« Notre ambition c’est d’offrir aux consommateurs maliens de la viande de qualité au moindre coût »
Dr Coulibaly, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Je suis le docteur Moussa Coulibaly, vétérinaire de mon état et Secrétaire administratif de la Fédération des groupements Interprofessionnel du Bétail et de la Viande du Mali (FEBEVIM).
Pourquoi la viande coûte-t-elle plus cher à Bamako, capitale du Mali, pays d’élevage par excellence, qu’à Korhogo, en Côte d’Ivoire, pays côtier par définition ?
Que la viande coûte plus cher à Bamako qu’à Korhogo, il y a plusieurs raisons à cela. D’abord, au moment où il y a pénurie de pâturage, la viande de bonne qualité n’est disponible qu’à travers les animaux embouchés et l’aliment bétail coûte cher. Maintenant, quand vous me demandez par rapport à la Côte d’Ivoire, cette situation s’explique par le fait que et le Mali et le Burkina Faso, ces deux pays ravitaillent la Côte d’Ivoire. Donc, il y a des moments où il y a des surplus de bétail sur le marché ivoirien provenant surtout du marché malien. En troisième lieu, des animaux que vous constatez vers Tengrela ou ailleurs, c’est du bétail malien qui est là à cause de l’abondance des pâturages.
Peut-on avoir une idée sur le cheptel malien, son importance dans la sous-région, voire en Afrique ?
En matière d’effectif, le Mali est le pays qui a le plus grand cheptel en Afrique de l’ouest …
…Devant le Nigeria ?
Bonne question. Devant le Nigeria si l’on compare la population animale à répartir à la population humaine. Nous dépassons de loin le Nigeria dans la mesure où les Nigérians sont beaucoup plus nombreux que nous. Notre cheptel réparti à la population malienne, nous les battons….En chiffres, nous avons entre 10 et 15 millions de bovins, 30 millions d’ovins-caprins et 50 millions de volailles.
…Et le Niger ?
Nous sommes en nombre assez élevé par rapport et au Niger et à la Mauritanie.
L’exportation de la viande, selon certains spécialistes, peut rapporter au Mali des dizaines des milliards, voire des centaines de milliards de FCFA. Mais depuis l’époque de Kankou Moussa, on assiste qu’à l’exportation du bétail sur pied. Qu’est-ce qui bloque ?
En fait, cela est simple à expliquer. La viande étant une denrée périssable, elle a besoin d’être mise dans certaines conditions, les conditions de froid, les conditions d’abattage. Nous-mêmes nous cherchons aujourd’hui à vendre plus la viande que le bétail sur pied pour la simple raison qu’avec l’exportation du bétail sur pied nous perdons toute la valeur ajoutée. Malheureusement, les conditions ne sont pas là. Ce qui bloque, c’est qu’il faut la chaîne de froid. Le froid aux abattoirs, le froid lors du transport, etc. Chose qui rend le problème encore plus difficile, aucun opérateur économique ne s’est encore lancé dans ce secteur. Je ne sais pas si l’Etat en a pris conscience. L’Etat cherche à faire exporter plus la viande que le bétail, mais l’Etat ne met pas les moyens….
Donc la balle est dans le camp de l’Etat ?
Oui…
Concrètement quelle solution proposez-vous en tant qu’acteurs de la filière ?
Je pense que, à défaut de s’y lancer directement, l’Etat doit créer des conditions de facilité à certains opérateurs économiques pour que ceux-ci puissent avoir le matériel de transport adéquat à la viande, en l’occurrence des camions frigorifiques. Déjà, si nous avons cela je suis certain que des pays nous demanderaient de leur fournir de la viande. Je viens de quitter la Côte d’Ivoire. Les Ivoiriens nous ont clairement fait savoir qu’ils préfèrent que nous venions avec de la viande fraîche. C’est les cas des grandes surfaces, des hôteliers etc. Sinon les autres, les bouchers, eux veulent que nous amenions le bétail sur pied parce qu’ils y gagnent.
Quelles sont les principales contraintes que votre filière rencontre ? Et quelles solutions préconisez-vous ?
Les difficultés sont d’abord d’ordre organisationnel. Il y a également un problème d’alimentation du bétail. Si je dis alimentation du bétail je ne parle pas des compléments alimentaires, l’aliment bétail, mais un problème d’espace, de bourgoutières, de pâturages, etc. Vous savez, avec le changement climatique, la rareté des pluies, le nord, qui constituait dans le temps la zone de prédilection de nos grands troupeaux, est en train de manquer cruellement de pâturage. Il y a une pression qui se fait au sud. C’est un gros problème que nous avons avec les cultivateurs. Résultat : il y a toujours des conflits entre éleveurs et cultivateurs et même dès fois avec les forestiers.
Et quelle solution préconisez-vous ?
Nous savons que l’espace ne s’agrandit pas, pourtant le cheptel augmente, la population augmente, mais qu’on puisse définir un quota sous forme de foncier pour les animaux. Voyez, par exemple l’élevage périurbain autour de Bamako. Vous allez certainement me dire que Bamako est une capitale. Pourtant, les gens y font de l’élevage. Et la production laitière, la production de viande tout ça c’est à partir de l’élevage autour de Bamako. Mais il n’y a pas d’endroit où aller faire paître les animaux. Et les zones où l’on a la possibilité d’avoir de l’espace, ce sont des zones occupées par les cultivateurs. La Charte pastorale qui est élaborée avec tout ce qu’il y a comme règles et lois est complètement ignorée, pas du tout mise en œuvre. Seuls les textes d’accompagnement se faisaient attendre. Mais là aussi, je crois que c’est signé…
…La Charte vous convient-elle ?
Oui cela nous convient dans les écrits, mais le hic est que dans la pratique, elle n’est, malheureusement, pas mise en œuvre.
Quel rôle la filière bétail viande peut-elle jouer, selon vous, dans le développement d’un pays comme le Mali ?
Ce n’est pas pour me lancer des fleurs, mais moi personnellement je pense que le bétail est une part très importante dans l’économie de notre pays. En ce sens que la production est faite par nous-mêmes et consommée à notre niveau. On met l’or et le coton en première position. Malheureusement, le prix du coton n’est pas fixé en Afrique chez nous et nous n’arrivons pas à transformer 2% du coton que nous produisons au Mali. L’or également est exporté alors moi je dis que le seul produit qui est véritablement à nous c’est le bétail. Donc, de ce fait, je pense que le bétail a une place très importante dans notre économie. Maintenant, Dieu merci, le gouvernement commence à nous faire des clins d’œil, nous aidant un tout petit peu avec des subventions pour l’aliment bétail, l’octroi ou la garantie de l’achat de l’aliment bétail, la construction de certains parcs de vaccination etc. Vraiment, nous pensons que s’il continue comme cela nous allons faire de l’élevage le numéro 1. Mais…
…Est-ce que, pour la petite histoire, la culture des fourrages ne peut pas vous aider, aider même l’Etat à travers la création d’emplois, à résoudre ce problème ? N’existe-t-il pas des potentialités dans ce domaine ?
Oui, il y a des potentialités, c’est pourquoi je vous ai dit qu’il faut se pencher sur le foncier au niveau de l’élevage. Où allez-vous cultiver ces fourrages ? Ils ne veulent pas. C’est un problème de l’occupation de l’espace. Sinon cela pouvait être une porte de sortie pour nous. Malheureusement, on n’en a pas.
Quels sont vos projets à court, moyen et long termes ?
Nos projets à court, moyen et long termes, c’est tout simplement développer mieux l’élevage, mettre à la disposition des consommateurs maliens des produits carnés à moindre coût et toujours maintenir le leadership du Mali en matière d’effectif de bétail en Afrique de l’ouest.
Que voulez-vous que l’Etat fasse pour l’atteinte de cette ambition ?
Comme je l’ai dit, l’Etat peut beaucoup faire. D’abord, nous assurer une garantie pour l’espace, qu’on nous détermine certaines parties du pays qui ne soient pas des zones d’insécurité. L’Etat doit également s’attaquer au vol du bétail qui est devenu une véritable calamité surtout dans la zone périurbaine de Bamako. Il faut l’Etat garantisse la sécurité de l’élevage à ce niveau et essaye de criminaliser le vol de bétail.
Quel appel avez-vous à lancer ?
L’appel que j’ai à lancer, aujourd’hui, quand on parle du problème d’emploi des jeunes je pense que le sous-secteur de l’élevage recèle un gisement d’emplois inexploité. Nous conseillons sincèrement aux jeunes de pencher sérieusement sur ça. Il ne faut pas toujours attendre que les poulets rôtis tombent du ciel. A propos de poulets, avec l’aviculture, qui se présente comme une véritable opportunité de lutte contre le chômage, une centaine de têtes de volaille (tout au plus 200 têtes) peut permettre à un jeune de s’en sortir. C’est quelque chose qu’il faut encourager et pousser les jeunes à aller dans ce sens. Pour ce faire, l’Etat doit leur donner au moins un peu de moyen ou tout au moins qu’on leur facilite l’accès au crédit et qu’ils soient bien encadrés.
Interview réalisée par Yaya Sidibé