapports de force à l’Assemblée nationale, il va être difficile que le président soit mis en examen. L’article 95 de la Constitution stipule précisément en son alinéa premier que la responsabilité du président de la République et des ministres est mise en cause par le parlement à la majorité des 2/3 et ensuite il est jugé par la Haute Cour de justice.
Sahelien.com : Donc le président de la République n’a rien à craindre ?
Docteur Harouna Diallo : Vous savez, le dépôt de cette requête-là, le fait que ça a fait du bruit déjà, amène les pouvoirs publics à se poser des questions par rapport à un certain nombre de dossiers. Ça révèle que la société civile, les ONG, le simple citoyen n’est plus dans cette logique de fatalité face au comportement des tenants du pouvoir, donc c’est une interpellation en direction du président de la République. Le fait que la plainte déposée pose un problème de conscience républicaine dans une démocratie où la société civile joue ce rôle de veille pour dire attention aux tenants du pouvoir, c’est déjà bien en soi.
Sahelien.com : Quelles sont les sanctions en cas de haute trahison au Mali ?
Docteur Harouna Diallo : La haute trahison au Mali ou dans le système de droit français n’est pas définie, ni par la Constitution ni par le code pénal. C’est quoi la haute trahison ? Est-ce que c’est le fait de violer la Constitution? Est-ce que le fait de ne pas assurer la sûreté, l’intégrité du territoire, le fait de dévoyer, de saper l’organisation ou les compétences d’une haute institution républicaine? Est-ce que c’est ça la haute trahison ? Est-ce que c’est la connivence, la complicité, la collusion avec des puissances étrangères, c’est ça la haute trahison ? Ce n’est pas dit. Aujourd’hui, le juge malien est dans cette difficulté pour pouvoir trancher sur la question de la haute trahison qui est un gros vocable mais qui juridiquement n’est pas définie. Et c’est ce qui fait que cette haute trahison qui est considérée comme un crime qui doit générer des sanctions pénales, est beaucoup plus politique. Je crois que dans les futures relectures des textes au Mali, dans une future révision de la Constitution, il faut le faire parce que ça été fait ailleurs. Au Niger, ils l’ont fait pourquoi pas au Mali. Même en l’état actuel des choses, en droit la question demeure.