« Le franc CFA, bouc émissaire ou obstacle au développement ? » était le thème d’une conférence-débat animée par l’ancien Premier ministre, Moussa MARA, à l’École supérieure de gestion (ESG), mercredi dernier, au Badialan II. Le conférencier a fustigé la présence française dans les instances de décision de la BCEAO avant d’appeler à la nécessité d’abandonner le franc CFA et d’aller vers une monnaie unique CEDEAO. De même, a-t-il dit, les institutions bancaires ont un taux d’intérêt « assassin », préjudiciable à croissance économique dans la zone franc.
Devant une assistance composée du président du conseil d’administration de l’ESG, Yacouba SAMAKE ; du directeur général de l’ESG, Yacouba SANGARE ; des professeurs d’Université, des étudiants, etc., le président du parti YELEMA, Moussa MARA, a souligné que le franc CFA suscite beaucoup de débats, depuis quelques décennies, quant à sa pertinence dans les échanges de nos pays. Les opinions sont souvent tranchées entre ceux qui veulent le supprimer et ceux qui veulent le garder à tout prix. Ces débats sont utiles et devraient être relayés par de vraies discussions au niveau des décideurs publics sur l’avenir du franc CFA, a-t-il dit. Sans prendre position dans l’un ou l’autre camp, Moussa MARA a souligné qu’il est tout aussi intéressant que les jeunes élites, futurs décideurs, puissent s’intéresser à cette question majeure.
Dans son intervention, après avoir fait l’historique du franc CFA, présenté le dispositif institutionnel, l’ancien premier ministre, Moussa MARA, s’est appesanti sur le bilan du CFA, de sa création en 1945 à nos jours.
Dans ce tour d’horizon, le conférencier du jour, n’a pas manqué de relever certaines insuffisances de cette monnaie presque qu’aujourd’hui imposée à nos dirigeants.
« Il est un obstacle pour les exportations et favorise l’importation de produits disponibles sur place qui concurrencent la production locale », a-t-il fait savoir. Pour expliquer la nécessité de rompre avec le statu quo actuel, l’expert-comptable a souligné qu’on n’avait jamais développé un pays avec l’importation.
Il faudrait donc, dit-il, sortir du statu quo actuel des banques centrales et profiter de l’opportunité qu’offrent les autorités françaises pour prendre la décision qui s’impose.
Moussa MARA s’inscrit en faux contre les idées reçues qui font croire des manœuvres de la métropole visant obliger les pays de la zone à maintenir le CFA comme monnaie d’échange.
« Tous les présidents français se sont dits favorables à l’émancipation de la zone franc. Si on pense qu’ils ne sont pas sincères au fond, on peut quand même les prendre aux mots », a soutenu Moussa MARA. Avant de dire aux dirigeants africains de laisser la France en paix sur cette question de la monnaie et de prendre leurs responsabilités pour aller vers le changement.
« Le Président français, Hollande, a ouvert la possibilité de réformer en renvoyant l’initiative aux décideurs africains », a-t-il insisté.
Les acquis du FCFA
Parlant des acquis, le conférencier a expliqué que la crédibilité du franc CFA en Afrique de l’Ouest comparé aux autres monnaies n’est plus à démontrer. Selon lui, cette unité monétaire a créé une cohésion économique favorable à un développement d’ensemble, mais aussi des relations socio-économiques poussées entre les pays. Le franc CFA a facilité les relations économiques entre les États et créé une assise plus solide de la monnaie fondée sur plusieurs pays. Il a favorisé une intégration dans le commerce international. La bonne couverture des importations par des avoirs extérieurs et des engagements de la BCEAO par des ressources extérieures, la modération des prix dans les villes, la discipline budgétaire des États membres et la discipline monétaire de la Banque centrale (BCEAO) sont, entre autres, des acquis du franc CFA, selon Moussa MARA.
Les insuffisances
Cependant, pour le conférencier MARA, le franc CFA présente également de nombreuses insuffisances. En ce sens que cette monnaie accorde peu de crédit à l’économie et une prédominance des crédits à court terme. Mais ce qui explique davantage le manque de croissance dans la zone franc, aux yeux de Moussa MARA, c’est le fait que les taux d’intérêt des banques sont généralement très élevés (tourne autour de 12 % contre 1 à 2 % ailleurs) tuant du coup l’initiative privée qui est le moteur du développement. Aussi, c’est une monnaie forte, ce qui constitue un obstacle pour les exportations et favorise une concurrence des produits importés vis-à-vis de la production locale. Pour l’ancien premier ministre, le maintien de réserves importantes de devises auprès du trésor français constitue un problème non négligeable. Selon lui, les pays de l’UEMOA disposent de plus 3 000 milliards de F CFA de réserve dans le trésor français. Des fonds importants qui peuvent être utilisés pour soutenir les investissements publics, a-t-il préconisé. Ces réserves, à elles seules, peuvent aménager plus de 600 000 hectares dans la zone office du Niger, a fait remarquer l’expert-comptable. Autres insuffisances du franc CFA, les incohérences des politiques socio-économiques, la vision globale inexistante, l’absence de stratégies de développement pensées à l’échelle de la zone, le statu quo de la base économique des pays, depuis les indépendances, mais aussi et surtout, la présence française dans les instances de gestion de la monnaie. Selon Moussa MARA, cette présence française dans le conseil d’administration de la BCEAO est aujourd’hui inacceptable, car cette institution africaine doit être gérée exclusivement par des Africains. Moussa MARA pense qu’il faut privilégier l’économie, la croissance, la création de richesses et non la lutte contre l’inflation ; faciliter le crédit et assouplir ses conditions ; soutenir les investissements publics par l’utilisation des réserves de changes. Le conférencier pense qu’il faut impérativement élargir des horizons pour aller vers la création d’une monnaie CEDEAO ou d’une monnaie africaine.
Les perspectives
Dans les perspectives, Moussa MARA préconise un renforcement du pilotage politique et non technocratique de la monnaie. Aussi, faut-il tendre vers la mise en cohérence des politiques économiques et des stratégies de développement des pays pour aboutir à des orientations claires en matière monétaire. De même, Moussa MARA pense qu’il faut ramener l’économie et la monnaie au cœur des débats publics.
« Les décideurs politiques, les acteurs de la société civile, la presse doivent tous faire de l’économie ainsi que de la monnaie des sujets d’intérêt majeur », préconisé Moussa MARA.
Le conférencier a enfin soutenu que le statu quo n’est plus tenable, une chose dont les banques centrales, elles-mêmes, sont conscientes.
« Nous devons nous organiser et emprunter une ferme volonté politique pour faire de notre monnaie un véritable instrument de développement économique », a-t-il conclu.
Par Abdoulaye OUATTARA