Dans le cadre de la célébration de la Journée internationale de la femme, ce 8 mars, nous avons approché cinq femmes maliennes. Elles ont répondu à trois questions que nous leur avons posées : Quelle vie ? Quels droits ? Quel avenir pour la femme malienne ? Leurs éléments de réponse.
Hawa Dème, présidente de l’ADEM-France (Association des Diplômés et Etudiants maliens de France) : «Les femmes maliennes sont en bonne voie»
Impossible de parler de la Femme malienne. Selon qu’elles vivent en zone rurale ou en zone urbaine, dans un environnement conservateur et traditionnaliste ou dans un environnement intellectuel, la vie des femmes diffère. Une chose est sûre, leur vie n’est pas aisée. Autrefois, les mamans contribuaient aux besoins de la famille ; aujourd’hui, elles jouent un rôle prépondérant et nécessaire à la survie. Elles sont peu nombreuses à avoir un emploi rémunéré ou à créer leur propre entreprise.
Elles exercent majoritairement dans le secteur informel. Leurs revenus leur permettent de nourrir la famille, d’éduquer les enfants et d’avoir un minimum d’autonomie vis-à-vis de leur époux. Les femmes doivent prendre conscience qu’elles ont des droits et ne plus laisser les hommes les leur expliquer. Elles doivent être outillées pour les connaître et exiger qu’ils soient appliqués. Il reste du chemin à parcourir. Et pourtant, à l’époque de nos grand-mères, de nos mères, les femmes maliennes s’exprimaient. Leur empreinte était forte. Elles se sont battues pour que le Mali accède à la démocratie.
Elles ont donné leur poitrine aux balles. Aujourd’hui, le Code de la famille en vigueur a dégradé le texte d’origine qui n’avait rien à envier aux démocraties occidentales. Aujourd’hui, la société malienne a reculé. Je reste optimiste, car sur la scène politique et dans le monde économique, de plus en plus, des femmes émergent et s’imposent. Nous, jeunes, sommes à la croisée des chemins, entre tradition et modernité. Nous tentons de prendre le meilleur de chaque chose pour contribuer à un Mali nouveau. Les femmes maliennes sont en bonne voie.
Fatoumata Sidibé, chef d’entreprise : «Il y a une vraie césure entre celles qui vivent à Bamako et les femmes rurales»
Ce sont les femmes qui se sont toujours levées quand le Mali était en danger. Malgré le poids culturel et social, la vie des femmes dépend d’elles-mêmes. Elles peuvent s’épanouir et beaucoup agissent pour émerger. Elles ont des choses à dire et à faire. Elles savent prendre les droits dont elles ne bénéficient pas. Il y a une vraie césure entre celles qui vivent à Bamako et les femmes rurales. Les jeunes urbaines ont parfois perdu le sens des valeurs fondamentales de notre culture, alors que les rurales sont souvent envahies par le traditionalisme qui les freine.
Que ce soit au pays ou en France où je vis, on parle d’égalité des droits, mais dans nos familles, les filles sont éduquées à se soumettre à leur mari. C’est ancré dans notre culture. Nous subissons une pression sociale. Le mariage de leurs filles demeure l’objectif principal des parents, quelles que soient les études entreprises par la jeune femme. En milieu malien, les hommes craignent parfois l’ambition professionnelle des femmes. Ils ont peur qu’elles ne restent pas «à leur place». Nous, les jeunes, devons astucieusement savoir rester dans l’ombre, mais agir, nous épanouir, sans déséquilibrer nos valeurs socio-culturelles. Inutile de prouver à ton mari que tu réussis mieux que lui ou que tu gagnes plus que lui. Oser, travailler, atteindre nos objectifs, sans insister, c’est respecter l’autre.
Mais, chez nous, ce sont les relations intergénérationnelles qui pèsent le plus sur les jeunes, femmes et hommes. Quand les aînés parlent, nous devons nous taire et nous plier à leurs décisions. Nous devons respecter nos traditions, mais aussi savoir faire accepter que le monde évolue. Née en France, je bénéficie, comme toutes les jeunes maliennes vivant à l’extérieur, d’une double culture. Il est de mon devoir de créer un pont entre ici et là-bas, pour faire évoluer les choses sans oublier qui je suis, sans renier la richesse de mon héritage culturel.
Aïda Hadja Diagne, chroniqueuse attentive : «De moins en moins…la petite fille malienne est plus arabisante que francophone»
Entre Occident et Orient, religion et tradition, la femme malienne vit sa liberté à travers une féminité fière et assumée.
Dans une société où hommes et femmes vivent séparément leurs activités, elle côtoie à égalité les hommes au travail et dans l’intimité. Fascinée par les séries Z venues des quatre coins du monde, elle peut se perdre à vouloir ressembler aux héroïnes, symboles d’un monde moderne fantasmé qui n’existe que sur l’écran de télé. De moins en moins, sur les bancs d’une école laïque déliquescente au profit de ceux d’écoles coraniques financées par l’extérieur, la petite fille malienne est plus arabisante que francophone.
Le voile remplace l’uniforme, la robe bédouine en sache un corps autrefois drapé d’un magnifique boubou qui rendait le port majestueux. Pas d’autre choix pour la femme malienne que l’allégeance à une civilisation occidentale et demain, à la civilisation arabe ? La langue structurant la pensée, repenser l’éducation en langues nationales faciliterait les apprentissages fondamentaux, préparerait à une meilleure formation et compréhension du monde, sésames vers une indépendance libératrice et constructive.
Kadiatou Traoré, journaliste à VOA (Washington) : «Les Maliennes peuvent espérer un avenir meilleur»
Au sein de la société civile, les femmes sont organisées en faîtières, coalitions ou plateformes, mais elles ne s’impliquent souvent que pour les questions de genre. Elles jouent un rôle politique, mais le système est hiérarchisé, dominé par les hommes. Malgré leur présence dans tous les secteurs de production, les femmes maliennes n’accèdent que très peu aux actifs de production, au contrôle et à la gestion des ressources.
Les femmes sont conditionnées par la pauvreté et par le poids de certaines traditions culturelles et religieuses qui entravent leur avancée. Trop d’hommes les méprisent, et n’hésitent pas à utiliser les violences verbales et physiques pour les intimider. Elles payent un lourd tribut à la persistance de certaines pratiques coutumières. L’excision, les mariages précoces et ou forcés sont autant de violences qu’elles subissent, surtout en milieu rural. Elles font toujours face à la discrimination dans les faits, et dans le droit. À cause de la faiblesse du statut juridique et social de la femme, elles ne sont toujours pas en mesure de prendre les décisions importantes pour leur propre santé et survie. Les us et coutumes attribuent ce rôle au chef de famille, qui est souvent différent du conjoint. Le droit coutumier leur est souvent défavorable.
Il est appliqué en milieu rural au détriment de la loi, notamment en ce qui concerne la succession sur le foncier. Malgré cet état de fait, les femmes maliennes savent agir. Depuis le début du conflit dans le septentrion, elles se sont fortement impliquées dans le processus de gestion, de médiation et de négociation, afin de rétablir la paix. Elles ont marché, animé des conférences, alerté, et porté la défense des femmes aux niveaux national et international à travers des plaidoyers contre les violations des droits humains et contre les abus et les violences faites aux femmes. Les Maliennes peuvent espérer un avenir meilleur, puisqu’une volonté politique assez forte à vouloir faire changer le statut de la femme au Mali est affichée.
Mais, rien ne se fera si elles ne s’impliquent pas elles-mêmes. Pour lutter efficacement, et obtenir l’équité, il est nécessaire qu’elles accèdent aux mêmes formations que les hommes, afin d’obtenir les mêmes compétences. En mettant à profit leurs connaissances et toute leur expérience, elles feront progresser les avancées et relèveront les défis. Elles doivent participer activement aux instances, suivre et évaluer les différentes politiques. Vecteurs de services de proximité envers les populations, elles doivent appuyer les actions liées à l’éducation, aux besoins pratiques de leurs sœurs, à l’égalité et à la défense des intérêts et des droits des femmes au Mali.
Fatouma Harber, la Dame de Tombouctou, blogueuse : «Chaque femme est une chance pour le Mali»
La vie de la femme malienne n’est pas un long fleuve tranquille. Elle est encastrée entre les murs, les obstacles et les conditions peu enviables que les traditions lui ont façonnés. «La femme est un esclave», dit cet adage bien d’ici. L’esclave de l’homme auquel elle doit obéissance. Homme qui la laisse trimer sous l’ardent soleil, effectuer de durs labeurs, des travaux des champs, tenir un petit commerce, enfant au dos et ventre rebondi par une grossesse en cours. L’avenir ne semble point rayonnant pour la femme malienne. Elle n’est toujours pas protégée par la loi. Le mariage précoce est légalisé au Mali, possible dès 16 ans pour la jeune fille, alors que le jeune homme doit attendre ses 18 ans. Dans les classes, les filles sont toujours moins nombreuses que les garçons.
Les Maliennes ont encore beaucoup d’enfants, les chiffres disent 6,1 enfants par femme. Leurs besoins en santé, planification familiale, nutrition… restent encore vivaces. Heureusement, lettrée ou pas, la Malienne est une battante. Elle a cette hargne qui lui dicte de se battre pour que la vie de ses enfants soit meilleure… Ma mère n’était pas allée à l’école, mais elle s’est battue pour que j’y aille, pour que j’y reste et que je réussisse, comme mes autres frères et sœurs. Nous avons tous fait et réussi des études supérieures. Je me suis battue et je me bats toujours autant qu’elle, car c’est important pour le Mali. Chaque femme est une chance pour le Mali. L’Etat doit en prendre conscience, et penser à aider les Maliennes, car ce sont des battantes.
Françoise WASSERVOGEL